BTP : les préalables d’une construction bas carbone
![](https://leseco.ma/wp-content/uploads/2025/02/Lafarge.jpg)
La construction demeure l’un des secteurs les plus émetteurs de CO₂, où la transition vers des pratiques durables peine encore à se concrétiser. C’est tout l’enjeu de la conférence «Acte de bâtir durable», qui a rassemblé les acteurs de la chaîne de valeur autour des matériaux bas carbone, de l’économie circulaire et de l’efficacité énergétique.
Avec le foisonnement des chantiers en préparation du Mondial 2030, la question des matériaux de construction s’invite avec acuité dans le débat public. Si le béton et l’acier dominent encore les infrastructures, leur empreinte environnementale impose une refonte des pratiques.
Entre sobriété et innovation, le secteur cherche à concilier impératifs urbains et réduction des émissions de CO₂. C’est tout l’enjeu de la conférence «Acte de bâtir durable», organisée par LafargeHolcim, qui a rassemblé mercredi, à Bouznika, les acteurs de la chaîne de valeur en vue d’identifier les leviers d’une transition durable. Si la réglementation évolue sous l’effet des engagements internationaux, l’équation économique reste un frein majeur.
En effet, l’industrie du bâtiment, responsable de près de 40% des émissions mondiales de CO₂, ne peut plus se contenter de solutions partielles. Béton bas carbone, terre crue, fibres naturelles : ces alternatives offrent des perspectives intéressantes, mais leur mise en œuvre à l’échelle des infrastructures pose encore de nombreux défis. Leur adoption ne pourra se faire qu’au prix d’un changement profond des chaînes d’approvisionnement et des habitudes du secteur.
«Le changement climatique, le stress hydrique ainsi que la nécessité de préserver les ressources naturelles nous poussent à repenser la construction», souligne Khalid Samaka, directeur général de LafargeHolcim Maroc.
L’enjeu est de taille, avec des matériaux bas carbone, le recyclage des déchets de construction et des innovations dans l’isolation, autant de pistes qui peinent encore à se concrétiser.
«Nous développons des produits capables de réduire l’empreinte carbone des bâtiments et encourageons l’économie circulaire en réintégrant les déchets de construction dans le béton ou les infrastructures routières», précise Khalid Samaka.
Si les grands donneurs d’ordre peuvent pour l’heure impulser le changement, inverser la tendance exige la mobilisation de l’ensemble des maillons de la chaîne, de la conception à l’exécution.
«Bâtir durable, c’est adopter des matériaux écoresponsables et des méthodes innovantes pour garantir la pérennité des constructions. Mais l’enjeu dépasse cet aspect technique, il s’agit aussi de préparer l’avenir en intégrant le respect de l’environnement, sans jamais négliger la qualité», insiste Mohammed Mahboub, président de la FNBTP.
Secteur énergivore
À l’évidence, l’efficacité énergétique s’impose comme un levier stratégique pour réduire l’empreinte environnementale du bâtiment. Longtemps perçue comme un impératif secondaire, elle devient une nécessité pour optimiser la consommation de ressources et réduire les coûts sur le long terme.
«L’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas», rappelle un représentant de l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE).
Et d’ajouter que la construction est désormais le premier poste de consommation énergétique, devant le transport.
Selon les données récentes de l’AMEE, le bâtiment et l’éclairage public représentent 37% de la consommation énergétique nationale, contre 36% pour le transport. Ce basculement reflète la prolifération d’équipements énergivores dans les foyers, à commencer par la climatisation, appelée à devenir l’un des principaux postes de consommation sous l’effet du réchauffement climatique.
La COP28 a marqué un tournant en inscrivant l’efficacité énergétique parmi les priorités mondiales, avec un objectif clair : doubler des gains d’efficacité d’ici 2030 pour contribuer à hauteur de 30% à la décarbonation de l’économie. Face à cet enjeu, le cadre réglementaire s’est structuré dès 2011 avec l’introduction d’une loi sur l’efficacité énergétique. La réglementation thermique de la construction, adossée à un zonage climatique en six régions, demeure cependant largement sous-appliquée.
«Les bâtiments publics et certains grands ensembles tertiaires respectent ces normes, mais une large part du parc immobilier échappe encore aux radars», souligne un représentant de l’AMEE.
L’adoption des normes minimales de performance énergétique (MEPS) en 2021 constitue une avancée, imposant des standards pour les climatiseurs, réfrigérateurs et autres équipements électriques. Mais l’absence de contrôle strict et l’inertie des acteurs du secteur limitent encore leur application (voir encadré).
Au-delà des contraintes réglementaires, le manque de mesures incitatives a été pointé du doigt par de nombreux opérateurs. Si des dispositifs de soutien direct existent dans l’industrie et l’agriculture, ils restent embryonnaires dans le bâtiment.
L’absence d’un cadre incitatif fort freine les investissements dans des matériaux et équipements à haute efficacité énergétique. À cela s’ajoutent des obstacles techniques et structurels, tels que le manque d’expertise locale, l’accès limité aux données de consommation et une résistance aux changements.
«Former, former… former»
Pour surmonter ces défis, la formation apparaît comme un levier clé. «La formation continue du capital humain est essentielle pour ancrer une véritable culture de la construction durable. Sensibiliser les professionnels et s’assurer du respect des normes sont des impératifs pour accompagner cette transition», insiste Mohammed Mahboub.
En l’occurence, la maîtrise des normes énergétiques et la conception bioclimatique doivent être intégrées dès l’amont des projets, afin d’assurer la performance durable des bâtiments. Les experts présents à la rencontre ont également souligné l’importance du BIM (Building information modeling), conçu pour centraliser les données des projets.
Cette approche permet d’optimiser la conception, la construction et la gestion des infrastructures, tout en réduisant les impacts environnementaux ainsi que les déchets. En intégrant des critères de durabilité dès la phase de conception, le BIM contribue à rehausser les standards du secteur et à accélérer la transition vers une construction plus responsable.
En marge de la conférence «Acte de bâtir durable», trois conventions ont été signées pour accélérer la transition. Elles portent sur la formation, l’innovation et la digitalisation du secteur, impliquant l’École nationale d’architecture de Rabat, LafargeHolcim et plusieurs fédérations du BTP (voir aussi en page 2).
Ensemble, ces accords convergent vers une trajectoire commune visant à ancrer le Maroc comme un acteur clé de la construction bas carbone. Une dynamique qui s’inscrit dans une prise de conscience collective : la transition vers un modèle plus efficient repose sur des choix structurants, une régulation adaptée et la mobilisation de l’ensemble des acteurs. Sans cela, l’empreinte carbone du secteur continuera de s’alourdir, en contradiction avec les engagements climatiques pris par le Royaume.
Khalid Samaka
Directeur général de LafargeHolcim Maroc
«Le changement climatique, le stress hydrique et la préservation des ressources nous poussent à repenser la construction. Toute la chaîne de valeur est concernée, du design aux matériaux. Nous innovons avec des produits à bas carbone et développons la construction circulaire, en réintégrant les déchets de chantier dans les bâtiments et les infrastructures».
Efficacité énergétique : un délai de grâce accordé aux opérateurs
Les Minimum Energy Performance Standards (MEPS), instaurés par des décrets promulgués en 2021 et entrés en vigueur en novembre dernier, bénéficient d’un délai de grâce. C’est ce qu’a affirmé un représentant de l’AMEE lors de la conférence «Acte de bâtir durable», organisée par Lafarge Holcim.
Experts et acteurs du secteur ont insisté sur la nécessité d’un contrôle renforcé pour assurer une mise en œuvre effective des engagements climatiques, notamment dans le secteur de la construction.
En pratique, les MEPS sont des normes qui fixent des seuils minimaux d’efficacité énergétique pour certains équipements du bâtiment, tels que les climatiseurs, les réfrigérateurs ou encore l’éclairage.
L’objectif est d’éliminer progressivement du marché les équipements les plus énergivores et d’imposer des performances minimales pour réduire la consommation d’énergie et l’empreinte carbone du secteur.
Ayoub Ibnoulfasih / Les Inspirations ÉCO