Coûts de l’alimentation saine : le Maroc affiche l’une des factures les moins salées du continent

3,1 $ par jour et par personne : c’est le coût moyen d’une alimentation saine au Maroc selon la FAO, contre 4,9 $ en Algérie et en Mauritanie, 4,5 $ en Tunisie. Découvrez les raisons de cet écart.
Selon le récent rapport 2024 de la FAO sur le coût de l’alimentation saine (CoHD), le Maroc se classe au 5e rang africain des pays affichant les coûts moyens quotidiens les plus bas d’une alimentation saine, à 3,1 $ (en parité de pouvoir d’achat), soit environ 28,71 dirhams par personne.
La moyenne quotidienne en Afrique est de 3,74 dollars. Un chiffre qui, ajusté en parité de pouvoir d’achat, place le continent juste derrière l’Océanie (3,46 $) et l’Europe-Amérique du Nord (3,57 $), et devant l’Asie (4,2 $) et l’Amérique latine (4,56 $).
Entendez par «alimentation saine» un régime répondant à quatre critères clés définis par la FAO : la diversité (variété entre et au sein des groupes alimentaires : féculents, légumineuses, fruits, etc.), l’adéquation (apports couvrant les besoins énergétiques et nutritionnels, soit 2.330 kcal/jour), la modération (limitation des excès en graisses, sucres ou sel), et l’équilibre (répartition optimale des macronutriments). S’y ajoute l’exigence de sécurité sanitaire, excluant tout risque lié à la contamination des aliments.
Si cette performance est à saluer, elle contraste avec celle de ses voisins directs : l’Algérie et la Mauritanie occupent les dernières places du classement (48e et 47e) avec un CoHD de 4,9 $, tandis que la Tunisie se situe à la 44e position (4,5 $). Comment expliquer ces écarts régionaux malgré des réalités géographiques et économiques partagées ?
Composition du Top 5 africain
Le classement 2024 de la FAO sur le coût quotidien d’une alimentation saine en Afrique place en tête le Soudan, avec un montant de 1,9 $ par personne, suivi de la Tanzanie (2,7 $), de Sao Tomé-et-Principe (3 $), de la Guinée (3,1 $) et du Maroc, qui clôture ce Top 5 avec un coût identique à celui de la Guinée (3,1 $). Ces pays se distinguent par des systèmes agroalimentaires marqués par une relative résilience, une production locale diversifiée et des coûts logistiques maîtrisés.
Toutefois, le cas du Soudan, en tête du classement avec 1,9 $, mérite nuance : la guerre civile qui ravage le pays depuis 2023 a drastiquement perturbé ses systèmes de production et de distribution, rendant les données FAO – collectées avant le conflit – peu représentatives de la réalité actuelle. Si le rapport souligne sa faible dépendance historique aux importations, l’effondrement des circuits locaux sous les violences remet en cause cette résilience, exposant des millions de personnes à l’insécurité alimentaire.
La Tanzanie bénéficie notamment du fait d’être largement agricole avec une production importante de maïs, manioc, patate douce et autres cultures vivrières. Le fait de dépendre significativement des importations pour certains produits alimentaires clés comme les céréales (blé et riz), l’huile (notamment de palme), le sucre et les produits d’origine animale (poissons, lait, œufs) ne semble pas affecter considérablement son classement.
Le Maroc, pour sa part, combine des politiques agricoles volontaristes et une connectivité territoriale facilitant l’accès aux marchés locaux. Ce palmarès reflète toutefois des réalités hétérogènes : si Sao Tomé-et-Principe, petit État insulaire, mise sur des circuits courts, la Guinée et le Maroc doivent composer avec des défis structurels, comme l’informalité des échanges ou les disparités rurales-urbaines.
Un classement révélateur des disparités régionales
Le Maroc, avec un CoHD de 3,1 $, se positionne bien en deçà de ses voisins maghrébins : l’Algérie et la Mauritanie affichent des coûts journaliers de 4,9 $, soit un écart de 36% et 37% respectivement, tandis que la Tunisie enregistre 4,5 $. Des disparités qui illustrent des dynamiques régionales contrastées.
Disons qu’en Afrique du Nord, l’Algérie et la Mauritanie cumulent des handicaps structurels : dépendance accrue aux importations de produits de base (blé, huile), fragmentation des circuits de distribution et coûts élevés des intrants agricoles.
La FAO souligne que ces écarts s’expliquent aussi par la concentration des infrastructures formelles dans les zones urbaines, excluant les populations rurales des marchés compétitifs. Ainsi, si le Maroc bénéficie d’une intégration territoriale partielle, ses voisins paient le prix de modèles économiques peu diversifiés et de systèmes de distribution peu inclusifs.
