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Abderrahim Ksiri : “la voie judiciaire, à elle seule, ne suffit pas !”

Abderrahim Ksiri
Coordinateur national de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCD)

En tant qu’acteur majeur de la société civile au Maroc, comment percevez-vous l’exacerbation des problèmes environnementaux ?
Tous les rapports en parlent. Pour ce qui est du Maroc, tout d’abord, nous sommes confrontés à un véritable Tous les rapports en parlent. Pour ce qui est du Maroc, tout d’abord, nous sommes confrontés à un véritable problème d’application de la loi, en particulier en ce qui concerne les questions environnementales. problème d’application de la loi, en particulier en ce qui concerne les questions environnementales. Lorsque la loi n’est pas appliquée, cela entraîne des problèmes, que ce soit pour l’eau, les pesticides, ou la pêche. Dans tous les rapports nationaux et internationaux, on souligne en premier lieu ce problème de surveillance. Il est essentiel de déterminer qui doit être surveillé afin de pouvoir ensuite effectuer des contrôles. Cependant, une fois la surveillance mise en place, les ressources humaines mobilisées sont très limitées. Par exemple, les effectifs de la Police de l’eau sont très réduits.

Comment donc assurer un suivi dans de telles conditions ?
Il est difficile de faire respecter les réglementations et les lois en vigueur. Ne parlons même pas de ce qui se passe sur les littoraux. Il est nécessaire de lire les rapports nationaux et internationaux. Tous ces rapports mettent en évidence des problèmes environnementaux où il est clair qu’il y a un manque de surveillance. Et même lorsque la surveillance est en place, les sanctions sont si peu contraignantes qu’elles encouragent la répétition de ces infractions. Par conséquent, le nombre d’infractions augmente. C’est un véritable problème. Nous n’avons pas encore de législation qui incite les contrevenants à assumer les conséquences de leurs actes. L’efficacité, c’est ce qui manque dans un tel système. De même, il y a des difficultés à garantir la qualité, même si nous avons des acteurs impliqués. La qualité des aliments, de l’eau et des ressources en général pose toujours problème. Lorsque l’on parle de protection de l’environnement, il est clairement indiqué dans les diagnostics qu’il y a un problème de non-application des lois existantes. Même ces lois ne sont pas suffisantes pour assurer une véritable préservation des ressources et de l’écosystème. Il est absolument nécessaire d’accroître la surveillance et les sanctions. Il y a encore beaucoup à faire.

Comment expliquer le fait qu’au Maroc, les ONG et associations n’enclenchent pas suffisamment d’actions judiciaires pour le moment ?
Il y a de nombreuses contraintes. L’une d’elles est liée au statut juridique de ces entités. Seules les associations d’utilité publique ont le droit de mener des actions en justice, et il en existe très peu sur des dizaines de milliers. À ce jour, il n’y a que 242 associations reconnues d’utilité publique au Maroc dans divers domaines. Cependant, plusieurs d’entre elles ne sont pas spécifiquement axées sur des litiges juridiques, ce qui peut expliquer la situation. Donc, pour augmenter le nombre de poursuites judiciaires engagées par les ONG, il faudrait peut-être en revoir les conditions d’accès et faciliter les démarches pour les associations qui souhaitent intenter des actions en justice.

Une réforme du cadre juridique des associations au Maroc s’impose donc…
Bien sûr ! Il faut établir des conditions, c’est indéniable. Le droit d’intenter des actions en justice ne devrait pas être réservé exclusivement à une association sur des dizaines de milliers. En principe, même un citoyen ordinaire devrait disposer de ce droit. Car, tout simplement, lorsqu’une personne porte atteinte à la santé, elle peut causer la mort en rendant les gens malades. Si on vous expose à des pesticides en abondance qui ne respectent aucune norme et qui sont interdits au Maroc, vous ne pourrez pas intenter de poursuites judiciaires. D’ailleurs, il est arrivé, par exemple, que l’Espagne lance l’alerte concernant des pastèques. Avant cela, l’Allemagne et d’autres pays ont également signalé des taux de pesticides dépassant parfois jusqu’à 300 fois les limites permises. Ces dérives ont un impact négatif et ternissent l’image et la crédibilité des produits marocains vendus à l’étranger. Autrement dit, il y a un véritable problème. Il est nécessaire de lire le rapport du CESE sur la sécurité sanitaire des aliments. Il est évident qu’il y a deux poids, deux mesures.

Vous voulez dire que les citoyens ne sont pas protégés de la même manière selon qu’ils vivent au Maroc ou en Europe ?
Absolument. Si une norme est appliquée aux produits destinés aux citoyens européens, elle doit l’être en premier lieu pour les Marocains. La santé est un droit inscrit dans la Constitution. Tout cela nécessite des changements. La loi doit protéger tous les citoyens. C’est la même chose en ce qui concerne la fraude fiscale. Dans d’autres pays, la fraude fiscale est un crime, mais pas au Maroc. Ce manque de rigueur dans l’application de la loi encourage la perpétuation de ce système. Que ce soit en ce qui concerne les fonds publics, la santé des citoyens, la qualité des ressources en eau issues de l’agriculture, les aliments, etc., tout cela est affecté en raison d’un problème de législation totalement incompatible avec les droits de l’Homme. Oui, il faut une certaine progressivité, mais nous ne devons pas nous complaire dans cette situation.

