Éco-Business

Technologies, normes et RSE : les leviers pour soutenir la décarbonation des entreprises

Omar Benaïcha
Premier vice-président de l’Observatoire de la RSE

La décarbonation est aujourd’hui un enjeu majeur pour les entreprises soucieuses de leur impact environnemental et de leur pérennité économique. Dans cette interview, Dr Omar Benaïcha, premier vice-président de l’Observatoire de la RSE, explore les différentes façons dont les entreprises peuvent intégrer la décarbonation dans leur stratégie de développement durable, en utilisant des technologies à impact, des démarches de progrès telles que la qualité et les normes, ainsi que la RSE.

Comment intégrer la décarbonation dans la stratégie de développement durable des entreprises? Comment gérer les risques liés à la décarbonation, tels que la réglementation, les coûts initiaux élevés et les changements dans les préférences des consommateurs ?
Lorsque l’on réalise un exercice stratégique, il est essentiel de comprendre notre contexte externe et interne. Il convient d’identifier les opportunités, les menaces ainsi que les leviers en interne, tels que les forces et les faiblesses, pour faire face aux défis à venir. La décarbonation est aujourd’hui à la fois une menace et une opportunité qu’il est important d’analyser en fonction des activités et des priorités de l’entreprise. Une entreprise qui exporte vers des marchés exigeants, en termes d’émissions de gaz à effet de serre, doit faire face à des obligations croissantes de transparence et de reporting sur toutes les émissions de CO2. Elle est donc contrainte de réduire ses émissions en décarbonant son processus industriel et ses produits. Si elle ne le fait pas, elle risque d’être hors marché et de perdre en compétitivité. En revanche, une entreprise qui se décarbone peut gagner en compétitivité en réduisant ses coûts, en se positionnant comme une entreprise responsable vis-à-vis de l’environnement et en répondant aux attentes de certains segments de clients. Elle peut également renforcer sa durabilité en remplaçant les sources d’énergie et de matières premières fortement carbonées par des sources moins carbonées. En anticipant les besoins du futur imposés par le réchauffement climatique, elle s’inscrit dans une démarche proactive de recherche d’alternatives pour ses besoins en énergie, matières premières et procédés. La décarbonation représente donc une gestion des risques pour l’entreprise. Elle doit prendre en compte à la fois les risques négatifs liés à la réglementation et aux coûts élevés de la transformation pour devenir décarbonée, ainsi que les risques positifs liés aux opportunités offertes par l’économie verte en général. En ne saisissant pas ces opportunités, l’entreprise pourrait subir des coûts d’opportunité importants. Au niveau opérationnel, il est donc crucial de décliner ces opportunités et menaces, de revisiter les compétences distinctives de l’entreprise et de les adapter aux attentes des consommateurs ainsi qu’aux besoins impérieux de pérenniser son activité.

Comment la technologie à impact, telle que la blockchain et l’industrie 5.0, peut-elle contribuer à la décarbonation ? Quels sont les cas d’utilisation les plus prometteurs de ces technologies pour la décarbonation ?
Aujourd’hui, les technologies de l’industrie 5.0, qui regroupent des technologies telles que l’intelligence artificielle, le machine learning, les objets connectés, la blockchain et les systèmes de production industrielle ultra-automatisés, peuvent aider les entreprises à réduire leurs intrants et leurs émissions de CO2. L’optimisation des processus de production, la réduction des chutes, l’amélioration du recyclage et la prévision des besoins futurs en matière et en énergie sont des avantages que ces technologies peuvent offrir. La blockchain et les outils de confiance jouent un rôle crucial dans la décarbonation en instaurant la confiance entre les acteurs de la chaîne de valeur. Par exemple, les certificats d’énergie verte peuvent être enregistrés dans une blockchain pour attester de l’origine verte de l’énergie et du transfert de cette énergie verte entre un producteur et un consommateur. La diligence faite par un tiers et les données validées par les deux parties permettent de s’assurer que l’énergie provient bien d’une source verte avec des émissions minimales de gaz à effet de serre. L’intelligence artificielle peut également être utilisée pour synthétiser toutes les connaissances accumulées sur les matières et proposer des alternatives pour réduire les émissions de CO2.

