Maroc

Stabilité du dirham : un signal pour la flexibilité future ?

En août dernier, le dirham a gagné du terrain face au dollar, soutenu par le rebond de l’euro et une amélioration de la liquidité sur le marché local des changes. Si ce mouvement reste d’ordre technique, il pourrait néanmoins ouvrir une séquence nouvelle pour la monnaie nationale, dans un contexte international où la Fed perd en lisibilité et où les flux en devises vers le Maroc se rééquilibrent.

Au mois d’août, le dirham s’est apprécié face au dollar américain, porté par un double moteur, à savoir un effet panier dopé par la reprise de l’euro et une amélioration de la liquidité sur le marché des changes domestique. Cette configuration, inédite depuis plusieurs mois, pourrait marquer un tournant dans la dynamique de la monnaie nationale. C’est un mouvement passé presque inaperçu dans les radars grand public, mais qui pourrait annoncer une tendance plus large.

À fin août 2025, la paire USD/MAD a reculé de 1,36 %, selon le rapport FX Monthly publié par BMCE Capital Global Research (BKGR). Une contraction attribuée à deux facteurs principaux, notamment un effet panier négatif de 1,29 % et un effet marché de 0,14 %.

«Ce genre de configuration technique indique que le dirham n’a pas été tiré par une action volontaire de la Banque centrale, mais plutôt par un réalignement naturel des flux et des pondérations monétaires», glisse un analyste financier, sous couvert d’anonymat.

Le dirham porté par un euro revigoré
Le principal levier du recul du dollar face au dirham tient à l’évolution de la parité EUR/USD, qui s’est appréciée de 2,01 % en août. Cette hausse de l’euro, face à un dollar en perte de vitesse, s’est mécaniquement répercutée sur la pondération du panier de référence utilisé pour le calcul du cours du dirham.

Selon les analystes de BKGR, cette dynamique favorable de l’euro s’explique par «une combinaison de facteurs monétaires, conjoncturels et géopolitiques». D’un côté, la Réserve fédérale américaine s’est retrouvée fragilisée par une série de mauvaises nouvelles économiques (inscriptions au chômage en hausse, créations d’emplois décevantes…) et une instabilité politique croissante. Le marché a intégré une probabilité supérieure à 95 % d’une baisse des taux directeurs, selon l’outil FedWatch.

L’analyse de BMCE Capital Global Research souligne que l’incertitude politique autour de la Fed – notamment le limogeage de la commissaire du Bureau of Labor Statistics (BLS), les menaces de poursuites contre Jerome Powell et la controverse autour de Lisa Cook – a contribué à fragiliser sa crédibilité, ce qui a pesé sur le dollar américain.

En miroir, l’euro a été soutenu par une stabilité apparente de la zone euro. Le chômage y est resté contenu (6,2 % en juillet), et la Banque centrale européenne, tout en anticipant un assouplissement, adopte un ton plus mesuré que son homologue américaine. Christine Lagarde a multiplié les signaux de confiance, saluant «la résilience de l’économie européenne».

Retour de la liquidité sur le marché domestique
L’autre facteur d’appréciation du dirham réside dans l’effet marché. Avec un impact mesuré de -0,14 %, il traduit pourtant une réalité importante. Le marché national des changes a vu sa liquidité s’améliorer en août. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, en l’occurrence une reprise des exportations, des transferts MRE dynamiques malgré la saison estivale, ou encore un fléchissement des sorties de devises sur les opérations de biens d’équipement ou de matières premières.

«Il y a eu un bon alignement entre offre et demande sur le compartiment spot, ce qui a réduit la pression haussière sur le dollar», estime un opérateur du marché.

Et d’ajouter «Nous observons que les acteurs économiques ajustent de mieux en mieux leurs couvertures de change, ce qui fluidifie les volumes».

Et maintenant ? Une fenêtre pour aller plus loin ?
Ce renforcement technique du dirham survient dans un moment charnière pour le Maroc. Alors que les autorités monétaires poursuivent prudemment leur projet de transition vers un régime de change plus flexible, cette phase de stabilité pourrait constituer un laboratoire grandeur nature.

«Lorsque la devise nationale est tirée par la logique du marché, sans tensions, c’est le moment idéal pour tester des paliers supplémentaires de flexibilité», commente un expert.

«Mais il faut que le tissu économique soit prêt à absorber davantage de volatilité, notamment les PME» ajoute-t-il.

Pour l’heure, Bank Al-Maghrib n’a donné aucun signal d’un changement imminent. Mais le comportement du dirham en août pourrait peser dans les réflexions à venir, en particulier si cette dynamique se confirme sur le dernier trimestre. En somme, l’appréciation du dirham au mois d’août est moins une rupture qu’un ajustement, mais un ajustement révélateur. Révélateur d’un système de change devenu plus réactif, d’un marché mieux approvisionné en devises, et d’un environnement international où le dollar n’a plus l’hégémonie tranquille des dernières années.

Dans un marché mondial, où les cycles monétaires se déphasent, le Maroc apparaît pour l’instant comme un point d’ancrage stable. Mais la prudence reste de mise, puisque le dirham reste tributaire des équilibres mondiaux, et sa solidité actuelle, si elle rassure, ne constitue pas une immunité durable. Les prochains mois diront s’il s’agit d’un simple épisode technique ou d’un véritable changement de paradigme.

Lionel Zinsou
Ancien Premier ministre du Bénin, économiste et financier

«Une monnaie forte est un outil de souveraineté»

Interrogé sur les questions de compétitivité monétaire en Afrique, Lionel Zinsou rappelle que les grandes puissances exportatrices ont souvent eu des monnaies fortes, et non faibles.

«Le Maroc, à mes yeux, fait partie des pays qui considèrent que la qualité de la production est un levier plus décisif que la faiblesse de la monnaie», explique-t-il.

Pour lui, l’appréciation du dirham face au dollar ou à l’euro n’est pas une menace, mais une opportunité : elle permet de préserver le pouvoir d’achat, notamment dans les pays largement importateurs de denrées alimentaires.

À rebours des thèses prônant une monnaie faible pour gagner en compétitivité-prix, Zinsou soutient que «les prix d’exportation sont fixés sur des marchés internationaux, en devises fortes, selon des standards de qualité, et non selon la politique de change d’un pays donné». Dans cette optique, un dirham plus stable et relativement solide, comme en août 2025, renforcerait la crédibilité monétaire du Maroc sans nuire à ses équilibres extérieurs.

BKGR anticipe une stabilisation relative

Pour les mois à venir, BMCE Capital Global Research table sur une stabilité relative des parités. Les prévisions à horizon trois mois indiquent une parité USD/MAD à 9,05 et EUR/MAD à 10,675, avec un taux EUR/USD attendu à 1,18.

À six mois, l’euro continuerait de progresser légèrement (1,19), tirant la parité EUR/MAD vers 10,765, tandis que l’USD/MAD resterait proche de 9,045.

En parallèle, les projections de volatilité sur 12 mois placent l’USD/MAD parmi les paires les moins volatiles du panier MAD (3,76 % contre 6,80 % pour GBP/MAD), ce qui laisse entrevoir une relative prévisibilité du dirham à court et moyen terme.

Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO



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