Maroc

Ouadi Madih : “Nous devons interpeller le gouvernement de manière plus agressive !”

Ouadi Madih
Président de la Fédération nationale des associations du consommateur

Suite à la pression inflationniste qui va crescendo et face à un Exécutif qui n’aurait, jusque là, pas manifesté sa volonté à dialoguer avec les mouvements consuméristes, ces derniers commencent à sérieusement réfléchir à hausser le ton. Seul moyen, selon eux, pour mettre fin à ce qu’ils considèrent comme un dialogue de sourd. 

Quel est le regard de votre fédération face à la pression inflationniste que l’on observe sur le terrain, notamment la hausse du prix des carburants, des matériaux de construction, de plusieurs produits de consommation…?
L’inflation que vit le Maroc place, actuellement, le consommateur dans une situation très problématique, parce que la cherté de la vie et la hausse des prix ont dépassé de très loin les ressources financières dont il dispose. Que ce soit au sujet des hausses des prix des carburants, des matériaux de construction et des produits de base alimentaires ou autres, nous tirons la sonnette d’alarme depuis plus d’un an, en tant que Fédération des associations de consommateurs.

Depuis le mois d’avril 2021, à partir de la première augmentation de prix des huiles de table, nous avons alerté l’opinion publique et, bien entendu, le gouvernement afin que soient prises les mesures nécessaires pour amortir ce choc des augmentations des prix. Mais jusqu’à aujourd’hui, malheureusement, il n’y a pas d’écoute de la part du gouvernement. C’est le silence absolu! Ce qui laisse le consommateur livré à lui-même et le place dans une situation très précaire.

Face à cette conjoncture, les transporteurs routiers ont fait grève et fini par décrocher des subventions et, bientôt, une loi sur l’indice gasoil. Pouvez-vous nous donner vos impressions à ce sujet ? Et comment accueillez-vous ces décisions ?

Il n’y a pas que le secteur du transport qui est impacté par cette augmentation des prix, mais toute la population utilisant les moyens de transportet véhicules, y compris les consommateurs. Alors, nous ne comprenons pas ce comportement du gouvernement qui subventionne uniquement un secteur bien défini, notamment celui qui brandissait la menace de la grève.

Je crois que cette décision d’octroyer des subventions n’avait d’autre but que de désamorcer le mouvement et calmer ces opérateurs. L’initiative n’était donc pas la matérialisation d’une vision consistant à soulager ou amortir le choc des augmentations que le consommateur subit. À mon sens, le gouvernement doit prendre en considération le fait que les consommateurs ont aussi besoin de ces subventions, parce qu’au même titre que les transporteurs professionnels, eux aussi, sont frappés par la cherté du prix des carburants.

à la suite des transporteurs, les stations-services menacent d’entrer en grève. Finalement, qu’en est-il des consommateurs ?
En fin de compte et malheureusement, ce sont les consommateurs qui trinquent. Alors, je me demande pourquoi tous ces opérateurs font des grèves, quand on sait que c’est le consommateur final qui supporte toutes les charges au bout du compte. Nous, en tant que Fédération des associations de consommateurs, avons lancé le signal d’alarme à maintes reprises.

Nous avons demandé au gouvernement d’intervenir et de réglementer les prix de certains produits, surtout ceux de grande nécessité. Nous avons aussi demandé à ce que le gouvernement intervienne dans le cadre de la loi sur la concurrence en plafonnant certains prix pour soulager le consommateur, mais malheureusement rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui. Face à tout cela, nous, consommateurs, devons changer d’approche avec l’Exécutif pour manifester notre présence et mettre suffisamment de pression pour obliger les autorités à prendre des mesures prenant en compte les intérêts du consommateur.

Devons-nous interpeller le gouvernement de manière plus agressive ? Ce qui pourrait nous amener vers des situations socialement plus graves. Autant de questions qui se posent et auxquelles nous n’avons pas de réponses. C’est à l’Exécutif de nous répondre.

C’est au gouvernement de nous dire ce qu’ils sont venus faire si ce n’est alléger les difficultés des citoyens et trouver des solutions pour les citoyens vulnérables et qui ne peuvent plus joindre les deux bouts.

Justement, le gouvernement dit faire des mains et des pieds pour protéger le pouvoir d’achat des ménages. À vous écouter, vous n’êtes pas du même avis. Trouvez-vous les actions gouvernementales suffisantes ?

Concrètement, quelles sont les mesures prises pour protéger le pouvoir d’achat du consommateur ? On aimerait les voir. Le carburant est à 15 DH le litre actuellement ! Les produits alimentaires, qui ne sont même pas impactés par le fait international ou par la conjoncture, atteignent des prix vertigineux. Idem pour les matériaux de construction. Ce qui implique l’arrêt de certains secteurs, notamment l’immobilier où certains entrepreneurs n’en peuvent plus et vont devoir jeter l’éponge.

Qu’est-ce que le gouvernement a fait pour le consommateur vulnérable, surtout pendant cette période de Ramadan et au sortir d’une pandémie difficile qui l’expose à davantage de précarité. À ceux qui disent que les autorités font des mains et des pieds pour protéger le consommateur, je dirais qu’ils ont mis les mains et les pieds dans leurs poches et se contentent de regarder le pauvre citoyen en train d’être asphyxié par la cherté de la vie.

Comment votre fédération réagit-elle concrètement à cette conjoncture ? Quels sont les actions menées et les résultats obtenus ?
Comme je l’ai dit plus haut, nous avons réagi à cette hausse de prix depuis plus d’un an. Nous demandons au gouvernement de revoir la situation, d’utiliser les moyens à sa disposition pour protéger le consommateur contre la cherté de la vie, sachant très bien que la portée et l’efficacité des initiatives dépendent de la volonté politique. La marge que l’État dégage à partir des impôts et taxes sur le carburant est très importante. Nous sommes bien en train de parler de 37% de TVA et de Taxe intérieur de consommation (TIC) ! Nous parlons de rentrées de fonds importantes  à la fois pour le gasoil et le sans plomb.

Le constat que nous faisons est que le gouvernement est en train de s’engraisser sur le dos du consommateur. Parce que, pour l’Exécutif, payer à la pompe les carburants à ces prix élevés implique aussi des revenus de collecte plus élevés. Le consommateur souffre parce qu’il paye non seulement pour la hausse des prix, mais aussi pour la plus-value que dégagent les distributeurs.

Tout ceci est une insulte envers le citoyen. Le gouvernement doit faire mieux que ce qu’on a pu voir jusqu’à maintenant, pour que le consommateur soit épargné de cette cherté des prix, d’autant plus qu’il prétend être social, donc normalement à l’écoute du citoyen. Si l’on demande à un consommateur lambda ce qu’à fait le gouvernement dans cette situation de crise et d’inflation, dans le cadre d’un micro-trottoir, la réponse sera «rien du tout. Il nous a laissés livrés à nous-même !».

Votre fédération a-t-elle des recommandations à formuler face à la crise, d’une part aux consommateurs et d’autre part aux autorités ?

Nous demandons au gouvernement de plafonner les prix des carburants et de réglementer ou plafonner ceux des produits de première nécessité. La loi lui donne le droit d’intervenir pour administrer les prix pendant une certaine durée, notamment sur une période de six mois renouvelable.

Pourquoi ne pas utiliser ce levier ? Nous demandons que le gouvernement réduise sa marge relative à la taxe intérieure de consommation (TIC). Tous ces leviers sont faciles à mettre en application et rapidement. Comme nous avons déjà eu à le faire un an plus tôt, nous demandons, également, à l’Exécutif de baisser le taux de TVA et de suspendre les droits de douane sur certains produits, notamment les huiles de table. Les autorités ont déjà pris de telles mesures pour quelques produits.

En somme, en appliquant les lois relatives à la protection du consommateur, le gouvernement a les coudées franches pour protéger ce dernier, en veillant à ce que les  acteurs du marché respectent les lois. En effet, 90% des commerçants n’affichent pas les prix, alors que c’est un droit. En tant que mouvement consumériste, nous demandons au consommateur une consommation responsable et rationnelle.

Ce dernier levier est important pour réduire les gaspillages et n’utiliser que ce qui est nécessaire.  À ce moment-là, on gagnera sur trois volets : premièrement pour notre argent. En effet, juste pour le mois de Ramadan, 40% de l’alimentation est gaspillée et jetée à la poubelle.

Deuxièmement, combattre efficacement les intermédiaires et professionnels opportunistes, qui cherchent à augmenter les prix dans ce contexte. Troisièmement, on gagnera aussi sur une consommation durable.

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO



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