Flexibilité du dirham : Un impact incertain sur l’économie
Face à l’incertitude aux effets probables du changement de régime de change sur l’économie, les entreprises exposées aux variations du change seront obligées d’utiliser les instruments de couverture commercialisées par le secteur bancaire. Des voix commencent à s’élever pour réduire le coût de ces produits jugés chers par certains gros importateurs.
Si l’on s’accorde à dire que les conditions sont réunies pour réussir le passage vers la flexibilité du dirham, l’impact du nouveau régime sur l’économie nationale sur une longue période demeure incertain. À court terme, tout dépendra de l’évolution du dirham au sein de la nouvelle bande de fluctuation. «Des phases d’appréciation et de dépréciation devraient s’alterner. Les entreprises qui ne se couvrent pas contre le risque de change devront disparaître pour laisser la place à d’autres qui sauront s’adapter aux nouvelles règles du marché. C’est important pour passer le cap d’une économie intermédiaire et franchir le saut de l’industrialisation», affirme Stéphane Colliac, économiste senior chez Euler Hermes qui s’exprimait lors d’un conférence-débat organisée par nos confrères d’Économie & Entreprises, jeudi 6 juillet à Casablanca. Officiels, opérateurs économiques, économistes, banquiers centraux et commerciaux, d’éminents experts ont pris part aux échanges animés des quatre panels au programme de cette journée. «Si les fondamentaux de l’économie ne se dégradent pas, il n y a pas de crainte à avoir. Le seul point noir reste le déficit courant (-4%)», estime Nordine Naam, stratégiste chez Natixis.
Jusqu’où ira le dirham ?
Sous l’effet d’une anticipation d’une dépréciation du dirham, la cotation du dirham a touché, ces dernières semaines, le haut de la bande de fluctuation (+0,3%) du régime en vigueur. «Le phénomène autorégulateur finira par s’imposer. Les autorités ont intérêt à ne pas communiquer la date exacte de la migration vers la flexibilité afin d’éviter la spéculation», ajoute l’expert de Natixis. Pour Hakim Marrakchi, PDG de Maghreb Industries, le fait que le dirham fluctue dans une bande de 5%, soit la largeur prévue dans le régime flexible, ne va aucunement pénaliser les industriels. Au contraire, les marges devraient augmenter suite à la baisse attendue du coût du travail et de l’énergie en cas de baisse de la valeur du dirham. La flexibilité, renchérit Marrakchi, serait un non-évènement au regard de l’ampleur des fluctuations du dirham ces derniers mois vis-à-vis de l’euro et du dollar, outre la variation phénoménale des cours des matières premières. Un avis partagé par les responsables des salles de marchés, ceux-là même qui suivent en temps réel l’évolution des cours et des taux sur les marchés internationaux. «Il y aurait un changement de la nature du risque le jour où l’on passera de la flexibilité au flottement total du dirham.
Le risque de volatilité euro/dollar a toujours existé et nous continuerons à le subir tant que le panier de cotation du dirham n’a pas changé», explique Larbi Mouline, directeur des marchés de capitaux à la Société Générale Maroc. Quant à l’évolution du dirham au sein du nouveau régime flexible, si la pression continuerait à se faire sentir au plus haut de la fourchette, il suffirait d’une injection massive de devises sur le marché local, éventuellement un investissement étranger ou bien une levée de dette externe, pour inverser la tendance et éviter une dépréciation du dirham. L’accentuation de la volatilité des cours de change dans le nouveau schéma de cotation devrait inciter les opérateurs exposés au risque de change à utiliser les instruments de couverture proposés par le secteur bancaire. Seulement voilà, le coût de ces couvertures est jugé «cher» et certaines voix commencent déjà à s’élever pour le dénoncer. «Nous sommes obligés de couvrir les transactions pour sécuriser nos marges. J’espère qu’il va y avoir une remise en question et une mise en concurrence des banques pour les inciter à baisser les prix», lance Jamal M’Hamdi, président de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses.
Sur ce point précisément, le directeur de la salle de marchés de la Société Générale rétorque, en précisant que le coût de la couverture contre les variations du change dépend d’un certain nombre de paramètres incompressibles (taux d’intérêt, cours spot, volatilité, etc.). «La marge de la banque ne représente qu’une infime partie du coût global. Dans certains cas, les banques passent des opérations de couverture avec des marges proches de zéro rien que pour drainer les flux à l’export», nuance Larbi Mouline. Ce dernier a saisi l’occasion pour plaider en faveur des opérateurs qui espèrent pouvoir négocier les couvertures chez toutes les banques au lieu de les obliger à passer par la banque à laquelle la transaction se trouve domiciliée. La fiscalité n’est pas en reste. La Direction générale des impôts, apprend-on de Jilali Kenzi, adjoint à la directrice du Trésor au ministère des Finances, mène un travail profond pour adapter la fiscalité, notamment la TVA, au développement des instruments de couverture contre le risque de change.
Stéphane Colliac,
économiste senior chez Euler Hermes
«On ne peut pas se passer des spéculateurs pour avoir des liquidités sur le marché. Si on se passe des opérations d’achat et de vente quotidienne de devises qui n’ont pas un but réel mais simplement financier, le marché sera moins liquide et reflétera moins le prix du risque. C’est dire que la spéculation est utile».
Nordine Naam,
stratégiste chez Natixis
«Un régime flexible se traduit généralement par un régime de ciblage d’inflation. Quand l’inflation est basse, comme cela fut le cas en zone euro, la Banque centrale a tendance à baisser massivement son taux directeur. Au Maroc, le taux directeur (2,25%) corrigé de l’inflation (1%) conduit à un taux réel positif (1,25%) et c’est bien ce denier qui sera retenu pour mesurer l’attractivité des capitaux».
Hakim Marrakchi,
PDG de Maghreb Industries
«Les entreprises étrangères peuvent faire valoir une révision des marchés en cas de fluctuation de taux de change. Ce n’est pas le cas pour les entreprises marocaines importatrices qui subissent le risque de change. Le patronat œuvre pour la mise en place d’une nouvelle charte des marchés publics pour que les entreprises locales et étrangères soient traitées sur le même pied d’égalité».