Maroc

Notations souveraines : l’investment grade, une évidence que les agences tardent à acter

À l’heure où l’Afrique renoue avec les marchés financiers, le Maroc se distingue par une gestion souveraine exemplaire. Entre stabilité des notations (BB+/Ba1), succès technique sur les Eurobonds et perspective positive de S&P, le Royaume consolide méthodiquement son accès à l’investment grade, malgré une dette publique élevée.

Stabilité des notations, taux compétitifs, sursouscription record…, autant de signaux attestant que l’élan du Maroc vers l’élite financière mondiale n’est pas loin. Le dernier rapport mensuel d’Afreximbank sur l’environnement macroéconomique africain offre un instantané révélateur des dynamiques de crédit souverain et d’accès aux marchés sur le continent.

Si plusieurs nations africaines ont bénéficié d’améliorations de notation significatives, le cas du Maroc se distingue par sa résilience stratégique et son positionnement avancé vers la catégorie investment grade, confirmé par ses récentes prouesses sur le marché des Eurobonds. Pour rappel, l’«Investment grade» est le Graal de la finance souveraine.

Pour le Maroc, l’atteindre signifierait un accès plus facile et moins coûteux aux financements internationaux, une plus grande attractivité pour les investisseurs et une reconnaissance forte de sa résilience économique et de la qualité de sa gestion. Le rapport d’Afreximbank et les données complémentaires montrent qu’il est actuellement au seuil de cette catégorie prestigieuse, avec une probabilité élevée d’y accéder si ses performances et réformes se poursuivent.

Contexte régional
Afreximbank souligne une tendance positive nette en mai 2025, avec cinq upgrades souverains recensés par Fitch (Nigeria, Ghana, Togo, Zambie, et un second pour le Ghana), contrastant avec cinq changements d’outlook négatifs (Cameroon, Égypte, Rwanda, Botswana).

Une amélioration des fondamentaux perçus qui a permis à plusieurs pays de «entrer dans la volatilité financière avec des fondamentaux solides» et de retrouver l’accès aux marchés internationaux. Un retour qui se matérialise par une augmentation progressive des émissions cumulées en 2024-2025, passant de 2,6 milliards USD en janvier 2024 à 23,1 milliards en juin 2025.

Des pays comme l’Angola, l’Égypte, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Maroc ont profité de «conditions de marché favorables» pour émettre des Eurobonds, avec des conditions variables reflétant leur niveau de risque perçu (taux allant de 6,5% pour le Gabon à 10,75% pour le Cameroun). Dans ce panorama, le Royaume occupe une place particulière.

Une stabilité souveraine exemplaire
Le Maroc affiche en 2025 une stabilité notable de ses notations souveraines, contrastant avec les fluctuations observées chez d’autres économies africaines. Cette constance est attestée par les quatre principales agences de notation : Moody’s maintient la note Ba1 avec perspective stable (confirmée en septembre 2024 et mars 2025), tandis que Standard & Poor’s (S&P) conserve BB+ avec perspective positive depuis mars 2024.

Fitch Ratings et Scope Ratings confirment cette tendance, maintenant respectivement leur évaluation à BB+ (stable) en octobre 2024 et début 2025. Une unanimité qui positionne systématiquement le Royaume dans la catégorie spéculative supérieure (BB+/Ba1), à la porte de l’investment grade (BBB-/Baa3). Une résilience qui reflète une gestion macroéconomique solide, une stabilité institutionnelle reconnue et une gestion budgétaire prudente, malgré un contexte mondial marqué par la volatilité.

Bien que les agences soulèvent des défis persistants – dette publique élevée (71% du PIB), pressions sociales et nécessité d’accélérer les réformes structurelles –, l’outlook positif de S&P constitue un signal fort. Il indique une «forte probabilité d’amélioration de la notation» si le Maroc pérennise ses réformes et renforce sa croissance économique, consolidant ainsi sa trajectoire vers le statut d’emprunteur premium.

Succès éclatant sur le marché des Eurobonds
L’émission d’eurobonds par le Maroc, en mars 2025, révèle une performance technique remarquable. Le Trésor marocain a levé 2 milliards d’euros – sa première opération dans cette devise depuis 2020 – structurée en deux tranches : 900 millions à 3,95% sur 4 ans et 1,1 milliard à 4,85% sur 10 ans.

L’opération a été sursouscrite environ trois fois, démontrant un «fort appétit des investisseurs» et validant un «profil de risque du Maroc amélioré». Un succès qui positionne le pays dans le top 10 des émetteurs émergents sur le marché des Eurobonds en 2025. Soulignons que les taux obtenus, extrêmement compétitifs surtout sur la tranche décennale, sont bien inférieurs à ceux de nombreux pairs africains récents.

À titre de comparaison, le Cameroun a émis à 10,75% en 2025 et le Kenya à 10,375% en 2024. Une compression des spreads qui reflète non seulement la confiance des investisseurs dans la résilience économique marocaine post-crise (sécheresse, inflation), mais aussi l’efficacité de la stratégie du Trésor. La maturité étendue (10 ans) à un taux contenu constitue un gage de stabilité à long terme, renforçant l’image d’une gestion proactive de la dette souveraine.

Stratégie financière opportuniste et prudente
Le Trésor marocain a démontré une acuité stratégique remarquable dans la gestion de sa dette souveraine, alliant opportunisme de marché et rigueur financière. Son émission réussie de mars 2025 illustre cette maîtrise : le timing a été savamment calibré pour profiter d’un «contexte d’assouplissement monétaire en zone euro» – abaissant mécaniquement les taux de référence tout en capitalisant sur une «fenêtre de marché optimale» post-élections américaines, comme anticipé dès octobre 2024.

Ce double alignement conjoncturel, souligné dans les données complémentaires, a permis de minimiser les coûts de financement tout en maximisant la demande des investisseurs. Parallèlement, cette opération s’inscrit dans une politique de financement extérieur structurée, visant explicitement à «privilégier les financements extérieurs» pour couvrir 89% des besoins nets en devises en 2025.

Cette approche prudente, initiée dès 2023 avec une levée de 2,5 milliards USD, révèle une vision à moyen terme : diversifier les sources de financement, sécuriser les réserves de change et réduire la vulnérabilité aux chocs externes, tout en maintenant une dette publique soutenable malgré son niveau élevé. Ainsi, cette combinaison d’opportunisme tactique et de discipline budgétaire place le Maroc en modèle de gouvernance de la dette parmi les émergents africains.

Une opportunité à saisir
L’analyse combinée du rapport Afreximbank et des données sur le Maroc révèle un pays qui, sans avoir eu besoin d’un upgrade immédiat en 2025, consolide sa position de tête parmi les émetteurs souverains africains. Sa stabilité politique et macroéconomique, couplée à une gestion proactive et habile de sa dette (choix des devises, timing des émissions, relations avec les investisseurs), lui a permis de capter des financements à des conditions très favorables, bien meilleures que la plupart de ses pairs continentaux.

La perspective Positive de S&P est l’élément le plus significatif à court terme. Elle place le Maroc à un seuil critique. Cela dit, la matérialisation de cette amélioration vers l’investment grade dépendra de la poursuite effective des réformes – notamment fiscales pour contenir la dette et stimuler la croissance – et de la capacité à transformer les succès d’accès au marché en investissements productifs, renforçant la résilience économique à long terme. La sursouscription massive de mars dernier montre que les investisseurs internationaux croient en cette trajectoire.

Un cas d’étude en matière de gestion de la dette souveraine

L’Afrique navigue dans une période de volatilité financière avec des fondamentaux globalement en amélioration, permettant un retour significatif sur les marchés de capitaux. Dans ce paysage, le Maroc se distingue non par un changement soudain de notation, mais par la solidité de son ancrage dans la catégorie spéculative supérieure (BB+/Ba1) et par sa capacité démontrée à lever des fonds importants sur les marchés internationaux (euro et dollar) à des conditions favorables.

Sa stratégie financière opportuniste, sa stabilité politique et la confiance maintenue des agences de notation – culminant avec l’outlook Positive de S&P – le positionnent comme l’un des pays africains les plus proches de franchir le cap symbolique et financièrement crucial de l’investment grade, à condition de poursuivre résolument ses réformes structurelles.

En définitive, le Royaume demeure un cas d’étude en matière de gestion de la dette souveraine et d’accès aux marchés internationaux pour les économies émergentes africaines.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



PLF 2026 : cap sur l’investissement et l’inclusion


Recevez les actualités économiques récentes sur votre WhatsApp Suivez les dernières actualités de LESECO.ma sur Google Actualités

Rejoignez LesEco.ma et recevez nos newsletters




Bouton retour en haut de la page