Maroc

Impôts : qui gagnera la guerre du chalandage fiscal ?

Comme la plupart des pays, le Maroc concède des dégrèvements de taxes aux investisseurs afin d’améliorer son attractivité. Cette course au moins-disant fiscal est désormais placée sous haute surveillance, comme le chalandage fiscal que pratiquent les investisseurs étrangers. D’où la course à l’harmonisation de la soixantaine de conventions fiscales avec l’accord international de lutte contre l’érosion de la base imposable (BEPS) dont le Maroc est signataire. 

Le chalandage fiscal est plus que jamais dans le collimateur des 147 États qui ont signé la convention BEPS-lutte contre l’érosion de la base imposable. Avec l’aide de grands cabinets conseil et de fiscalistes, les investisseurs, grands ou petits, utilisent les trous dans la raquette des conventions de non double imposition pour minorer l’impôt.

À date, le Maroc aligne un portefeuille d’une soixantaine de conventions (61 exactement) en vigueur dont l’objet est de neutraliser la double imposition et de sécuriser les investisseurs étrangers. En ratifiant la convention «BEPS», le Royaume s’est donné les moyens juridiques susceptibles de permettre à ce que les conventions de non double imposition ne se transforment en tuyaux d’évitement de l’impôt.

Un levier surexploité
À l’initiative de l’OCDE, la communauté internationale a décidé d’en finir avec l’usage abusif des conventions fiscales que pratiquent massivement les grandes entreprises et les investisseurs internationaux pour minorer l’impôt. Le standard minimum relatif au chalandage fiscal décrit dans le Rapport sur l’Action 6 est l’un des quatre standards minimums établis par le projet BEPS.

L’Action 6 du projet BEPS mentionne l’utilisation abusive des conventions fiscales et, en particulier, le chalandage fiscal comme l’une des principales sources de préoccupation dans le domaine de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices (BEPS).

En raison de la gravité du chalandage fiscal, les juridictions ont convenu d’adopter, comme standard minimum, des mesures de lutte contre cette pratique, et de soumettre leurs efforts à un examen annuel par les pairs. Le dernier examen que le Maroc a réussi avec brio remonte à 2023, même s’il lui reste des progrès à réaliser dans le domaine de l’arbitrage en cas de désaccord avec un État étranger sur le lieu d’imposition d’une catégorie de revenus. La manœuvre du chalandage fiscal est certes légale, mais elle est à la limite de la ligne rouge.

Du plus petit cabinet jusqu’aux big Four, cette ordonnance est une prescription courante de conseils aux investisseurs qui veulent s’installer au Maroc. Libre à ces derniers de choisir «la boutique qui affiche la meilleure offre ». La manœuvre consiste à créer un véhicule d’investissement dans le pays auquel des partenaires tiers concèdent le plus d’exemptions ou d’allègements d’impôt sur les revenus générés par ses entreprises installées hors de ses frontières. Chez les grands cabinets d’audit et de conseil présents au Maroc, comme chez les plus petites structures, le chalandage fiscal fait partie des diligences habituelles que déroulent les consultants face aux investisseurs.

Pour faire sauter la taxation de certaines catégories de revenus visés dans les conventions, la manœuvre consiste à se mettre sous le parapluie de l’accord de non double imposition le plus avantageux liant le Maroc à un État tiers en y logeant le véhicule qui porte son investissement dans le Royaume. Rien à voir avec le pays d’origine de l’investisseur. Ce phénomène, qui avait connu une accélération au plus fort de l’explosion du secteur immobilier, des investissements dans l’hôtellerie et les maisons d’hôtes à Marrakech au milieu des années 2000, serait semble-t-il de retour. Les ingénieurs fiscaux sont toujours plus inventifs malgré les obstacles dressés sur leur route.

Des provenances à risque sous haute surveillance
La main sur le cœur, les conseils qui accompagnent les investisseurs étrangers jurent «qu’il n’y a rien d’illégal et qu’il s’agit d’une pratique courante d’optimisation». Mais l’administration fiscale, elle, a une toute lecture. Depuis plusieurs années, ses équipes surveillent la provenance des virements de fonds relatifs aux investissements directs étrangers vers le Maroc. Chat échaudé craint l’eau froide.

Dans les années 2000, la DGI avait relevé une étrange concentration de la Suède dont la convention de non double imposition avec le Maroc prévoyait une exemption totale des dividendes. Pour préserver les intérêts du Trésor, le gouvernement marocain avait dénoncé cette convention. Et c’est à la suite de cet épisode que fut amendée toute la doctrine conventionnelle du Royaume.

Par ailleurs, des provenances à risque comme Maurice ou Dubaï, connues pour leur «générosité en matière fiscale», sont particulièrement surveillées.

C’est ainsi que les domiciliations à Dubaï ne sont tout simplement pas acceptées par le fisc. Les équipes de la législation à la DGI, celles qui négocient les aspects techniques des conventions fiscales, sont très vigilantes. Tous les accords conclus après la signature du BEPS, en 2014, doivent obéir aux exigences du BEPS. Ils sont conçus de telle sorte que les failles éventuelles soient minimisées au maximum. Ce grand chantier d’harmonisation est en cours, mais l’obstacle est que les partenaires ne vont pas tous au même rythme.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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