Rétrospective : le football marocain face à ses paradoxes

À l’approche du Mondial 2030, coorganisé par le Maroc, l’Espagne et le Portugal, Omega Think Tank dresse un bilan des vingt-cinq dernières années du football national, mettant en lumière un paysage contrasté. Des exploits continentaux et mondiaux cohabitent avec des lacunes structurelles criantes, notamment dans la gouvernance des clubs.
À cinq ans du Mondial 2030 que le Maroc coorganisera avec l’Espagne et le Portugal, le temps est au bilan. Dans un rapport fouillé, OMEGA Think Tank dresse un état des lieux lucide du football national sur les vingt-cinq dernières années. Entre succès spectaculaires sur la scène internationale et stagnation chronique dans la structuration des clubs, le contraste est saisissant.
Sur le plan des sélections, la période 2000-2025 aura été marquée par des performances en dents de scie. L’équipe nationale A, malgré l’enthousiasme généré par son épopée lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022, échoue toujours à reconquérir le titre continental.
La finale perdue de la CAN 2004, les éliminations prématurées en phase de groupes et le revers inattendu contre l’Afrique du Sud en huitièmes de la CAN 2023 nourrissent le sentiment d’un potentiel inabouti. Si la stratégie de recrutement massif au sein de la diaspora a permis de construire un groupe compétitif, le manque de continuité dans les choix techniques et les instabilités de gouvernance ont souvent contrecarré les dynamiques enclenchées.
Jeunes, futsal et football féminin : les moteurs silencieux
La principale satisfaction provient des catégories inférieures, du futsal et du football féminin, qui ont connu une progression fulgurante, grâce à des politiques de long terme. Depuis l’émergence de l’Académie Mohammed VI et le virage stratégique opéré à partir de 2016, les sélections U17 et U23 se sont imposées parmi les meilleures du continent. Les U23 ont remporté la CAN 2023 à domicile, se qualifiant pour les JO de Paris 2024, d’où ils sont repartis avec une médaille de bronze et le soulier d’or pour Soufiane Rahimi.
En parallèle, le futsal marocain est devenu une référence mondiale. Trois titres continentaux consécutifs (2016, 2020, 2024), un entraîneur – Hicham Dguig – sacré meilleur au monde, et une sixième place au classement FIFA en 2025 attestent de cette montée en puissance. La régularité de cette discipline s’explique par une continuité rare dans l’encadrement, mais aussi par un écosystème structuré, soutenu par la FRMF et imposé à l’ensemble des clubs.
Le football féminin n’est pas en reste. La mise en œuvre d’un plan national ambitieux entre 2020 et 2024 a permis de professionnaliser les clubs, d’élargir la base de pratiquantes et de hisser les sélections nationales à un niveau inédit. Les Lionnes de l’Atlas ont atteint la finale de la CAN 2022 et les huitièmes de finale de la Coupe du monde 2023 en Australie, une première pour une nation arabe et africaine. Des résultats encourageants qui restent toutefois fragiles, tant l’investissement médiatique et l’intérêt populaire demeurent timides.
Des clubs performants sur le terrain, mais déficients en gestion
Sur le front des clubs, le tableau est plus nuancé. Sur la scène continentale, les représentants marocains ont remporté 16 titres africains depuis 2000, notamment grâce aux performances du Wydad, du Raja, de la RS Berkane et de l’AS FAR.
Le Maroc est ainsi devenu la deuxième nation africaine en nombre de trophées sur la période, derrière l’Égypte. Le point culminant reste l’épopée du Raja lors de la Coupe du monde des clubs 2013, conclue par une finale historique face au Bayern Munich. Mais ces exploits masquent une réalité bien moins glorieuse : la fragilité chronique de la gouvernance. Le professionnalisme décrété en 2011-2012 n’a pas été suivi des garde-fous nécessaires pour assurer la viabilité des clubs. L’explosion des salaires, l’absence de contrôle financier rigoureux et les litiges à répétition illustrent une gestion souvent opaque et court-termiste.
«Si les règles comptables étaient scrupuleusement appliquées, la quasi-totalité des clubs serait éligible au dépôt de bilan», avertit le rapport d’OMEGA Think Tank.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que seuls quatre clubs – le Raja (21 titres), le Wydad (12), l’AS FAR (10) et la RSB (8) – concentrent la majorité des trophées nationaux et internationaux. La concentration des performances, couplée à la précarité économique de nombreux clubs historiques, pose la question de la pérennité du modèle.
L’enjeu de 2030 : bâtir un modèle soutenable
Alors que le Royaume se prépare à accueillir la Coupe du monde 2030, le football marocain se trouve à la croisée des chemins. Les fondations techniques et sportives sont là, les talents aussi. Mais sans une réforme en profondeur de la gestion des clubs, le système risque de s’effondrer sous son propre poids. Pour OMEGA Think Tank, ce chantier sera déterminant pour juger de l’efficacité de l’actuelle administration de la Fédération royale marocaine de football.
«Ceux qui tentent d’exonérer la FRMF de ses responsabilités ne lui rendent pas service», prévient le rapport. L’organisation du Mondial peut être un catalyseur, à condition de faire émerger un écosystème réellement professionnel, capable de soutenir l’excellence sportive dans la durée.
S.N. avec Agences / Les Inspirations ÉCO