Marché de l’œuf : vers des prix cassés ?

À chaque Ramadan, la demande pour les œufs grimpe en flèche, en faisant un produit incontournable. Mais cette hausse de la consommation s’accompagne aussi d’une flambée des prix, ravivant les tensions entre producteurs et commerçants. Alors que ces derniers dénoncent des marges excessives, les professionnels du secteur avicole assurent que les coûts de production restent élevés, notamment en raison du prix des intrants et des conditions climatiques difficiles.
Pendant le mois de Ramadan, certains aliments reviennent inévitablement aussi bien sur les tables du ftour que du shour. Parmi eux, l’œuf occupe une place de choix. Cet incontournable du mois sacré a toujours connu un pic de la demande durant cette période. D’ailleurs, les professionnels du secteur avicole distinguent deux périodes de forte consommation durant l’année : le mois de Ramadan et la période estivale. Et forte demande rime toujours avec hausse des prix. Une évolution qui, par ailleurs, a suscité la polémique entre producteurs et commerçants, lesquels ont dénoncé récemment dans une communication les marges exorbitantes des producteurs d’œufs.
Ambiguïté
L’Association nationale des commerçants et des distributeurs d’œufs a souligné que le coût de revient réel à la production est estimé entre 0,60 et 0,70 centimes, au moment où le prix de vente a dépassé 1,45 dirham l’œuf en sortie de ferme. De plus, cela fait plus d’un an que les prix n’ont pas baissé sous le seuil de 1,10 DH l’unité. L’association a également indiqué que la marge sur les œufs en sortie de ferme n’excède pas trois centimes, lesquels intègrent également les frais de transport.
Pour les distributeurs, elle est comprise entre quatre et cinq centimes, frais annexes inclus. Des allégations réfutées en bloc par les professionnels du secteur qui estiment qu’en dépit des conditions climatiques, l’œuf n’a pas «flambé».
«Il faut savoir que le Maroc détient les prix les moins chers sur le marché mondial, alors qu’aux États-Unis, à titre d’exemple, l’œuf se vend à plus de 10 DH. Et pourtant, au Maroc, les conditions ne sont pas favorables avec la cherté des intrants et la rareté de l’eau. C’est un effort colossal que les éleveurs fournissent pour maintenir la production. Mieux encore, ils s’organisent de manière à ce que le pic de la ponte coïncide avec les périodes de pic pour approvisionner suffisamment le marché», rétorque Youssef Alaoui, président de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (FISA), lequel a précisé que le marché de Casablanca détermine les prix à l’échelle nationale.
Quant au prix de revient, il est compris entre 0,90 et 1,10 DH, en fonction du calibre. Actuellement, le prix de l’œuf gros calibre en sortie de ferme est de 1 DH. Il est vendu au détail à 1,50 DH et peut atteindre jusqu’à 2 DH auprès des grandes et moyennes surfaces. Pour le professionnel, la fluctuation des prix est la résultante de la spéculation.
Par ailleurs, les prémices d’un fléchissement des prix sont déjà visibles sur le marché. Pour autant, les professionnels se disent dans l’incapacité de baisser les prix, comme les y exhortent les pouvoirs publics, puisque les intrants ont flambé. S’ajoutent à cela les ressources hydriques qui font défaut et le fait qu’aucune visibilité sur la situation n’est donnée par les autorités compétentes.
«Dans ces conditions, il est quasiment impossible de faire baisser les prix à moins que l’eau ne soit fournie. Elle sera davantage compliquée une fois l’eau dessalée facturée, bien que l’initiative reste louable», s’inquiète le président de la FISA.
La production 2024 en chiffres
Côté consommation, les chiffres provisoires pour l’exercice 2024, dont nous avons pu nous procurer une copie, renseignent sur la quantité annuelle consommée par habitant. Celle-ci s’élève à 20,9 kilogrammes, toutes viandes blanches confondues.
Pour l’œuf, la consommation est de 171 œufs/habitant/an. Des quantités qui permettent au Maroc de se situer dans la moyenne mondiale. Au niveau de la production, les données du secteur avicole indiquent que pour les poussins chair, elle a atteint 486 millions d’unités, soit une évolution de 1% par rapport à l’exercice précédent. Pour les dindonneaux, la production a également évolué à hauteur de 4%.
Ainsi, la production de la viande de poulet s’est située à 582.000 tonnes (+4% par rapport à 2023) et celle de la viande de dinde a progressé de 13% pour une quantité de 152.000 tonnes. Quant à la production de poussins ponte, elle a reculé de 8%, tandis que la consommation globale a grimpé de 4%, ce qui représente 5,5 milliards d’unités.
Concernant le secteur traditionnel, il a enregistré une production de l’ordre de 50.000 tonnes de viandes et de 800 millions d’unités d’œufs. Au niveau de la production d’aliments, une augmentation conséquente de 20% a été constatée dans les aliments de ruminants pour une production de 1,2 million de tonnes. Les aliments de volailles ont également suivi la même tendance haussière (3% pour 3,4 millions de tonnes).
Dans les abattoirs industriels, le tonnage s’est élevé à 80.273 pour les viandes de poulet de chair (17%) et de 5.106 de viandes de dinde (12%). L’état des importations dénote d’une forte dépendance de certains produits. Les dindonneaux chair ont, en effet, connu une forte évolution avec des importations qui ont grimpé de 386% en une année, pour une quantité de 2.681.000 unités. Les poussins reproduction chair et les poussins reproduction ponte se sont également accrus de 13% (4.245.000 unités) et de 31% (267.700 milliers d’unités).
En revanche, l’importation des œufs à couver poulet de chair a connu un repli de 78%. D’un autre côté les exportations se sont bien comportées, notamment pour le poussin chair (+125%) et les œufs à couver de chair (+15%).
Néanmoins, les viandes et dérivés et les œufs de consommation ont respectivement reculé de 24% et de 39%. Les chiffres soulignent que l’évolution des prix sur l’année a suivi une courbe croissante en particulier pour les viandes (+9% pour le poulet et +8% pour la dinde), contrairement à celui des œufs qui s’est replié de 6%. Les investissements cumulés se sont chiffrés 14,3 MMDH (+1% par rapport à 2023) et le chiffre d’affaires a augmenté de 8%, atteignant 45 MMDH. Les emplois directs dans la filière sont estimés à 156.000 (4%) et les emplois indirects à quelque 359.000.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO