Ghana : face à la crise, les cacaoculteurs forcés à la contrebande
Passer clandestinement la frontière avec la Côte d’Ivoire pour vendre sa production de cacao à un meilleur prix : c’est la seule solution pour de nombreux producteurs ghanéens de cacao dont les coûts augmentent sans cesse, notamment du fait de la dépréciation de la monnaie ghanéenne.
Malgré la récente flambée des prix mondiaux du cacao et les efforts du gouvernement ghanéen pour stabiliser le secteur, de nombreux planteurs du deuxième producteur mondial se tournent vers le commerce illégal pour survivre.
«Le cedi perd chaque jour de la valeur, vendre au Ghana ne suffit plus», explique Isaac Antwi, qui vit à Suhum, dans la région orientale, à 74 kilomètres de la capitale, Accra.
Le Ghana sort de l’une des pires crises économiques qu’il ait connues depuis des années, après avoir obtenu un crédit de trois milliards de dollars du Fonds monétaire international et restructuré la majeure partie de sa dette. Mais la dépréciation du cedi, la monnaie locale, qui a perdu plus de 20% de sa valeur par rapport au dollar américain cette année, a gravement affecté la rentabilité de la culture du cacao, malgré les prix internationaux élevés de la fève qui sert à fabriquer le chocolat.
Renchérissement des coûts de production
Les coûts de production ont grimpé en flèche, les engrais et autres matériaux nécessaires à l’exploitation devenant de plus en plus chers. Le mauvais état des réseaux routiers a également gonflé les coûts de transport, ce qui a encore réduit les marges des agriculteurs. Le secteur est très régulé au Ghana, où les planteurs de cacao sont obligés de vendre leur production au Ghana Cocoa Board (COCOBOD), un organisme public qui fixe les prix afin de protéger les agriculteurs de la volatilité du marché.
Le gouvernement a récemment augmenté le prix d’achat du cacao aux fermiers à 2.188 dollars par tonne, soit une hausse de 58%, mais cela n’a pas suffi à compenser l’augmentation des coûts de production et l’attrait des prix plus élevés en Côte d’Ivoire et au Togo voisins. «Si le gouvernement augmentait le prix du cacao pour l’aligner sur celui de nos voisins, la contrebande cesserait», estime un autre agriculteur de Suhum, Serwaa Adjei.
100.000 tonnes, le poids de la contrebande
Le secteur du cacao au Ghana, qui représente environ 10% du PIB du pays, dépend fortement des petits exploitants et fait vivre un million d’habitants, sur les 33 millions que compte ce pays d’Afrique de l’ouest. Or, ces derniers se trouvent dans une situation de plus en plus précaire. Dennis Nyameke, agriculteur de la région occidentale, explique les raisons économiques de la contrebande.
«Un sac de cacao se vend au moins 137 dollars au Ghana, mais lorsque nous le faisons passer en contrebande en Côte d’Ivoire, nous pouvons obtenir près de 152 dollars», explique ce père de quatre enfants.
Les experts du secteur estiment que plus de 100.000 tonnes de fèves de cacao ont été introduites en contrebande en Côte d’Ivoire depuis l’année dernière.
500 millions de dollars de pertes
Le secteur du cacao est confronté à de nombreux défis: l’exploitation minière illégale de l’or, connue localement sous le nom de Galamsey, est très répandue dans les zones rurales du Ghana, affectant l’approvisionnement en eau et empêchant les agriculteurs d’accéder à leurs terres. Mais les mauvaises conditions météorologiques, ainsi qu’une épidémie dite de la «pousse gonflée du cacao», détériorent aussi les récoltes.
Selon le COCOBOD, 500.000 hectares de culture de cacao ont été perdus ces dernières années, soit environ 29% du total des terres du pays dédiées au cacao. Les revenus du cacao ont baissé de 500 millions de dollars au cours du premier trimestre 2024, d’après la Banque du Ghana. «Nous menons un combat difficile», admet Fiifi Boafo, responsable des affaires publiques au COCOBOD, qui estime «faire beaucoup pour améliorer la situation des agriculteurs». Obed Owusu-Addai, un militant d’EcoCare Ghana, un groupe qui défend les droits des communautés, appelle de son côté à des réformes d’ampleur dont «stabiliser le cedi» et «accorder des subventions» aux agriculteurs.
Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ÉCO