Loi de finance rectificative : pourquoi c’est important
par Abdeslam Seddiki
économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales
Le gouvernement s’est engagé à présenter dans les tous prochains jours une loi rectificative des Finances pour 2020. Le retard enregistré à ce niveau est compréhensible à plus d’un titre : il fallait disposer d’un minimum de visibilité sur la conjoncture prochaine tant au niveau national qu’international. Jusqu’à présent, les prévisionnistes ont eu du mal à cerner la situation. Les chiffres annoncés aujourd’hui sont remis en cause le lendemain. Les comptes ne seront définitivement arrêtés que lorsque la tempête se calmera et que le Coronavirus disparaîtra. On n’en est pas encore là malheureusement. Le mieux qu’on puisse espérer est de maîtriser le virus et d’apprendre à «cohabiter» avec lui au cours de la deuxième étape qui s’ouvre devant nous. Au cours de la première étape qui a commencé avec l’apparition du virus, transformé rapidement en pandémie, le souci principal consistait à sauver d’abord les vies humaines en privilégiant la santé sur l’économie. Toutes les mesures prises durant cette phase de confinement étaient justifiées par ce choix stratégique. Force est de reconnaître que notre pays a traversé cette première épreuve avec succès nonobstant quelques défaillances et ratages relevés ici et là. En faisant ce choix inévitable et inéluctable, faut-il le rappeler, on devinait ses conséquences sur le plan économique et social, sachant que tous les pays de par le monde se trouvent globalement dans la même situation. Les derniers chiffres annoncés par Bank Al-Maghrib, lors de son dernier Conseil du 16 juin, sont on ne peut plus inquiétants et risqueraient de s’aggraver davantage d’ici la fin de l’année.
Ainsi, l’économie marocaine connaîtrait pour cette année un repli de 5,2% et un éventuel rebond de 4,2% l’année suivante dans l’hypothèse d’une générosité du ciel, ce qui signifie qu’à la fin de 2021, on n’aura pas encore retrouvé le niveau de la richesse de 2019.
Par ailleurs, l’ensemble des indicateurs macro-économiques, à l’exception du taux d’inflation qui resterait à un niveau inférieur à 1%, connaîtraient une dégringolade sans précédent : les exportations accuseraient une baisse de 15,8% globalement, qui concernerait la quasi-totalité des secteurs ; les importations chuteraient de 10,7%, en lien essentiellement avec l’allègement de la facture énergétique et le repli des acquisitions de biens d’équipement ; les recettes de voyages enregistreraient un fort recul qui atteindrait 60% et les transferts des MRE régresseraient de 25% ; les IDE devraient chuter de plus de 50% pour revenir à l’équivalent de 1,5% du PIB ; le déficit budgétaire, hors privatisation, devrait s’aggraver de 4,1% du PIB en 2019 à 7,6% en 2020 suite à une diminution des recettes fiscales et à une augmentation conséquente des dépenses ; l’endettement du Trésor devrait augmenter, passant de 65% du PIB en 2019 à 75,3% en 2020. Sur le plan social et en attendant la publication des résultats de l’enquête trimestrielle du HCP sur l’emploi, tout indique que le taux de chômage connaîtrait une aggravation au cours de cette année avec l’arrivée sur le marché du travail de près de 300.000 nouveaux entrants. D’ores et déjà, une enquête ponctuelle réalisée par le HCP du 1er au 3 avril pour appréhender les retombées de la pandémie sur l’emploi indique une destruction de près de 726.000 postes, soit 20% de la main-d’œuvre occupée dans les entreprises organisées.
C’est dans cette conjoncture de forte récession qu’intervient la prochaine Loi rectificative des finances. Le gouvernement va-t-il faire preuve de la même audace que durant la phase précédente ou va-t-il se contenter du «service minimum» en se contentant de la «rectification» en attendant Godot ? Nous pensons, en toute objectivité, que la gravité de la situation doit nous inciter à écarter des solutions a minima. Il ne s’agit pas de procéder à un simple ajustement des dépenses à travers un transfert de lignes budgétaires ou le recours à une austérité débridée pour s’adapter au niveau des recettes courantes. Le pays appelle beaucoup plus que ça : réparer et reconstruire, guérir le mal et relancer l’économie en tirant les leçons, toutes les leçons, de nos erreurs passées, de nos multiples fragilités et de nos dysfonctionnements systémiques. Vu l’originalité de la crise que nous traversons, les mesures à prendre doivent agir à la fois sur l’offre et sur la demande. Le pays a besoin d’un changement de cap qui commencerait d’abord par un changement de méthode. Ainsi, le chef de gouvernement, qui a reçu dernièrement, à sa demande, plus d’une vingtaine de mémorandums émanant de partis politiques et d’organisations syndicales, doit faire preuve d’ouverture d’esprit en intégrant un certain nombre de propositions concrètes dans la LFR. En outre, c’est le moment d’être à l’écoute des partenaires sociaux, pour trouver des compromis positifs et donner du sens au dialogue social afin de créer les conditions propices à une paix sociale durable. C’est aussi le moment de lancer les grandes réformes et de donner un coup d’accélérateur à celles qui sont en cours. La réforme fiscale est plus que jamais à l’ordre du jour. Le gouvernement est là pour proposer, initier, stimuler et maintenir le pays en situation de mobilisation permanente. L’avenir, c’est maintenant qu’il faut le préparer, fût-ce dans la douleur !