Maroc

Plan Maroc Vert : le programme ne fait pas l’unanimité

Plus de quinze ans après son lancement, le Plan Maroc Vert continue d’alimenter les débats. Conçu pour renforcer la sécurité alimentaire, il est désormais critiqué pour ses limites, un modèle jugé inégalitaire, coûteux et mal adapté aux chocs climatiques. Des experts alertent sur une souveraineté alimentaire fragilisée et sur l’avenir incertain de la politique agricole marocaine.

Depuis son lancement en 2008, le Plan Maroc Vert n’a cessé de diviser. Au point d’amener le Parlement à instituer une commission d’évaluation dont les travaux sont toujours en cours. Ses détracteurs dénoncent son inefficacité, exacerbée par les sécheresses répétées dont souffre encore aujourd’hui le Royaume.

Une stratégie paradoxale
Pourtant, un bilan flatteur est énoncé. «Le Plan Maroc Vert a profondément transformé l’agriculture marocaine», a affirmé Ahmed El Bouari, ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, en marge du 19e Forum africain sur les systèmes alimentaires, au Sénégal.

Selon lui, l’expérience marocaine est devenue une référence pour de nombreux pays africains. Grâce à ce programme, les filières auraient été modernisées, les petits exploitants accompagnés et l’autosuffisance alimentaire renforcée. À l’appui de son propos, il cite une hausse de 47% du revenu agricole, une multiplication par 2,7 des exportations et des taux d’autosuffisance jugés «élevés» pour plusieurs produits stratégiques. Il met aussi en avant une économie de près de deux milliards de mètres cubes d’eau d’irrigation et la promotion de pratiques agricoles durables. Néanmoins, ce constat semble refléter une tout autre réalité.

«Certes, il n’existe pas encore d’évaluation exhaustive, mais les rapports officiels d’institutions constitutionnelles pointent de sérieux dysfonctionnements», nuance Mohamed Tahar Sraïri, agronome à l’IAV Hassan II.

Selon lui, les aides publiques ont principalement profité aux grandes exploitations tournées vers l’export, au détriment de l’agriculture familiale vivrière. Le Haut-commissariat au plan (HCP) a lui aussi souligné la dégradation de l’emploi agricole durant ces dernières années. Chiffres à l’appui, un récent rapport du CESE confirme que les politiques agricoles n’ont pas efficacement intégré la petite et moyenne exploitation dans la dynamique du développement rural, limitant leur contribution à la sécurité alimentaire. Entre 2008 et 2018, les fonds destinés à l’agriculture solidaire se sont élevés à 14,5 milliards de dirhams, contre près de 99 MMDH dirigés vers l’agriculture à haute valeur ajoutée.

«À l’heure où le pays ne maîtrise plus ses propres semences de céréales et a perdu sa souveraineté sur la plupart des produits agricoles, les exportations flambent tandis que l’approvisionnement intérieur dépend davantage de l’étranger, au détriment des nappes phréatiques», alerte Sraïri.

Et de poursuivre que «l’objectif de la souveraineté alimentaire est de plus en plus éloigné, avec l’essentiel des approvisionnements en produits vivriers de base (blé tendre, sucre raffiné, etc.) issues d’importations, pour un coût budgétaire estimé à des milliards de dirhams et un impact sanitaire colossal».

Un financement Coûteux
Même constat du côté de Mohamed Bajeddi, agroéconomiste. «Le discours officiel relève davantage de la communication que d’une évaluation chiffrée. Le PMV a déstructuré les filières agricoles et n’a pas intégré la contrainte climatique ni la gestion durable de l’eau», soutient-il.

Selon lui, si la position géographique du Maroc lui confère des atouts certains, d’autres pays africains, tels que l’Éthiopie, ont nettement amélioré leur sécurité alimentaire, alors même que le pays était plongé dans le chaos. L’expert rappelle que l’histoire agricole marocaine ne commence pas en 2008. Jusqu’au milieu des années 1970, les investissements et plans de filière permettaient une balance alimentaire excédentaire.

Depuis, le déficit s’est installé. La dépendance aux semences étrangères illustre cette fragilité. Plus de 80% des variétés de céréales vendues aujourd’hui au Maroc sont importées, alors que le développement d’une nouvelle variété prend près d’une décennie.

Or, dès l’Indépendance, le pays avait misé sur l’autosuffisance alimentaire et investi dans des programmes de production de semences, notamment céréalières. La filière animale, elle aussi, s’est progressivement affaiblie. Une situation qui suscite de vives inquiétudes surtout que le modèle a atteint ses limites, comme l’a soulevé Mohamed Tahar Sraïri, vu l’épuisement des nappes, la baisse de la fertilité des sols et les pertes de milliers d’opportunités d’emplois.

In fine, l’apport majeur du PMV aura été d’améliorer l’accès au financement agricole, au prix d’un endettement extérieur estimé à plus de 15 milliards de dollars. Mais, malgré ce potentiel, le Maroc peine à répondre aux besoins alimentaires de sa population et reste dépendant des importations pour les produits de base comme pour les semences.

La flambée des prix agricoles sur les marchés intérieurs érode un peu plus le pouvoir d’achat des ménages et nourrit le spectre d’une insécurité alimentaire qui pourrait s’annoncer durable si les mêmes conditions se maintiennent.

Mohamed Tahar Sraïri
Agronome

«À l’heure où le pays ne maîtrise plus ses propres semences de céréales et a perdu sa souveraineté sur la plupart des produits agricoles, les exportations flambent tandis que l’approvisionnement intérieur dépend davantage de l’étranger, au détriment des nappes phréatiques.»

Mohamed Bajeddi
Agroéconomiste

«Le PMV a déstructuré les filières agricoles et n’a pas intégré la contrainte climatique ni la gestion durable de l’eau. L’histoire agricole marocaine ne commence pas en 2008. Jusqu’au milieu des années 1970, les investissements et plans de filière permettaient une balance alimentaire excédentaire.
Depuis, le déficit s’est installé.»

Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO



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