Facteurs explicatifs : entre politiques publiques et contraintes structurelles
Sur le volet de la diversification agricole et des réformes institutionnelles, le Maroc a investi dans la modernisation de son agriculture via le Plan Maroc Vert, visant à améliorer la productivité et l’accès aux marchés locaux. Cette stratégie a renforcé la production de fruits, légumes et céréales, réduisant la dépendance aux importations.
En revanche, l’Algérie, malgré un potentiel agricole similaire, reste tributaire des hydrocarbures, avec un secteur agricole sous-investi et fragmenté. Sur le volet de la géographie et la connectivité des marchés, le Maroc bénéficie d’une connectivité logistique entre zones rurales et urbaines, facilitée par des infrastructures routières et des coopératives agricoles.
À l’inverse, en Mauritanie, l’enclavement des régions rurales et la faible intégration des marchés locaux alourdissent mécaniquement les coûts. En un mot, la distance entre lieux de production et de consommation en Mauritanie génère des surcoûts logistiques critiques, surtout pour les produits périssables. Sur le volet des politiques de subventions et l’inflation, l’Algérie et la Tunisie subissent les effets de politiques de subventions massives (blé, huile, sucre), qui, bien qu’atténuant l’insécurité alimentaire à court terme, déforment les prix et découragent la diversification.
Au Maroc, les subventions ciblent davantage les intrants agricoles (engrais, semences), soutenant une offre locale compétitive. Mais tout n’est pas rose au Maroc. En effet, un coût d’alimentation saine relativement bas ne garantit pas automatiquement l’accès à une alimentation saine, notamment dans les pays où les inégalités de revenu persistent. Malgré un CoHD bas, de nombreux Marocains ne peuvent accéder à une alimentation saine en raison de revenus insuffisants – un paradoxe également observé en Algérie et en Mauritanie. La FAO note qu’«un coût bas ne suffit pas : l’accès économique reste lié aux inégalités de revenus et à l’informalité du travail».
Enjeux sous-jacents : au-delà des chiffres
La dépendance aux céréales, en particulier au blé, constitue un frein majeur à la stabilité du CoHD au Maghreb. Les fluctuations des prix internationaux de cette denrée, accentuées par les crises géopolitiques et climatiques, exposent les pays comme l’Algérie et le Maroc à des risques inflationnistes récurrents, malgré des subventions publiques coûteuses.
Parallèlement, l’urbanisation rapide et non planifiée dans ces deux pays alimente une demande croissante en produits transformés, moins chers mais pauvres en nutriments, creusant les inégalités nutritionnelles entre zones urbaines et rurales.
Enfin, la résilience climatique divise la région : si la Tunisie et le Maroc investissent dans des systèmes d’irrigation modernes et des cultures adaptées à la sécheresse, la Mauritanie, confrontée à un stress hydrique chronique et à des sols dégradés, peine à moderniser son agriculture sahélienne, aggravant sa vulnérabilité aux chocs extérieurs. Ces enjeux interconnectés révèlent une tension entre traditions alimentaires, pressions démographiques et impératifs environnementaux.
Implications pour les politiques publiques
Le rapport de la FAO plaide pour des politiques publiques intégrées, articulant soutien à la production locale, éducation nutritionnelle et mécanismes de protection sociale.
Pour le Maroc, consolider sa position dans le classement exige de prioriser les circuits courts, réduisant les coûts intermédiaires et renforçant la résilience des petits producteurs face aux crises. Un rééquilibrage des subventions vers des aliments nutritifs – légumineuses, produits laitiers – plutôt que vers les seules céréales permettrait d’améliorer la qualité des régimes alimentaires, notamment dans les ménages modestes.
Enfin, le déploiement de plateformes numériques pour connecter les zones rurales aux marchés urbains émergents pourrait atténuer les disparités d’accès, tout en valorisant les productions locales. La FAO insiste sur l’urgence d’une «approche systémique», où réformes agricoles, éducation des consommateurs et infrastructures inclusives convergent pour transformer un coût bas en accessibilité réelle, condition sine qua non de la sécurité alimentaire durable.
L’enjeu est de rendre le sain abordable
Si le Maroc surclasse ses voisins maghrébins en matière de coût d’une alimentation saine, les défis de l’accessibilité économique et des inégalités territoriales persistent. La région doit prioriser des réformes structurelles – diversification agricole, logistique inclusive, éducation alimentaire – pour transformer des coûts bas en sécurité nutritionnelle réelle. Comme le résume la FAO, «l’enjeu n’est pas de produire plus, mais de distribuer mieux et de rendre le sain abordable».
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO