Cannabis : une légalisation à parfaire

Le Maroc a légalisé le cannabis médical et industriel en 2021, mais la fumée blanche n’a pas dissipé toutes les zones d’ombre. Dans une étude, trois chercheurs marocains saluent l’avancée que représente la loi 13.21 pour les cultivateurs et l’industrie, pointant néanmoins quelques angles morts.
Dans une étude parue en août 2025, les chercheurs Khalid Tinasti, Kenza Afsahi et Khalid Mouna se penchent sur les effets et les limites de la légalisation du cannabis médical et industriel au Maroc. Leur étude est structurée autour d’un triptyque historique, socio-économique et comparatif, avec une critique forte de l’exclusion des consommateurs et un plaidoyer pour une politique de cannabis plus inclusive et équitable.
Si le cadre légal adopté en 2021 représente une rupture par rapport à la prohibition, il reste marqué par une logique de contrôle et par une volonté de mettre en avant les producteurs et les industriels, au détriment d’une vision globale intégrant l’ensemble des acteurs concernés, estiment les chercheurs.
Une réforme centrée sur les producteurs et l’industrie
La loi 13-21, adoptée en 2021, a ouvert un nouveau champ économique au Maroc en autorisant la culture et la transformation du cannabis à des fins médicales et industrielles. Les chercheurs rappellent que «la loi décrit des règles et des lignes directrices spécifiques pour ce secteur, couvrant la culture, la transformation, le transport, la sécurité, la traçabilité des produits et les rôles des acteurs économiques et institutionnels, mais elle ne concerne pas les consommateurs».
Les agriculteurs du Rif doivent désormais se conformer à des normes internationales exigeantes, allant de la sélection des semences à la rotation des cultures, en passant par le respect des bonnes pratiques agricoles définies par l’OMS. Ce choix marque une volonté de professionnaliser la filière et de l’aligner sur les standards internationaux afin d’attirer des investisseurs étrangers.
Toutefois, les auteurs insistent sur le fait que «la loi, cependant, ne s’adresse pas aux consommateurs de cannabis, se concentrant plutôt sur les avantages socio-économiques pour les producteurs et les acteurs industriels». Autrement dit, la réforme a créé un cadre économique robuste, mais elle a laissé de côté des dimensions sociales et sanitaires pourtant cruciales.
Les oubliés de la légalisation
L’analyse des trois chercheurs souligne que l’absence de dispositions pour les consommateurs n’est pas anodine. Ils écrivent que «l’absence d’inclusion des consommateurs dans ce processus soulève d’importantes préoccupations en matière de justice sociale». Le texte ne prévoit ni stratégie de réduction des risques, ni programme de prévention, ni réflexion sur la dépénalisation.
Cette invisibilisation des usagers contraste avec le rôle historique et culturel du cannabis dans la société marocaine et contribue à maintenir la stigmatisation, indiquent-ils. Les conséquences ne sont pas seulement symboliques. L’étude rappelle que près de 800.000 Marocains consomment du cannabis, souvent jeunes, parfois en situation de vulnérabilité, et qu’ils se trouvent désormais face à un cadre légal qui les ignore complètement.
Dans ce contexte, les chercheurs estiment que la loi renforce les inégalités en créant des «utilisateurs légitimes», liés aux filières médicales et industrielles, et des «utilisateurs illégitimes», toujours exposés à la répression policière et judiciaire.
Vers une politique plus inclusive
Pour mesurer les limites du dispositif marocain, l’étude mobilise une analyse comparative. Aux États-Unis, plusieurs États ont intégré la notion de justice sociale dans leurs législations. New York a choisi d’effacer certaines condamnations liées au cannabis et d’allouer 40% des recettes fiscales à des programmes de réinvestissement communautaire.
Le Massachusetts réserve une partie des licences aux populations ayant été touchées de manière disproportionnée par la prohibition. La Californie, de son côté, a instauré des taxes sur les cultivateurs et les ventes afin de financer la formation professionnelle, les services de santé mentale, la réintégration des anciens détenus et la revitalisation des quartiers marginalisés.
Ces expériences montrent qu’il est possible de lier développement économique et réparation sociale. Les chercheurs affirment, dans leur article, que «les programmes qui effacent les condamnations passées en matière de cannabis et les casiers judiciaires pour les agriculteurs et les consommateurs traditionnels doivent être pris en compte».
Ils ajoutent que «les allocations de recettes fiscales sur le cannabis doivent être destinées à reconstruire les communautés touchées, y compris l’éducation, la santé et l’infrastructure du travail». L’étude conclut sur un constat nuancé.
Elle reconnaît que «l’entrée en vigueur de la loi marocaine 13.21 représente un passage important, mais incomplet, d’une politique prohibitionniste en matière de drogues à un cadre permettant l’utilisation médicale et industrielle du cannabis».
Autrement dit, le Maroc a franchi une étape essentielle, mais il reste à inventer un modèle véritablement inclusif, capable d’intégrer les consommateurs, de réparer les injustices passées et de redistribuer équitablement les bénéfices économiques. Pour les auteurs, seule une approche qui combine développement économique, justice sociale et reconnaissance culturelle permettra au pays de transformer cette légalisation en véritable succès politique et sociétal.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO