Souveraineté alimentaire : le modèle agricole marocain au révélateur des crises multiformes
Dans le sillage de la polycrise actuelle et la multiplicité des facteurs qui ont fragilisé plusieurs filières végétales et animales, le rétablissement de l’équilibre des systèmes de production et d’approvisionnement est une nécessité avant d’aborder la question de la souveraineté alimentaire.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Pas aussi simple qu’il y paraît, tout le modèle agricole marocain ayant été remis en question face à la polycrise à laquelle est actuellement confronté le secteur agricole.
Dans ce contexte économique inédit où l’inflation alimentaire continue de peser sur les ménages (20,1 % en février et 16,1% en mars, selon le HCP), nombreuses sont les filières agricoles qui ont montré des signes de détresse. Et ce, dans le sillage, d’une part, de l’envolée cumulée des prix des matières premières et des intrants agricoles importés, et, d’autre part, de la succession des années de sécheresse, de la crise hydrique et des changements climatiques. Il s’agit, en l’occurrence, des filières végétales et animales qui ont auparavant maintenu des niveaux d’autosuffisance soutenus, tout au long de ces dernières années, avec des taux de couverture assez élevés.
Parmi ces filières agricoles figurent celles des fruits et légumes, des viandes rouges et du lait ainsi que la filière avicole. D’où l’épineuse question du rétablissement de l’équilibre des chaînes de valeur et de production de ces filières, dans le cadre de la stratégie «Génération Green», allusion faite à la nouvelle contractualisation avec les interprofessions agricoles en marge du Salon international de l’agriculture du Maroc (SIAM) qui se tient à Meknès du 2 au 7 mai.
Les leviers d’action activés
En attendant, plusieurs leviers d’action ont été déjà activés par les pouvoirs publics en réponse aux crises multiformes que traverse le secteur agricole, afin d’atténuer les fragilités constatées des systèmes de production et d’approvisionnement des filières végétales et animales.
Pour les fruits et légumes, il a été question d’appliquer des restrictions quantitatives à l’exportation, en plus de la résolution de la simplification de l’exonération de la TVA agricole à l’importation avec l’élargissement de son spectre via l’adoption du décret n° 2.23.335 portant application de cette taxe prévue au chapitre III du Code général des impôts (CGI).
S’agissant des autres filières, notamment celle du lait, il a été question, entre autres, de procéder à l’importation de génisses et de vaches laitières pour la préservation et la reconstitution du cheptel national ainsi qu’à l’interdiction de l’abattage des génisses productrices de moins de cinq ans. Les autorités ont également permis l’importation de bovins domestiques destinés à l’abattage pour assurer l’approvisionnement du marché national en viande rouge à des prix raisonnables. Outre l’appui apporté aux importations des céréales, à travers le programme de subventions à l’importation de blé, d’autres mesures ont été prises. Il s’agit notamment des primes de collecte du blé tendre et celle de magasinage, en plus de la suspension des droits d’importation applicables aux graines oléagineuses et aux huiles brutes de tournesol, soja, ou colza.
Souveraineté ou sécurité alimentaire ?
Le contexte actuel a replacé une fois encore la sécurité alimentaire au centre des débats, avec une prise de conscience réelle de la souveraineté alimentaire, depuis trois ans, notamment avec la fragilité constatée des systèmes de production et d’approvisionnement et le caractère vital des filières alimentaires et leurs capacités de production. Partant du fait que la souveraineté alimentaire est un moyen pour atteindre la sécurité alimentaire, le Maroc a intégré les principes de base de la souveraineté alimentaire dans sa stratégie de sécurité alimentaire, notamment à travers le Plan Maroc Vert mis en place en 2008 et la stratégie Génération Green lancée en 2020.
Cette complémentarité entre les deux concepts a permis au secteur agricole d’atteindre l’autosuffisance et des taux de couverture assez élevés pour certaines filières, ce qui a permis une stabilité des prix et de la production pour les cultures avant l’avènement de cette crise aussi bien conjoncturelle que structurelle.
Durant les années précédentes, il s’agissait d’une autosuffisance complète pour les fruits et légumes, les produits d’origine animale tels que le lait et les viandes rouges, ainsi que d’une couverture à 53% des besoins en céréales et à 44% pour le sucre dans des années ordinaires. Toutefois, il est actuellement primordial de rétablir l’équilibre dans les différentes filières touchées dans le cadre de la stratégie «Génération Green», malmenée par cette situation.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO