Réforme de l’IR : 8,6 MMDH pour alléger la pression sur les salariés
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8,6 MMDH, c’est le coût estimé de la réforme de l’impôt sur le revenu (IR). Une mesure qui, en allégeant la pression fiscale sur les salariés, vise à redonner du pouvoir d’achat aux ménages et à stimuler la consommation. Mais cette réforme est-elle réellement soutenable sur le plan budgétaire ? Et, surtout, ses effets seront-ils à la hauteur des attentes ?
Le gouvernement a officiellement dévoilé le coût de la réforme de l’impôt sur le revenu (IR), une mesure destinée à alléger la charge fiscale des contribuables et à renforcer leur pouvoir d’achat. Lors d’un point de presse à l’issue du Conseil de gouvernement, Mustapha Baitas, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, a précisé que cette réforme représentera un coût global de 8,6 milliards de dirhams.
Une enveloppe conséquente qui suscite des interrogations : cette refonte fiscale est-elle soutenable pour les finances publiques ? Et, surtout, ses effets économiques seront-ils réellement à la hauteur des attentes ? Pour y parvenir, plusieurs leviers ont été actionnés : élévation du seuil d’exonération de 30.000 à 40.000 dirhams de revenus annuels, réduction du taux marginal de l’IR de 38 % à 37 %, révision du barème d’imposition et augmentation de la déduction annuelle.
L’ensemble de ces mesures vise à alléger la charge fiscale des salariés et retraités, avec des gains mensuels estimés à 435 dirhams pour un revenu de 10.000 dirhams et à 526 dirhams pour un salaire de 20.000 dirhams. L’une des avancées les plus notables concerne l’exonération totale des pensions et rentes viagères relevant des régimes de retraite de base, pour un coût d’environ 1 milliard de dirhams. Une décision qui bénéficiera à près de 164.744 retraités, dont une grande majorité au sein de la Caisse marocaine de retraite (CMR).
Un levier pour la consommation et l’investissement
D’un point de vue macroéconomique, l’impact attendu est positif. Faouzi Mourji, professeur d’économétrie, souligne que cette baisse d’impôt entraînera une augmentation du revenu disponible, stimulant ainsi la consommation des ménages. «Ça va améliorer la consommation, en tout cas cela va lui permettre de rattraper le manque à gagner inhérent à l’inflation forte des dernières années.»
Il insiste également sur la redistribution implicite opérée par la réforme, qui bénéficie davantage aux salariés à revenus modestes et intermédiaires.
«Les salariés qui touchent des revenus de 10.000 dirhams sont plus avantagés que ceux qui perçoivent 20.000 dirhams. D’une certaine façon, c’est une réforme qui va dans le sens d’une atténuation des inégalités.» Mais au-delà de cet effet immédiat sur le pouvoir d’achat, il faut aussi considérer les impacts indirects.
«La baisse des recettes de l’IR se traduira par une augmentation des recettes issues de la TVA, liée à une hausse de la consommation. De même, un climat fiscal plus favorable peut encourager l’investissement et donc dynamiser la croissance économique.» L’argument central repose donc sur un effet de compensation : la perte de 8,6 milliards de dirhams en recettes fiscales serait en partie récupérée par d’autres canaux, notamment l’impôt sur les sociétés (IS) et la TVA.
Un risque budgétaire mesuré
La question de l’équilibre budgétaire reste toutefois cruciale. Peut-on se permettre un tel manque à gagner sans creuser le déficit public ? Mohamed Boughaleb, expert-comptable et commissaire aux comptes, relativise l’ampleur du choc pour les finances publiques.
«L’impact de cette mesure sur le total des recettes fiscales est minime : 8,6 milliards de dirhams sur 299 milliards de dirhams, soit à peine 3 % des recettes fiscales.»
Il rappelle également que les recettes fiscales sont en progression constante depuis plusieurs années, notamment grâce aux efforts de digitalisation et au renforcement des contrôles. «Entre 2015 et 2024, les recettes fiscales sont passées de 182,25 milliards de dirhams à environ 299 milliards de dirhams, soit une hausse de plus de 64 %. Cela montre bien que l’État a les marges de manœuvre nécessaires pour absorber cette réforme.»
D’un point de vue strictement budgétaire, la viabilité de la mesure ne semble donc pas menacée. En revanche, un autre enjeu se pose : la réforme bénéficie-t-elle suffisamment à la classe moyenne ?
Une redistribution inégale ?
Selon Mohamed Boughaleb, l’effet de cette réforme sur la classe moyenne est réel, mais avec certaines limites. «Au Maroc, le nombre de salariés du secteur privé déclarés qui perçoivent plus de 6.000 dirhams mensuellement ne représente que 16 %. La réforme profitera donc à plus de 84 % des salariés.»
Cependant, il soulève une problématique juridique de taille : si un salarié a négocié son contrat en net, la baisse de l’IR profitera directement à son employeur, et non à lui. Ce qui signifie que tous les salariés ne verront pas nécessairement leur revenu net augmenter.
Par ailleurs, une réforme fiscale, aussi ambitieuse soit-elle, ne peut pas, à elle seule, résoudre le problème de la précarité du marché du travail marocain. Une grande partie de l’économie reste dominée par le secteur informel, où l’impôt sur le revenu ne s’applique tout simplement pas.
Une réforme alignée sur la stratégie fiscale nationale
Cette réforme ne sort pas de nulle part. Elle s’inscrit dans la continuité des recommandations formulées lors des Assises de la fiscalité, qui avaient mis en avant la nécessité d’alléger la fiscalité pesant sur les revenus du travail.
«La fiscalité du travail a longtemps été considérée comme lourde et injuste. Elle décourage la création d’emplois et favorise le développement du secteur informel. La réforme va dans le bon sens, en réduisant la pression fiscale et en incitant potentiellement plus d’acteurs à déclarer leurs revenus», estime Mohamed Boughaleb.
L’un des objectifs affichés est d’élargir la base taxable. En rendant la fiscalité du travail plus attractive, certains employeurs ou indépendants pourraient être incités à déclarer leurs revenus de manière plus transparente.
Un pari sur l’avenir
En définitive, cette réforme de l’IR représente un pari économique, celui de relancer la consommation et d’élargir la base fiscale pour compenser les pertes immédiates de recettes. Si ses effets positifs se matérialisent, elle pourrait constituer une étape clé dans la modernisation du système fiscal marocain. Mais plusieurs défis demeurent.
D’une part, il faudra s’assurer que cette baisse d’impôt profite bien aux salariés et non uniquement aux employeurs. D’autre part, le gouvernement devra surveiller de près l’évolution des recettes fiscales pour éviter toute dérive budgétaire. En attendant, cette réforme marque un tournant dans la politique fiscale du Royaume. Reste à voir si la dynamique enclenchée tiendra ses promesses sur le long terme.
Faiza Rhoul / Les Inspirations ÉCO