Maroc

Taxe carbone : plus de peur que de mal ?

À l’approche de son entrée en vigueur en janvier 2026, la taxe carbone suscite autant de questions que d’inquiétudes. Ce mécanisme d’ajustement aux frontières apparaît, pour le Maroc, comme un passage obligé. Mais derrière l’ombre d’une contrainte, nombre d’industriels y voient surtout une formalité fiscale, sans impact majeur sur leur compétitivité. Fort d’une stratégie de décarbonation déjà engagée, le Maroc pourrait aborder cette échéance plus sereinement.

Le compte à rebours est enclenché. À partir de janvier 2026, l’Union européenne appliquera une taxe carbone sur les importations des secteurs jugés les plus polluants. Pour le Maroc, partenaire économique de premier plan du Vieux Continent, cette échéance prend des allures d’épreuve décisive.

Les modalités techniques à préciser
En effet, l’urgence climatique ne se discute plus. Face à l’accélération des dérèglements environnementaux, la limitation de l’empreinte carbone s’impose comme un impératif. Dans ce contexte, le Maroc, engagé depuis plusieurs années dans une stratégie de transition énergétique, voit se rapprocher une échéance décisive, celle de l’entrée en vigueur du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), instauré par l’Union européenne.

Cet outil fiscal fixera un prix du carbone sur les importations de biens jugés fortement émetteurs, tels que l’aluminium, le ciment, l’acier, les engrais, l’électricité et l’hydrogène. L’objectif affiché est clair : éviter que les industries polluantes ne se délocalisent vers des régions moins contraignantes et garantir la neutralité climatique européenne à l’horizon 2050.

Pour les partenaires commerciaux du Vieux Continent, cette réforme suppose une adaptation en profondeur des modèles productifs. La prise de conscience est réelle. D’ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental a récemment adopté un avis concernant l’impact du CBAM sur le Maroc. Celui-ci analyse les effets attendus sur les exportations et souligne les opportunités que pourrait saisir le Royaume, fort d’une stratégie de décarbonation déjà amorcée.

Ce positionnement pourrait lui permettre de renforcer sa compétitivité dans un contexte où l’accès au marché européen dépendra de plus en plus du contenu carbone des biens échangés. Les institutions européennes, elles, ont déjà enclenché les préparatifs.

Plusieurs ateliers de formation et de sensibilisation ont été organisés, notamment dans le cadre du Partenariat vert UE-Maroc, destiné à accompagner les administrations et les entreprises dans cette transition. Mais du côté des industriels, le flou persiste. Aucun texte officiel, ni résultat de concertation, ne leur a encore été communiqué, ce qui alimente des incertitudes sur les modalités pratiques de la taxe. Beaucoup estiment néanmoins que son impact sera limité.

«Cette taxe ne fait que se substituer à une taxe existante. Elle ne sera pas contraignante, d’autant que l’Europe traverse elle-même une période délicate, prise en tenaille entre ses propres engagements environnementaux et les pressions exercées par les États-Unis. Le moment n’est donc pas opportun pour imposer des mesures restrictives», souligne Hakim Marrakchi, président-directeur général de Maghreb Industries.

Les contours techniques restent en discussion. Selon une source proche du dossier, c’est l’Administration des douanes qui sera chargée d’appliquer le dispositif, sur la base du calcul de l’empreinte carbone, réalisé par l’Institut marocain de normalisation (Imanor).

Le tarif, encore indéterminé, devrait être modulé selon l’intensité des émissions associées à chaque produit. Autrement dit, il s’agira d’une taxe environnementale adaptée aux spécificités sectorielles, mais tout porte à croire que le nouveau dispositif correspondra à une taxe existante dont l’intitulé va changer.

Gain de compétitivité
Le Maroc dispose en fait déjà de plusieurs instruments fiscaux à visée environnementale, sans toutefois constituer un système complet de fiscalité verte. Le pays a mis en place des taxes énergétiques, une TVA différenciée en faveur des énergies propres, des redevances liées à l’utilisation de l’eau, ainsi que des incitations fiscales pour l’importation et l’usage de véhicules électriques ou hybrides. Ces mesures, bien que fragmentées, constituent les prémices d’une fiscalité environnementale structurée.

L’instauration d’une taxe carbone en 2026, qui s’inscrit dans ce mouvement, pourrait marquer une étape décisive vers un cadre fiscal plus cohérent. Les industriels marocains abordent cette échéance avec une certaine sérénité. Un rapport de la Fondation RES4Africa, consacré à la transition énergétique nord-africaine, souligne que l’exposition du Maroc au CBAM demeure limitée, évaluée à 0,3% du produit intérieur brut.

L’étude met en avant les efforts précoces de décarbonation engagés dans certaines filières stratégiques, ce qui réduit la vulnérabilité du pays. Les exportations concernées se concentrent essentiellement sur les engrais phosphatés produits par l’Office chérifien des phosphates (OCP) et la sidérurgie, ainsi que, dans une moindre mesure, le ciment et l’aluminium.

L’agriculture, bien que non directement ciblée par le mécanisme européen, sera également amenée à se conformer progressivement aux standards environnementaux européens, notamment en matière de traçabilité et d’empreinte carbone. L’étude insiste par ailleurs sur l’importance de la coopération bilatérale. Le Partenariat vert UE-Maroc apparaît comme une opportunité pour financer des projets d’énergies renouvelables et accompagner la mise à niveau des entreprises.

À travers ce cadre, les deux parties peuvent œuvrer à développer des normes communes, à faciliter la reconnaissance des certificats d’énergie renouvelable et à renforcer la transparence sur le suivi des émissions. In fine, l’adoption par le Maroc de standards internationaux de reporting carbone et la mise en place de certificats reconnus par l’UE constituent des conditions essentielles pour préserver ses parts de marché et, mieux encore, se positionner comme un acteur crédible de la production bas-carbone dans l’espace euro-méditerranéen.

Hakim Marrakchi
PDG de Maghreb Industries

«Cette taxe ne fait que se substituer à une taxe existante. Elle ne sera pas contraignante, d’autant que l’Europe traverse elle-même une période délicate, prise en tenailles entre ses propres engagements environnementaux et les pressions exercées par les États-Unis. Le moment n’est donc pas opportun pour imposer des mesures restrictives.»

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



Startups : l’écosystème marocain a encore du chemin à faire


Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp Suivez les dernières actualités de LESECO.ma sur Google Actualités

Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters




Bouton retour en haut de la page