Maroc

Sécheresse. Kamal Aberkani : “Il faut développer une planification agricole adaptée au stress hydrique durable”

Kamal Aberkani
Expert en sciences de l’agriculture, professeur à la Faculté pluridisciplinaire de Nador, Université Mohammed 1er

Un effet domino se propage à travers l’économie marocaine sous l’effet de la canicule. Du réseau électrique saturé par la climatisation à la pression accrue sur les barrages pour l’irrigation, la vague de chaleur révèle l’interdépendance critique des secteurs et l’urgence d’une réponse systémique et intégrée.

Vous évoquez un effet combiné de trois stress, canicule, sécheresse et salinité, qui affecte les cultures. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette accumulation est plus dommageable qu’une simple vague de chaleur ?
L’impact de cette accumulation est bien plus qu’additif, il est synergique et négatif. Une vague de chaleur seule stresse la plante, mais si les sols sont humides, elle peut y puiser de l’eau pour se refroidir par évapotranspiration. Or, après des années de sécheresse, nos sols sont très secs en profondeur. L’irrigation localisée, bien qu’économe, n’humidifie qu’une zone restreinte. La plante subit donc un stress hydrique intense.

Pour se protéger, elle ferme ses stomates, ce qui bloque la photosynthèse et donc sa croissance. À cela s’ajoute la salinité. Le manque de pluies régulières empêche le «lavage» naturel des sols, provoquant une concentration des sels en surface.

Cette salinité constitue un troisième stress qui entrave l’absorption de l’eau et des nutriments par les racines. Cette triple contrainte bloque les processus physiologiques de la plante, menant à des chutes de fleurs, une baisse de rendement et une qualité médiocre des fruits, un phénomène bien plus grave que celui causé par la seule chaleur.

Pour l’arboriculture, vous parlez de la «mémoire» des arbres. Qu’entendez-vous par là, et quelles sont les conséquences à long terme pour des filières stratégiques comme les agrumes ou les rosacées ?
Le concept de «mémoire» de l’arbre signifie qu’un stress intense, comme une canicule ou une sécheresse prolongée, laisse des séquelles durables qui affectent ses performances futures.

L’arbre ne meurt pas forcément, mais il est affaibli de l’intérieur. Ses réserves s’épuisent, son système racinaire peut être endommagé, et sa capacité à produire des bourgeons floraux pour l’année suivante est compromise.

Pour des filières comme les rosacées (pêchers, abricotiers) ou les agrumes, cela se traduit non seulement par une perte sur la récolte de l’année en cours (chute de fruits, petits calibres), mais aussi par une production potentiellement plus faible pour les deux ou trois années suivantes. Chaque canicule «marque» l’arbre et réduit son potentiel productif à long terme. C’est un enjeu majeur pour la pérennité de ces vergers.

Face à ce stress hydrique durable, vous insistez sur la nécessité d’une stratégie «de la fourche à la fourchette». Au-delà des solutions techniques comme l’irrigation, quels sont les principaux arbitrages socio-économiques que le Maroc doit désormais opérer pour garantir sa sécurité alimentaire et la viabilité de son agriculture ?
La vision purement productiviste n’est plus soutenable. La stratégie doit être intégrale. Les arbitrages sont complexes. Par exemple, faut-il continuer à produire des cultures très consommatrices en eau parce qu’elles génèrent des emplois dans certaines régions, ou est-il plus judicieux d’importer le sucre et de reconvertir cette main-d’œuvre et ces terres vers des productions à plus haute valeur ajoutée et plus économes en eau ? Un autre arbitrage concerne l’exportation.

Exporter des fruits et légumes, c’est exporter de «l’eau virtuelle» dont nous manquons, mais cela rapporte des devises et soutient l’emploi.

L’État doit donc trouver un équilibre entre la satisfaction des besoins du marché local pour nourrir la population marocaine à un prix accessible, et les impératifs de la balance commerciale. Il s’agit de planifier intelligemment : que produire, où, en quelle quantité, et pour quel marché, tout en intégrant les coûts réels de l’eau et l’impact social. C’est une planification macro-économique de l’agriculture qui est nécessaire.

Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO



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