Culture

“La poule et son cumin”, le nouveau roman de Zineb Mekouar

Zineb Mekouar
Écrivaine

«La poule et son cumin» c’est le nom du nouvel ouvrage signé Zineb Mekouar. Un roman qui tombe à pic, puisqu’il est question de dépeindre la société marocaine à travers le destin entremêlé de deux femmes. Comme un Maroc a deux niveaux, qui, en surface, montre des avancées concernant la condition de la femme mais qui, en dessous, laisse entrevoir des décisions et des lois super testostéronées et des attelages bizarres. Dans ce livre il est aussi question d’avortement clandestin. Via ce livre qui sortira le 9 mars prochain en France et dans la foulée au Maroc, Zineb Mekouar nous raconte le Maroc à sa manière.

Pourriez-vous nous résumer en quelques mots votre dernier ouvrage « La poule et son cumin» ?
L’intrigue se passe à Casablanca, fin 2011. Nous suivons les destins de deux femmes que tout sépare mais qui sont liées par une forte amitié dès l’enfance. Je dis destins exprès parce que j’ai voulu montrer, entre autres, dans ce livre, cette omniprésence du Destin, presqu’une prédisposition sociale qui est, on le voit au cours du roman, assez implacable pour chacune des deux femmes. L’intrigue est centrée autour de Kenza et de Fatiha, l’une est la fille d’une grande famille, aisée et traditionnelle, l’autre est la fille de la domestique qui travaille chez cette famille. Tout les rapproche jusqu’à l’adolescence et la naissance des premiers émois amoureux. Et puis, la sourde lutte des classes va peu à peu les séparer et se révéler dans sa cruauté que leurs sentiments n’avaient pas vu venir. Je situe l’intrigue en 2011 parce que c’est au moment à la fois des printemps arabes, de l’arrivée au pouvoir des islamistes au Maroc mais aussi le moment de la circulaire Guéant, celle qui a obligé plusieurs étudiants étrangers à quitter la France du jour au lendemain.

Pour le titre, j’avais envie d’une expression authentiquement marocaine parce que ce livre traite aussi des relations France-Maroc. Malheureusement, la France, malgré sa tradition de terre d’accueil, met trop souvent les trois pays du Maghreb et leurs populations dans le même sac alors que ce sont des pays différents, chacun avec ses richesses et son histoire. C’est donc un livre sur le Maroc d’aujourd’hui, notre Maroc contemporain. Et sur sa jeunesse, incandescente car lumineuse, chaleureuse, et à vif !

Votre roman est avant tout un roman social où il est question de dépeindre la société marocaine à travers le destin croisé de deux femmes, quel regard portez-vous sur le Maroc d’aujourd’hui ?
J’écris sur mon Maroc, avec sa chaleur, ses habitants et ses complexités. Mon espérance est que les lois et les mentalités évoluent vers une plus grande liberté de l’individu. Le Maroc, c’est l’Occident de l’Orient et l’Orient de l’Occident (d’ailleurs, le mot en darija l’illustre bien !), c’est un carrefour de civilisations et sa jeunesse est pleine d’énergie, de vitalité mais se sent, trop souvent, oppressée.

Je pense que beaucoup a été fait depuis l’Indépendance et depuis la nouvelle Moudawana, mais que beaucoup reste à faire, notamment pour le droit des femmes mais aussi des individus en général. Je suis une éternelle optimiste, il y a partout au Maroc des personnes qui œuvrent dans ce sens, si on s’y met tous, chacun avec son talent, on y arrivera !

Dans ce roman il est question d’avortement clandestin, un sujet longuement traité au cinéma mais aussi dans d’autres ouvrages. Quel est votre position par rapport a l’IVG?
Je pense que l’IVG est une question cruciale. Chaque jour, des centaines de femmes subissent des avortements clandestins au Maroc. C’est un fléau pour elles mais aussi pour les hommes, pour la société marocaine en général… Au-delà de la nécessité de changer la loi, ce sont les mentalités qu’il faut éduquer. Une femme ne tombe pas enceinte par hasard, toute seule, par la volonté du Bon Dieu.

Je suis pour la légalisation de l’avortement, d’une part, et pour l’éducation à ces sujets, d’autre part. Il faut protéger pas seulement les petites filles mais aussi les petits garçons, du tabou lié au corps, car cela n’engendre que frustration, violence et hypocrisie sociale. Malheureusement, la tendresse est rare dans une société où se prendre par la main peut conduire au poste de police. Et, à quel moment la tendresse est aussi devenue interdite ? On voit bien que la loi doit être changée si l’on veut une société plus apaisée, moins schizophrène.

Ce livre est un livre engagé auprès des femmes , que représente pour vous le 8 Mars? Si vous aviez un message à faire passer aux femmes marocaines et d’ailleurs quel serait -il ?

Le 8 Mars, en tant que Journée de la femme, est encore nécessaire pour avoir des séquences médiatiques «droits des femmes» et pouvoir avoir une écoute citoyenne sur des sujets aussi importants que l’égalité à l’éducation des petites filles et des petits garçons, la lutte contre les violences faites aux femmes, etc., mais ce que j’espère, c’est qu’un jour nous n’aurons plus besoin du 8 Mars. Cela voudra dire que nous serons arrivés à l’égalité réelle et que chaque jour sera «une journée humaine». Il y a du chemin mais ce n’est pas impossible. Ce que j’aimerais dire aux femmes marocaines et d’ailleurs est simple, et je dirais la même chose aux hommes marocains et aux hommes en général : plus on fera en sorte, ensemble, qu’il y ait une égalité réelle entre les femmes et les hommes, plus chacun de nous vivra librement.

Une société où la femme est soumise, c’est aussi une société où l’homme a une définition toxique de sa masculinité. Pourquoi doit-on obliger les hommes à penser que virilité rime forcément avec agressivité ? Pourquoi un homme ne pourrait-il pas faire preuve de tendresse, de sensibilité ? Et, Mesdames, j’aimerais vous dire simplement d’essayer, au maximum, de vous libérer de vos propres prisons mentales. Je connais beaucoup de femmes marocaines exceptionnelles mais qui, pourtant, quelque part, ont l’impression de “devoir” se comporter de telle ou telle façon, alors qu’elles sont libres et que la seule façon de se débarrasser de traditions désuètes,  c’est d’arrêter de s’y conformer. Sans s’excuser. Il faut supprimer cette hchouma (honte) qui nous ronge de l’intérieur et nous empêche d’être nous-mêmes.

Fatima et Kenza ressemblent à beaucoup de femmes au Maroc. Est -ce que cela veut dire pour vous que quelque part la condition de la femme marocaine est restée figée ?
La nouvelle Moudawana a certes apporté, en 2004, de nouveaux droits pour la femme marocaine,   mais il reste énormément à faire, notamment concernant le droit à disposer de son corps. Le collectif 490 (Moroccan Outlaws) se bat pour cela, par exemple.

Des personnes comme Leïla Slimani ou Sonia Terrab, pour ne citer qu’elles, en ont fait un combat quotidien. Il nous faut une Moudawana 2.0! Pour libérer les femmes, mais aussi les hommes.

Quels sont vos auteures préférées ?
J’adore l’écriture et l’univers de Marguerite Duras. Son roman, «Moderato Cantabile», est d’une forte sensibilité, je dirais même beauté. Et j’aime ses deux récits, «La Douleur», qui traite de l’attente insupportable du retour de son mari de déportation lors de la Seconde Guerre Mondiale, et «Écrire», qui parle de son rapport à l’écriture : «Écrire, c’était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l’enchantait. Je l’ai fait. L’écriture ne m’a jamais quittée”. J’aime beaucoup aussi, comme auteure plus contemporaine, Chimamanda Ngozi Adichie, qui a écrit notamment le roman «Americanah» dans lequel elle traite, entre autres, du rapport des Etats-Unis avec les Black Americans.

Dans le roman, le personnage d’Ifemelu dit que la première fois de sa vie qu’elle s’est sentie noire (alors qu’elle a vécu jusqu’à ses 18 ans au Nigéria), c’est aux Etats-Unis. Il y a là un parallèle saisissant à faire avec la France et la notion “d’arabe”. L’auteure aborde de manière très juste la notion d’identité (on peut en avoir plusieurs, on en a toujours plusieurs) et comment le regard de l’Autre peut nous imposer une identité préconçue, parfois négative, et si souvent loin de la complexité de notre réalité… C’est à cela que sert la littérature, entre autres : Montrer, donner à vivre, grâce à une histoire, à des personnages, la complexité de la réalité.

Eliane Lafarge / Les Inspirations ÉCO



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