Sécurité routière : l’hécatombe silencieuse qui endeuille l’Afrique
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Chaque jour, des milliers de vies sont fauchées sur les routes. En Afrique, où la mortalité routière demeure l’une des plus élevées au monde, le manque de mobilisation entretient un fléau aux causes multiples. Réunis à Marrakech à l’occasion de la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière, organisée pour la première fois sur le continent, les experts tentent d’y apporter des éléments de réponse.
C’est une pandémie silencieuse qui se déroule dans l’indifférence du quotidien. Chaque jour, sur les routes du monde, 3.300 personnes perdent la vie. Une saignée qui ne provoque ni confinement, ni mobilisation générale, mais qui grève les économies, fracture les familles et prive les nations de générations entières. L’Afrique en porte une part disproportionnée. Avec seulement 3% du parc automobile mondial, le continent concentre près de 19% des décès routiers.
Ce paradoxe tragique a été au cœur des discussions de la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière, organisée pour la première fois sur le sol africain, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Agence nationale de la sécurité routière du Maroc (NARSA).
En ouverture des travaux, une minute de silence a été observée à la mémoire des victimes de la route… de celles et ceux qui ont vu leur destin basculer au gré d’un virage mal négocié, d’un excès de vitesse ou d’une infrastructure défaillante. Puis la parole a été donnée aux ministres, aux experts et aux représentants des organismes internationaux, tous mobilisés autour d’une urgence aux dimensions multiples : infrastructures sous-dimensionnées, urbanisation accélérée ou encore motorisation non contrôlée.
«La sécurité routière doit être une priorité nationale et régionale. Nous devons doter l’Afrique d’institutions fortes capables d’agir en amont et en aval de l’accident», a insisté Aziz Akhannouch, chef du gouvernement.
Les faits sont implacables. Avec un ratio de 19 décès pour 100.000 habitants, l’Afrique dispose du taux de mortalité sur les routes le plus élevé au monde. Comparativement, ce ratio est de 7 morts pour 100.000 habitants en Europe. Les plus vulnérables sont les piétons et les cyclistes, victimes d’un modèle de mobilité qui leur accorde trop peu d’espace.
Plus de la moitié des décès concerne les jeunes de 15 à 35 ans, fauchés dans la force de l’âge. Ce fléau est d’autant plus alarmant qu’il compromet le potentiel de développement du continent. «Une jeunesse décimée, c’est une croissance amputée», souligne Yonas Bekele, expert au sein de la Commission de l’Union africaine.
un Système encore perfectible
L’Afrique est-elle condamnée à subir cette spirale infernale ? Le Maroc, pays hôte de cette conférence, veut croire que des solutions existent. La NARSA met en avant un modèle de gestion des données qui permet un suivi en temps réel des accidents et une meilleure allocation des ressources. Un système encore perfectible, mais qui pourrait servir de base pour une approche plus systémique du risque routier.
Ailleurs sur le continent, des initiatives émergent, notamment, la limitation des vitesses en milieu urbain et le renforcement des contrôles, en plus des campagnes de sensibilisation dans les écoles et à travers les médias. Ces mesures sont jugées insuffisantes par la plupart des spécialistes pour renverser la tendance, mais le débat a le mérite d’être posé.
«Nous sommes encore loin d’atteindre notre objectif de réduire de 50% les décès sur les routes d’ici 2030. Il y a un écart énorme entre les promesses faites dans les discours et la réalité sur le terrain. Tant que nous ne transformerons pas ces engagements en actions concrètes, nous condamnerons chaque jour des milliers de personnes à des blessures et à la mort », insiste Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, en visioconférence avec l’assemblée de la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière.
Cette grand-messe internationale sur la sécurité routière s’achèvera sur une série de recommandations et d’engagements. Leur mise en œuvre dépendra de la volonté politique des États et des financements alloués à ces politiques publiques encore trop souvent reléguées au second plan.
Pourtant, l’enjeu est existentiel. Derrière chaque chiffre, il y a une vie brisée, une famille endeuillée… Il ne s’agit pas d’un simple problème d’infrastructures ou de législation, mais d’un défi sociétal majeur. Un défi auquel l’Afrique ne peut plus se permettre de se dérober.
Tedros Adhanom Ghebreyesus
Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé
«La situation est de plus en plus urgente. Nous sommes à mi-chemin de la seconde Décennie d’action pour la sécurité routière, et pourtant, nous sommes loin d’atteindre l’objectif de réduction de 50% des décès sur les routes.»
Prix Mohammed VI : un demi-million de dollars pour lutter contre les accidents de circulation
Deux chèques conséquents, de 250.000, dollars chacun ont été remis lors de la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière.
En présence, entre autres, du chef du gouvernement et du ministre de l’Intérieur saoudien, Abdessamad Kayouh, ministre du Transport, a ainsi dévoilé le Prix Mohammed VI pour la sécurité routière, doté d’une enveloppe d’un demi-million de dollars.
Une distinction vient, cette année, soutenir les efforts de l’Organisation mondiale de la santé et du Fonds des Nations unies pour la sécurité routière dans la prévention des accidents de la circulation. Un signal fort pour ce congrès et une tradition appelée, selon la tutelle à perdurer dans les prochaines éditions.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO