Maroc

Code du cinéma : nouvelles règles, anciens équilibres fragilisés ?

Le gouvernement a validé une série de décrets d’application de la loi 18.23, qui réorganise en profondeur l’industrie cinématographique marocaine. Entre ambitions de structuration et inquiétudes des exploitants, le secteur est à la croisée des chemins.

Adoptée au nom de la modernisation du secteur, la loi 18.23 marque un tournant pour le cinéma marocain. En cours de déploiement, elle vise à doter le pays d’un cadre juridique adapté aux nouvelles réalités de l’industrie cinématographique. Réuni le 24 juillet, le Conseil de gouvernement a adopté trois décrets d’application fixant les conditions d’exercice de la production, les modalités d’enregistrement au registre national du cinéma, ainsi que les règles relatives au label « studio » et à la carte du professionnel du cinéma.

Portée par le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid, cette réforme s’inscrit dans une volonté de structurer les métiers du secteur, d’encourager l’investissement, et de renforcer la position du Maroc comme destination de tournage.

« L’objectif est de renforcer le professionnalisme du secteur et le savoir-faire de ses ressources humaines », a insisté Mustapha Baitas, porte-parole du gouvernement, lors d’un point de presse.

Structurer sans fragiliser
Parmi les mesures phares instaurées par la loi 18.23, la séparation stricte entre les activités de distribution et d’exploitation suscite de nombreuses réactions. Cette disposition vise à limiter les situations de concentration verticale et à renforcer la transparence économique dans le secteur. Concrètement, les exploitants de salles ne peuvent plus assurer la distribution commerciale des films, sauf via une entité distincte.

Déjà évoquée dans nos colonnes par Pierre-François Bernet, directeur de Ciné Atlas, cette mesure continue de faire débat. Contacté de nouveau après l’adoption des décrets, il précise que la distribution représentait environ 30 % du chiffre d’affaires de son entreprise et jusqu’à 40 % de sa marge, des revenus qu’il réinvestissait intégralement dans la construction de nouvelles salles.

« Tous mes bénéfices de la distribution servaient à construire des cinémas », confie-t-il.

À ses yeux, l’interdiction du cumul des activités, mise en œuvre sans dispositif transitoire ni mesures d’accompagnement, risque de freiner les projets d’expansion des exploitants indépendants. Il indique réfléchir à un nouveau modèle économique plus adapté au nouveau cadre juridique.

Un marché en recomposition
Pour le gouvernement, cette réforme s’inscrit dans une dynamique plus large de réorganisation du Centre cinématographique marocain (CCM), de clarification des statuts professionnels, et de renforcement de la régulation. Le texte définit précisément les notions de production cinématographique, encadre les sociétés selon des critères juridiques et financiers, et crée un système de visas d’exploitation à finalité commerciale ou culturelle.

Du côté des professionnels, le ressenti reste contrasté. Certains y voient une avancée dans la structuration du secteur, d’autres redoutent un bouleversement des équilibres établis.Selon de récentes données, le nombre de distributeurs actifs est passé de 10 à 40 entre 2017 et 2024, traduisant une ouverture progressive du marché et une plus grande diversité d’acteurs.

Pour les autorités, cette évolution justifie la nécessité de réguler les positions dominantes et de clarifier les fonctions de chacun. Mais du côté des exploitants historiques, l’argument ne suffit pas à dissiper les craintes. Plusieurs rappellent qu’ils ont longtemps assuré, parfois à perte, la diffusion de films marocains peu rentables, par engagement culturel. Ils redoutent qu’en fragilisant leur modèle économique, la réforme n’entraîne un recul de la diversité des œuvres programmées en salle, au profit de productions plus commerciales.

Une loi en quête d’équilibre
Au-delà de la séparation des fonctions, la loi 18.23 introduit un registre national du cinéma, piloté par le CCM, censé offrir plus de transparence et de traçabilité sur l’ensemble des activités liées à la production, la distribution et l’exploitation.

Elle met aussi en place un label « studio » et une carte professionnelle pour reconnaître les compétences des acteurs du secteur. Mais la mise en œuvre de cette réforme intervient dans un contexte post-Covid encore fragile. Plusieurs salles poursuivent le remboursement de leurs dettes, et les marges restent étroites.

« Je ne suis pas contre la réforme, mais elle a été décidée sans que nous ayons vraiment voix au chapitre », affirme Bernet, qui avait adressé un rapport au ministère sans obtenir de réponse.

Vers un consensus ?
Le ministre Bensaid a plusieurs fois défendu cette réforme comme un texte « au service du cinéma national », destiné à encourager la création, à favoriser la coproduction, et à attirer davantage de tournages étrangers. En 2024, plus d’un milliard de dirhams d’investissements étrangers ont été enregistrés dans le secteur.

Le défi aujourd’hui est de concilier cette dynamique avec la réalité économique des opérateurs locaux. À ce stade, la loi 18.23 a été publiée au Bulletin officiel et ses décrets d’application sont en vigueur. Reste à observer son impact concret sur les chaînes de valeur du cinéma marocain et sa capacité à fédérer l’ensemble des acteurs du secteur autour d’un modèle durable et compétitif.

«Vers une reconnaissance formelle des métiers du cinéma»

Parmi les dispositifs introduits par la loi 18.23 et précisés dans les décrets adoptés le 24 juillet, figure la mise en place d’un label « studio » destiné à encadrer les infrastructures techniques et logistiques dédiées à la production cinématographique.

Ce label, délivré par l’autorité gouvernementale en charge de la Communication, vise à garantir un standard de qualité pour les installations professionnelles (studios de tournage, post-production, plateaux, etc.) et à renforcer l’attractivité du Maroc auprès des productions étrangères. La réforme prévoit également la création d’une carte du professionnel du cinéma, qui sera délivrée aux individus exerçant une activité liée à l’industrie cinématographique dans des conditions précises.

Cette carte, attendue par de nombreux techniciens, scénaristes, réalisateurs et intermittents du secteur, vise à reconnaître officiellement les compétences, sécuriser les parcours professionnels et faciliter l’accès aux dispositifs de soutien. Ces deux outils marquent une étape importante dans la structuration des métiers du 7e art au Maroc.

Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO



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