Mendicité infantile : sortir du déni !
On est habitué à les voir, mais on a tendance à les oublier. Ils sillonnent les rues des villes, d’un quartier à l’autre, en tendant la main. Munis d’une ordonnance ou d’une facture d’eau et d’électricité, quand ce n’est pas de simples prières, ces enfants, âgés entre 5 et 15 ans, passent des journées entières à solliciter les passants et à en appeler à leur bon cœur. En vue de remédier à ce fléau, le ministère de la Solidarité, de la famille et du développement social prévoit un nouveau programme exécutif 2022-2025.
Si la crise sanitaire et l’entrée en vigueur de mesures strictes, dont le confinement, ont permis d’occulter la mendicité pendant un certain temps, cette pratique a connu un retour précoce, renforcé par les difficultés financières engendrées par le Covid-19.
En effet, les cas d’exploitation d’enfants pour la mendicité, verbalisés au cours de l’année 2021, sont passés de 80 en 2020 à 100 en 2021.En ce sens, le ministère de la Solidarité, de la famille et du développement social s’apprête à présenter le nouveau programme exécutif 2022-2025, relatif à la mise en œuvre d’une politique publique intégrée de protection de l’enfance, pour lutter contre ce phénomène.
«Deux réunions ont été organisées avec la Commission technique émanant de la structure ministérielle chargée du suivi, de la mise en œuvre des politiques et plans d’action nationaux en matière de promotion et de protection de l’enfance. Une autre réunion de concertation s’est tenue avec les associations œuvrant dans le domaine, pour l’évaluation du premier chapitre du programme 2015-2020», a fait savoir la ministre, Awatif Hayar, lors d’une séance plénière à la Chambre des représentants.
Violation des droits de l’enfant
Livrés à tous les dangers, surtout la nuit, ces enfants peuvent être victimes d’abus et de violences. Pour évaluer concrètement la situation, «Les Inspirations Éco» a contacté Hind Laidi, présidente de Jood. «Depuis 2015, cette association organise des maraudes nocturnes à la rencontre des laissés-pour-compte, pour leur offrir d’abord des repas chauds, des vêtements, des couvertures, et des médicaments, mais, surtout, de l’attention et de l’écoute» : témoigne Laidi, avant d’ajouter que «notre présence régulière sur le terrain, la nuit, et notre contact permanent avec cette population, nous ont permis une analyse de la situation qui s’est révélé extrêmement utile pour comprendre que le «sans-abrisme» est le résultat de nombreuses anomalies sociales, dont l’une perce les fondements humanitaires de notre société, le phénomène de l’exploitation des enfants pour la mendicité, qui a pris de l’ampleur». Et dans une optique de lutte contre ce phénomène, en s’attaquant à ses causes, l’association Jood a conçu une campagne de sensibilisation pour que le citoyen marocain cesse de contribuer à alimenter les réseaux de la mendicité en leur donnant de l’argent, et qu’il prenne conscience des conséquences de ces pratiques. Laidi révèle que l’enfant est exploité pour faire une recette journalière entre 150 DH, s’il est loué, et 350 DH, s’il est exploité par ses propres parents.
«C’est ainsi qu’il est initié à tendre la main, ce qui détruit définitivement sa dignité pour condamner son enfance et son avenir. Cet enfant, qui a été empêché d’aller à l’école, et n’a appris que la mendicité, ne saurait être par la suite qu’un mendiant professionnel, pour constituer son propre clan de petits mendiants, un vagabond ou un criminel», déplore la présidente.
Consciente de la gravité et de l’ampleur de la situation, Hind Laidi juge cette exploitation d’enfants innocents inhumaine. Elle ajoute qu’elle représente une réelle violation des droits de l’enfant, mais malheureusement, un phénomène aussi colossal, est trop grand pour qu’une association à elle seule puisse le résoudre. Ces enfants doivent être plus efficacement protégés pour avoir davantage de chances d’adhérer à un système d’éducation ou de formation qui peut leur garantir un avenir digne d’un citoyen. Telle est la vision de Laidi, qui estime que la situation demande à tous les acteurs de l’écosystème d’agir et de cesser d’y contribuer, pour pouvoir combattre ce fléau : le législateur, les autorités, le citoyen et la société civile !
Une plateforme pour signaler les cas de mendicité
Le département de Hayar a décidé de prendre les devants et a tenu à associer les acteurs de la société civile à sa stratégie de lutte contre la mendicité, à la différence de la précédente stratégie (2015-2020). Ainsi, le programme tient compte des recommandations du Nouveau modèle de développement, et met en lumière l’élément humain, selon une nouvelle approche qui allie protection et développement social, psychologique et cognitif de l’enfant. Le tout doit converger pour mettre fin à ce fléau qui perdure.
Parmi les projets en perspective, figure la mise en place d’une nouvelle politique pour rechercher et identifier les parties impliquées, et leur infliger des sanctions punitives, ainsi qu’une plateforme aidant à signaler les cas de mendicité, et ce, en concertation avec les associations actives dans le domaine. Pour rappel, le programme 2015-2020 a fait l’objet d’une évaluation qui a abouti au constat qu’il faut impliquer étroitement les acteurs de la société civile pour lutter contre maints phénomènes négatifs, et pas seulement la mendicité, a indiqué la ministre.
Une pratique punie par la loi
Pour ceux qui l’ignorent, la mendicité est sanctionnée par le Code pénal marocain. L’article 326 inflige une peine de 1 à 6 mois de prison à toute personne pratiquant la mendicité. Concernant l’article 327 du Code pénal, il prévoit une peine de 3 mois à 1 an de prison à «tous les mendiants, même invalides ou dénués de ressources, qui sollicitent la charité publique. L’article 328 évoque la même peine contre «ceux qui, soit ouvertement, soit sous l’apparence d’une profession, emploient à la mendicité des enfants âgés de moins de treize ans».
D’ailleurs, notre interlocutrice est ferme à ce propos. «Je souligne qu’il est solidement établi que ces enfants, exploités à des fins de mendicité, sont victimes de la loi en vigueur au Maroc, qui doit être plus contraignante, avec des peines plus lourdes à l’encontre de toutes les personnes qui exercent la mendicité en exploitant directement ou indirectement un enfant. Et c’est ainsi que le législateur doit se soucier plus de la situation particulière des mineurs, en pénalisant lourdement la provocation et/ou l’exploitation des enfants pour la mendicité», estime-t-elle.
Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO