Maroc

Grande distribution alimentaire : la concurrence agit-elle vraiment sur les prix ?

C’est un travail de titan et à la fois inédit qu’a réalisé le Conseil de la concurrence dans l’avis qu’il vient de publier sur la concurrence dans la distribution des produits alimentaires. Pour le consommateur et les ménages, ces investigations ont le mérite d’apporter un éclairage, entre autres, sur les sources qui entretiennent l’inflation alimentaire, indépendamment des facteurs «importés» et de six années consécutives de sécheresse.

Dans l’approche méthodologique du Conseil de la concurrence, certaines familles de produits ont été exclues du périmètre des investigations du Conseil parce qu’elles avaient déjà fait l’objet d’examen dans le cadre de ses précédents avis, telles que les fruits et légumes et les huiles de table. À ces produits, s’ajoute la famille des produits céréaliers de la première transformation (farine, semoule) et des poissons (sardine) qui font l’objet de traitement, par ailleurs, dans le cadre de prochains avis.

Sur les différentes familles de produits alimentaires restants et en se référant aux résultats de l’analyse des deux critères précités (IPC et composition du panier de base), trois familles distinctes de produits ont été retenues : les produits laitiers (laits, beurre et fromage fondu), les conserves végétales (concentré de tomates et confiture), ainsi que la semoule de couscous et les pâtes alimentaires. La pertinence de ce choix, lequel repose sur des familles distinctes de produits, s’explique également par l’objectif visant à disposer d’une diversité de grilles d’analyse en matière de circuits de distribution.

En effet, en passant des produits laitiers frais aux conserves végétales, par exemple, les circuits de distribution peuvent différer et les contraintes y afférentes ne peuvent être abordées de la même manière. Précisément, le lait (pasteurisé), le beurre et le fromage fondu sont des produits frais, périssables et d’une durée de vie courte, entraînant des exigences spécifiques en termes de chaîne de froid.

De ce fait, leur écoulement doit se réaliser d’une façon plus rapide suivant un circuit de distribution direct ou court. En revanche, les conserves végétales et les pâtes alimentaires et semoule de couscous sont des produits stérilisés et non-périssables, qui ont une durée de vie longue, ne posant pas d’impératifs particuliers, ce qui leur fait emprunter un circuit de distribution plus long avec l’intervention de plus d’un intermédiaire, avant d’arriver au consommateur final.

Grande distribution vs circuit traditionnel : Y a pas photo
S’agissant des circuits de distribution utilisés dans ces marchés, l’essentiel du chiffre d’affaires du secteur, soit près de 86%, se fait au niveau du circuit de distribution traditionnel des petits commerces, dont le nombre s’élève à près de 80.000 points de vente.

En vue de promouvoir leurs produits et respecter la chaîne du froid, les plus grands opérateurs du secteur fournissent aux épiceries des équipements de froid avec leur propre logo (plus de 70.000 réfrigérateurs déjà placés par les opérateurs du secteur dans les différents points de vente). Le deuxième circuit de distribution passe par la distribution au niveau des GMS, qui représente 8 à 12% des ventes et où les produits des coopératives locales sont peu représentés.

Cependant, les grands opérateurs demeurent les plus présents et prévoient des offres spéciales dans de grands conditionnements, comme par exemple, le lait UHT en paquet de 6 ou les yaourts en paquet de 8 unités dans des emballages dits familiaux, avec des prix inférieurs de 20% à ceux pratiqués à l’unité dans les épiceries.

Écarts de prix fournisseurs-distributeurs
L’amont laitier présente la particularité de ne pas être concerné par le phénomène des intermédiaires que connaît toutes les autres filières agricoles. Il n’y a donc pas de phénomène d’addition de prix autre que le prix exact du produit et des frais logistiques.

Néanmoins, soulignent le Conseil de la concurrence, le prix moyen annuel du lait payé aux éleveurs a enregistré au cours de la période 2021-2023 une augmentation cumulative de plus de 28%, passant de près de 4,18 DH/L en 2021 à 4,51 DH/L en 2022 (+8%), puis à près de 5,36 DH/L en 2023 (+19%).

Cette augmentation du prix a été appliquée par tous les opérateurs industriels du marché pour compenser les coûts de production et visait à réinvestir auprès des fermiers afin de pérenniser l’activité impactée, notamment par les années de sécheresse répétitive, les répercussions de la pandémie de Covid et par le renchérissement des coûts des matières premières et des intrants agricoles, tels que les engrais et le carburant.

Cas du lait pasteurisé : la stabilité des prix
En ce qui concerne le lait pasteurisé, l’analyse de la corrélation entre la variation du prix de vente final au consommateur dans le circuit traditionnel et les tarifs de cession fournisseurs montre que l’écart entre les deux variables est resté inchangé, avec une moyenne de 0,30 DH (soit 9% du tarif de cession) au cours de la période 2021-2023, bien qu’une légère baisse ait été observée en 2022 (0,25 DH).

La comparaison inter-opérateurs illustre que les tarifs de cession ainsi que les prix de vente finaux sont quasiment similaires, avec seulement quelques centimes de différence pour les tarifs de cession.

L’analyse des données relatives au lait UHT entier montre que les écarts entre les tarifs de cession et les prix de vente varient en moyenne entre un minimum de 0,39 DH/L enregistré en 2022 et un maximum de 1,47 DH/L constaté en 2023, soit des taux de marge respectifs de 5% et 15%.

En termes de tendance, la marge brute totale a diminué d’environ 72 centimes entre 2021 et 2022, avant d’augmenter plus significativement en 2023, pour atteindre près de 1,47 DH/L, soit une hausse de 1 DH par rapport à 2021 et de plus de 58 centimes par rapport à 2022. Il est par ailleurs à noter qu’à l’instar du lait pasteurisé, les tarifs de cession des deux opérateurs auditionnés pour le lait UHT 1L entier diffèrent, tandis que le prix de vente final pratiqué par les épiciers est le même pour les deux marques de ce produit.

Les raisons de la flambée du beurre
Les données sur le beurre montrent que l’augmentation des prix de vente finaux relevés est plus significative que celle des tarifs de cession des fournisseurs, dans la mesure où l’écart entre les deux variables, que sont le tarif de cession et le prix de vente final au consommateur, est passé de près de 7 DH/kg en moyenne en 2021 à plus de 16 DH/kg en 2023, soit plus du double. Relativement au poids, ces écarts représentent respectivement 12% et 16% des tarifs de cession pratiqués par les fournisseurs.

Les positions aval de la filière laitière

Le maillon aval de la filière est structuré autour de 2 grands groupes d’acteurs distincts. En premier lieu, le réseau de transformation industrielle traite environ 70% du volume de lait cru collecté, qui est composé par les coopératives approvisionnées par les éleveurs adhérents et le secteur privé agissant dans le cadre d’un système d’agrégation.

L’industrie laitière compte environ 82 usines ou petites unités agréées, dont 20 unités traitent plus de 95% de la production et qui sont présentes dans les principales zones géographiques de production en amont.

Dans ce maillon industriel, 12 sociétés réalisent plus de 86% du chiffre d’affaires total de l’industrie laitière. Toutefois, bien que le nombre d’acteurs de la transformation soit important, trois sociétés représentent à elles seules près de 74% du marché (tous produits confondus).

En effet, les chiffres de 2023 indiquent qu’en termes de production nationale, la société Centrale Danone arrive en tête avec 30-40% de parts de marché pour les yaourts, suivie par Copag (30-40% de parts de marché), puis de la société Jibal (5-10% de parts de marché).

Le reste est représenté par des coopératives de taille variable, en plus de quelques mini-laiteries industrielles. En deuxième lieu, les circuits de distribution informels se répartissent entre, d’une part, le colportage à travers le circuit des «mahlabats» (laiteries), représentant 15 à 20% des volumes de lait collectés et non manufacturés, et, d’autre part, l’autoconsommation qui atteint 10 à 15% du total de ces volumes.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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