Les technologies, telles que les objets connectés et les drones, peuvent être utilisées pour suivre et tracer les émissions de gaz à effet de serre et les impacts positifs de la compensation carbone, telles que la reforestation. En somme, les technologies de l’industrie 5.0 offrent un potentiel considérable pour la décarbonation des industries et la protection de l’environnement. Alors maintenant, bien évidemment, quelle technologie utiliser? Le choix de la technologie à utiliser dépend essentiellement des actions que l’on souhaite mettre en place pour atteindre ses objectifs de décarbonation. Il est donc nécessaire de commencer par réaliser un diagnostic stratégique pour définir une feuille de route de décarbonation, puis la déployer au niveau opérationnel en priorisant les actions à mettre en place pour contribuer à la décarbonation. La technologie fait partie des moyens à disposition pour mettre en place ces actions et atteindre les objectifs fixés. Elle intervient alors dans la manière de réaliser ces actions, mais également dans le choix des outils à utiliser pour atteindre ces objectifs.

Comment les démarches de progrès, telles que la qualité et les normes, peuvent-elles être utilisées pour soutenir la décarbonation ?
La décarbonation est un enjeu majeur sur le plan environnemental qui s’inscrit dans une démarche de développement durable. La RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) est une approche managériale qui permet de définir le contenu de la démarche à suivre pour répondre à ces enjeux de développement durable. En assumant leurs responsabilités sur leur impact, les entreprises peuvent ainsi inscrire leurs priorités, identifiées lors d’un diagnostic stratégique, dans une démarche managériale structurée, portée par des managers, pilotée par des objectifs et des indicateurs, suivie dans le temps, avec une gouvernance dédiée.

Cette démarche permet d’être efficace dans l’action, de ne pas être dans le greenwashing, mais dans l’effectivité, avec des résultats et un impact vérifiable, chaque jour, dans la durée. Il est important de souligner que la RSE permet d’opérationnaliser ce qui a été défini au niveau stratégique pour contribuer aux problèmes de développement durable, notamment la décarbonation, tout en gardant un équilibre entre les impératifs du business et les contraintes réglementaires et sociétales. La RSE permet ainsi de prioriser les actions les plus pertinentes pour le développement durable en général et la décarbonation en particulier, tout en assurant la pérennité financière de l’entreprise. Une fois la démarche RSE déployée, les résultats obtenus seront des actions de réduction d’impact négatif, des actions de création d’impact positif, ainsi que du partage de la valeur avec les parties prenantes. La mise en place d’indicateurs et d’outils de mesure permettront de mesurer l’impact environnemental, social, économique et de gouvernance de l’entreprise sur ses différentes parties prenantes, y compris les écosystèmes naturels et les communautés locales. Toutefois, il est important de ne pas jeter les démarches qualité et les certifications existantes, telles que la norme ISO 14001 et la norme ISO 9001.

Au lieu de cela, il est suggéré de construire une démarche RSE qui intègre ces démarches existantes ainsi que des aspects plus larges tels que l’environnement, la santé et la sécurité, la gouvernance et les enjeux sociétaux. Cette démarche doit être cohérente, intégrée et holistique, et doit être construite en collaboration avec les parties prenantes de l’entreprise. Il est, par ailleurs, nécessaire d’aller sereinement et de ne pas faire trop d’efforts sur les enjeux environnementaux et sociétaux au détriment du positionnement commercial de l’entreprise ou de la confiance des actionnaires. Il est important de consolider les démarches existantes, de les nettoyer et de les réduire si nécessaire, et de mettre l’accent sur les enjeux les plus prioritaires et les plus pertinents. D’où l’avantage d’une démarche RSE bien conçue et mise en œuvre, notamment une meilleure réputation, une plus grande résilience du modèle opérationnel, une meilleure gestion des risques et une relation plus harmonieuse avec les parties prenantes. Il est important de maintenir cette démarche dans le temps pour assurer la durabilité de l’entreprise.

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO


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