Perspectives industrielles. Coup de projecteur sur le Maroc et dans le monde
Adil Bennani, président de l’AIVAM, Achraf Hajjaji, DGA d’Auto Nejma, et Saad Menioui, directeur de la marque Changan au Maroc, ont exposé leurs vues sur l’industrialisation de l’automobile chinoise sur le marché marocain, lors de la table ronde du Cercle des ÉCO sous le thème «Automobile : Les marques chinoises en force».
Il avait été question d’implantations industrielles de BYD ou Geely au Maroc. Si cela ne s’est pas fait pour le moment, il reste à savoir si les constructeurs chinois considèrent toujours le pays comme une plateforme possible. Ce type de décision n’appartient pas aux distributeurs. Ces constructeurs se sont appuyés sur le «Made in China» qu’ils achèvent de construire patiemment. Mais ils en viennent à considérer désormais le «Brand China», la marque Chine. Par ailleurs, le marché marocain est restreint.
Toutefois, le «Made in Morocco» est important et gagne lui-même en valeur, commence par remarquer Achraf Hajjaji, d’Auto Nejma. Il a gagné ses lettres de noblesse avec les constructeurs français Renault et Stellantis. L’emplacement géographique porte un potentiel de taille, qui permet de présenter le Maroc comme une plateforme pour le marché international.
Malgré une concurrence conséquente dans le domaine, l’installation de la gigafactory pour les batteries laisse envisager un avenir ouvert, veut-il croire. Chez un constructeur, les gens qui réfléchissent à la vente ne sont pas ceux qui travaillent à la production, précise Adil Bennani. Les seconds voient sur la planète trois grandes plaques : les États-Unis, l’Europe et l’Asie. Ils cherchent les lieux de production les plus adaptés à chaque marché. Il y a 20 ans, le Maroc a intégré l’idée que sa seule demande intérieure n’étant pas attractive, il lui fallait un marché régional plus large. La conséquence a été la politique des accords de libre-échange avec l’Europe, les États-Unis, la Turquie, l’Égypte, le Golfe… Cela confère un véritable avantage compétitif au pays.
Renault et Stellantis ne sont pas là pour la demande locale. Les Chinois en sont conscients. Il y a eu des discussions très avancées, qui sont toujours en cours, pour créer des plateformes de construction dans le Royaume. Des équipementiers s’intéressent aussi à la question, toujours pour le marché international. En ce sens, la gigafactory est un énorme pas en avant pour le Maroc. La batterie est en effet le composant le plus important de la voiture. Le site aiderait à avoir un taux d’intégration plus intéressant pour exporter des modèles et attaquer d’autres marchés. «C’est pourquoi il faut préserver la pérennité des accords de libre-échange», avertit le président de l’AIVAM.
Le risque des barrières douanières
Pour que le Maroc représente une menace sur les marchés européens et américains, il faudrait qu’il produise 10 ou 15 millions d’unités par an. Ce n’est pas réaliste pour le moment. Cependant, lorsque l’UE décide mettre des barrières «à la porte», ce n’est sans doute pas pour que les constructeurs chinois entrent «par la fenêtre», que pourrait être le Maroc. Il pourrait toutefois y avoir des choses négociables pour cette «fenêtre».
Le risque de la barrière douanière est d’autant plus important, que le monde s’aperçoit de son retard face à une technologie en train de devenir la référence. Ils ont déroulé le tapis rouge aux Chinois sans s’en rendre compte, et essayent aujourd’hui de freiner la vague qui arrive. Or, pour le moment, il n’y a plus efficace que la barrière tarifaire, même si cela peut être très destructeur à l’intérieur, pour ceux qui se protègent ainsi. Il y a d’ailleurs tout un débat à ce sujet en Europe, notamment. Les mesures protectionnistes ne font pas l’unanimité. Car il faut faire attention aux représailles possibles.
Une industrie agile et en avance
Toyota compte entre 350 et 400.000 collaborateurs dans le monde. BYD en a 700.000, dont 250.000 ingénieurs, rappelle Adil Bennani. Les autres ne sont pas en reste. En règle générale, une marque contrôle entre 30 et 45% de ses composants. BYD en contrôle 75%. Ces chiffres justifient de pouvoir dire que «les Chinois vont plus vite».
Par exemple, la marque NIO est un concept marketing. Ce n’est pas une industrie automobile. Ses produits sont fabriqués par une usine qui fournit d’autres marques. Quelqu’un est venu les voir avec son soft, son logiciel et leur a demandé quatre roues, une batterie et un design comme ceci ou cela, pour y installer le logiciel. Et l’usine s’est exécutée. D’autres peuvent aller lui commander quatre roues et une batterie, en lui laissant le choix du design. Une marque, un concepteur peut venir de n’importe où dans le monde. Un Marocain pourrait passer une telle commande.
Les Chinois proposent des blocs : de la recherche et développement, des études, de la fabrication, etc. Ils l’interrogeront sur le prix de vente, le volume, et lui donneront un prix. Cette organisation procure sa puissance de feu économique au secteur automobile chinois. Leur pays a considéré depuis longtemps le moteur thermique comme une bataille perdue. Ils ont donc investi sur le futur, tout en travaillant à en faire le nouveau standard. C’est ici que réside l’intelligence de la stratégie chinoise.
L’Europe a mis en place ses lois et règlements et ne peut plus faire marche arrière alors qu’elle s’aperçoit qu’elle est devancée dans un domaine d’avenir. La seule solution dont elle dispose est de retarder le mouvement, pour donner un peu de temps à ses constructeurs historiques et de les aider à aller plus vite. Elle va devoir organiser du sourcing local, créer des filières de composants localement. C’est pourquoi Joe Biden veut faire des micro-conducteurs chez lui et Emmanuel Macron, des semi-conducteurs chez lui. Il s’agit de contrôler la chaîne de valeur.
Mais cela ne se fait pas en une nuit. Entre le moment où on décide d’avoir une usine de semi-conducteurs et la sortie du produit, il s’écoule deux ans et demi. C’est incompressible, assure Adil Bennani. C’est pourquoi les USA et l’UE veulent gagner du temps, chacun avec ses moyens. Les uns doublent les taxes, d’autres y ajoutent 10%, selon sa capacité. Le Maroc ne peut qu’observer cet affrontement de puissances, dont on ignore les conséquences, sinon qu’elles seront importantes pour l’industrie mondiale. Ce mouvement de repli par plaques est cependant inquiétant.
Vers une concentration chinoise de l’industrie ?
Achraf Hajjaji souligne que les absorptions sont un moyen d’apprentissage des groupes chinois. Geely a repris Volvo, Changan a repris Ford et Mazda. D’autres auront lieu dans les prochaines années. On peut penser qu’il ne restera qu’une dizaine de groupes à la tête de l’ensemble de l’industrie.
Pour Adil Bennani, tous ceux qui sont en dessous de la barre des 3 millions de véhicules produits ont des soucis à se faire. Ils sont des «proies accessibles» aux capitaux chinois. Toutefois, il y a eu beaucoup de tentatives qui ont été bloquées in extremis par des mécanismes de capital locking. Le plus souvent, le niveau le plus élevé de l’État n’accepte pas de voir un étendard ou un joyau de famille s’en aller. Sans quoi, s’il n’était question que d’argent, ce se serait fait depuis très longtemps.
Adil Bennani
Président de l’AIVAM
«Il y a eu des discussions très avancées, qui sont toujours en cours, pour créer des plateformes de construction dans le Royaume. Des équipementiers s’intéressent aussi à la question, toujours pour le marché internationaln ce sens, la gigafactory est un énorme pas en avant pour le Maroc. La batterie est en effet le composant le plus important de la voiture».
Achraf Hajjaji
Directeur général adjoint d’Auto Nejma
«Le “Made in Morocco” est important et gagne lui-même en valeur. Il a gagné ses lettres de noblesse avec Renault et Stellantis. L’emplacement géographique porte un potentiel de taille, qui permet de présenter le Maroc comme une plateforme pour international».
Murtada Calamy / Les Inspirations ÉCO