À l’heure où le stress hydrique est exacerbé, où on parle de pic de chaleur, et où les effets climatiques sont de plus en plus exacerbés, pourriez-vous formuler des recommandations ?
L’État fait ce qu’il doit faire en mobilisant rapidement de grands moyens, tels que l’eau des barrages et l’eau de dessalement. Cependant, pour agir sur d’autres aspects tels que la réduction de la pollution, la réutilisation des eaux et la préservation des eaux souterraines, ce n’est pas uniquement à l’État d’agir. Les citoyens, les acteurs, les industriels et les agriculteurs ont également un rôle à jouer. Il est nécessaire de promulguer une loi qui encouragera et valorisera ceux qui agissent de manière responsable dans l’utilisation de ces ressources qui sont un bien commun, tout en punissant ceux qui les utilisent de manière abusive. La même problématique se pose pour l’énergie, et il est donc essentiel de mobiliser tous les moyens disponibles pour promouvoir le changement. La justice est un élément important, mais elle ne peut pas agir seule. Il faut tout d’abord mettre en place une stratégie de communication et de mobilisation, ainsi qu’une stratégie de territorialisation, avec des budgets, des efforts et des ressources humaines alloués tant aux aspects techniques qu’aux aspects réglementaires et financiers. Ces initiatives doivent être mises en œuvre au niveau local, en impliquant les citoyens dans une démarche participative.

Parlons de l’implication des citoyens dans une démarche participative et la conduite du changement. Plus concrètement, comment les choses doivent-elles être faites au niveau opérationnel ?
Tous les citoyens doivent comprendre de quoi il s’agit. Ils doivent connaître l’état des ressources de manière dynamique et actualisée. Savez-vous où se trouve la nappe phréatique qui alimente votre robinet ? Connaissez-vous la qualité de l’eau dans votre territoire ? Connaissez-vous le niveau de votre nappe phréatique ?
Ce sont autant d’informations que les citoyens doivent connaître, car sans cela, il n’est pas possible de prendre des décisions éclairées. C’est pourquoi il est important d’avoir accès à des informations actualisées et spécifiques à chaque territoire. Ces informations permettront de savoir si la nappe phréatique est surexploitée ou non, et il faudra identifier ceux qui en sont responsables. De plus, il est nécessaire que les exploitants de la nappe aient une autorisation légale pour son utilisation. Une déclaration volontaire d’exploitation de la nappe devrait être requise. Les citoyens devraient se connecter à une plateforme et indiquer s’ils possèdent ou non un puits, s’ils ont ou non un compteur, et s’ils paient ou non. Lors de contrôles ciblés, si l’on découvre un puits non déclaré, des sanctions doivent être imposées. Pour la première année, la sanction financière pourrait être de 1.000 ou 2.000 dirhams. Ensuite, la sanction passerait à 20.000 dirhams l’année suivante, puis à 200.000 dirhams la troisième année.

Ne craignez-vous pas que telles sanctions aient un effet contre-productif ?
Les sanctions doivent être mises en place, mais de manière graduelle, afin d’encourager les gens à se conformer progressivement. Après cela, les sanctions pourraient atteindre 200.000 dirhams, voire deux millions de dirhams, car il s’agirait d’individus qui ne respectent pas la loi. Cependant, une communication intensive est nécessaire avant de mettre en place ces sanctions. Il est important d’informer les citoyens sur les mesures qui seront prises et de les sensibiliser à la déclaration volontaire, tout comme cela a été fait lors de la pandémie de covid-19. Ensuite, un délai supplémentaire de six mois devrait être accordé pour permettre aux retardataires de s’inscrire. Mais après cela, les sanctions doivent être appliquées progressivement d’année en année. Mais la question de savoir s’il faut ou non imposer des sanctions n’est pas le véritable débat.

Où se situe-t-il donc, selon vous ?
La vraie question est de savoir comment mettre en place un système réglementaire et judiciaire qui encourage les comportements appropriés et punit les comportements inappropriés. C’est cela, la conduite du changement. Elle nécessite une logique et une méthode. C’est la même chose pour la pollution industrielle, où tout le monde paie, alors que nous savons que c’est l’industrie qui en est responsable. Si le coût de la dépollution d’un produit est de 1 dirham, il devrait être versé à l’État. Certaines industries produisent de nombreuses substances chimiques, tandis que d’autres n’en produisent aucune. Pourtant, nous payons tous de manière équitable. Je ne produis pas de polluants, ce qui signifie que je paie pour quelqu’un qui en produit. Ce système n’est pas équitable. C’est pourquoi il est nécessaire de sanctionner ceux qui ne déclarent pas leurs polluants. En fin de compte, la justice n’est qu’un élément de la conduite du changement. Il y a la partie étude et accès à l’information, la partie stratégie et développement technique de toute la chaîne, de l’amont vers l’aval, en passant par des pratiques d’économie circulaire. Ensuite, il y a l’optimisation des ressources pour obtenir des informations par territoire, etc. Et après cela, ceux qui ne respectent pas les règles, en amont comme en aval, doivent être sanctionnés. Les sanctions doivent être claires, bien communiquées et progressives, afin d’aboutir à un système coercitif dans deux ou trois ans, où le respect de la loi sera comparable à celui des pays européens.

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO



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