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Marie Alexandra Veilleux-Laborie: “Le Maroc a des fondamentaux solides pour faire face à la crise”

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a deux priorités au Maroc: répondre immédiatement aux besoins de financement accrus du pays et du secteur privé et préparer la sortie de crise. Marie Alexandra Veilleux-Laborie, directrice de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au Maroc, estime que le royaume est très bien placé pour tirer avantage de la nouvelle recomposition de la carte mondiale des échanges qui se profile à l’horizon.

La BERD a lancé au Maroc son premier investissement dans le cadre de sa réponse au coronavirus. C’est le premier investissement du genre au monde. Pourquoi ce choix ?
De manière générale, la BERD a été l’une des premières institutions financières de développement à lancer son programme de réponse dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Cela est passé par une première approbation d’une première enveloppe de solidarité, il y a un mois et demi, qui visait à fournir de la liquidité à court terme. Il s’agit d’une réponse urgente à un besoin urgent. Dès son approbation, nous avons contacté nos partenaires. Il se trouve que le Maroc a été rapide dans sa réponse. Nos équipes locales et au siège ont été ravies de répondre aux besoins du Maroc. La première transaction a été signée la semaine dernière avec le Groupe Bank Of Africa (BMCE). Ce n’est qu’une première réponse. Notre Conseil d’administration a approuvé une deuxième phase plus complète de notre enveloppe de solidarité qui propose des solutions de financement pour atténuer l’impact de la crise, mais également pour préparer la sortie de crise, une fois la gestion urgente de la crise passée.

En quoi cela consiste consiste-t-il ?
D’une part, cette enveloppe de résilience destinée à nos clients a été multipliée par quatre: 4 milliards d’euros de financement prévus sur 2020 et 2021 en vue de soutenir la liquidité de nos clients existants et de leurs filiales. La deuxième composante innovante de ce deuxième package porte sur le soutien aux services d’infrastructure vitale: prestataire d’électricité, d’eau, les collectivités locales, les entreprises publiques… qui font également face à des problèmes de liquidité. Nous allons lancer cette deuxième phase maintenant. Nous avons adopté la même démarche au Maroc. Nous sommes en contact avec tous les partenaires potentiels pour pouvoir répondre au mieux à la crise actuelle, mais aussi pour préparer la sortie de crise. Au Maroc, cela se traduit par exemple par un soutien au nouveau plan Génération Green à travers le financement de projets qui s’inscrivent dans des politiques publiques de long terme.

Le rôle du secteur bancaire dans la gestion de la crise est primordial. Quelles sont vos attentes en la matière, et quelle première évaluation en faites-vous ?
De manière globale, les autorités ont pris des mesures très rapides pour faire face à la crise sanitaire. Elles ont mis en place un plan d’action efficace pour atténuer les effets de la crise économique. Tous les partenaires ont été mobilisés, notamment Bank Al-Maghrib et le ministère des Finances, qui ont annoncé des mesures très fortes pour soutenir l’économie réelle. Je pense que le secteur bancaire est extrêmement important, il agit comme intermédiaire et joue un rôle important en tant que facteur de relance.

Comptez-vous revoir votre programme et vos priorités au Maroc suite à la crise du Covid-19 ?
Le monde n’est plus comme avant. C’est une situation qui est totalement inédite, tout à fait exceptionnelle; aucun pays ne l’a jamais connue. Par conséquent, notre préoccupation est de répondre immédiatement aux besoins accrus en financement du pays et du secteur privé et de préparer la sortie de crise. Ce sont nos deux priorités aujourd’hui pour le Maroc. Nous allons continuer à travailler sur ces priorités, à soutenir nos partenaires du secteur privé et du secteur public pour faire face à la crise le mieux possible.

Vous soutenez aussi le secteur privé à travers le conseil. Dans cette conjoncture difficile, quels conseils leur adressez-vous pour préparer la sortie de crise?
Nous opérons dans le cadre d’un triptyque: financement, dialogue institutionnel pour des réformes et conseil aux entreprises. Pour ce troisième pilier, nous avons un programme d’appui aux petites et moyennes entreprises financé par l’Union européenne et qui, avant la crise, visait à assurer des missions de conseils pointues pour des petites et moyennes entreprises et à former des consultants locaux. Avec la crise, nous avons dû être agiles. Nous sommes totalement passés au digital. Nous avons lancé toute une série de webinaires, de formations en ligne dédiées, d’abord, aux femmes chefs d’entreprises qui sera généralisée aux chefs d’entreprises. Nous allons aussi lancer dans quelques semaines des webinaires dans le secteur de la santé avec des cliniques privées. Il s’agit de la première réponse: profiter du confinement actuel pour totalement transformer la manière dont les entreprises sont gérées en passant par le digital. Je ne pense pas que cette tendance sera passagère. Nous voyons en effet tous les bénéfices environnementaux, le gain en productivité et des économies liées à la digitalisation. Je pense que cela poussera les entreprises et les États à avancer davantage dans la digitalisation.

Quid du pilier du conseil en ces temps de crise ?
Il s’avère très difficile de donner des conseils aujourd’hui. Personne n’a de boule de cristal, d’autant plus que la violence et la soudaineté de cette crise, d’abord sanitaire puis économique et sociale, est inédite. Chaque pays va décider à sa manière de relancer l’économie après la gestion de la crise. Mais je pense qu’il sera nécessaire de coordonner les politiques publiques à l’international, notamment compte tenu de la dépendance du Maroc à ses principaux partenaires européens. Avant la pandémie, le Maroc avait déjà entamé une réflexion sur son nouveau modèle de développement économique. Une fois la gestion de l’urgence sanitaire passée, cette réflexion sera encore plus d’actualité afin de redéfinir le modèle de développement, d’entamer des transformations structurelles profondes, tant économiques que sociétales, pour un modèle de développement qui soit inclusif. On pense tous à l’accès aux services vitaux, à la santé et à l’éducation, ainsi qu’à une économie verte décarbonée.

L’Union européenne est un partenaire stratégique du Maroc. Croyez-vous que la crise va impacter les engagements entre les deux parties ?
Je ne suis pas l’Union européenne et je ne peux pas me prononcer en son nom. Il est certain, d’un point de vue économique, que l’Europe souffre énormément alors que les principaux partenaires du Maroc sont européens. Le Maroc a une très bonne carte à jouer avec la dimension africaine. La perturbation des flux commerciaux et des chaînes de valeur va certainement aboutir à une recomposition de la carte mondiale des échanges au profit et au détriment des uns et des autres. Le Maroc me paraît à mon avis très bien placé pour tirer avantage de cette nouvelle recomposition.

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle au Maroc en termes d’impact du coronavirus sur l’économie nationale ?
Le monde entier est touché par la pandémie de Covid-19. Le Maroc n’est malheureusement pas épargné. Les autorités ont été très réactives voire proactives dans la gestion de la crise sanitaire. Au niveau macro-économique, il faut s’attendre à une année 2020 très difficile économiquement et socialement parlant, non seulement du fait des conséquences sanitaires mais aussi de la sécheresse agricole en raison des niveaux de pluviométrie très faibles. Il est très difficile de donner des chiffres exacts en termes de prévision par ce que la situation est très fluide. La crise économique sera probablement très intense avec un secteur privé qui souffre énormément, notamment les toutes petites et moyennes entreprises qui représentent le tissu économique majeur au Maroc. Le secteur informel est aussi touché de plein fouet. Je pense que le Maroc a des fondamentaux solides pour faire face à la crise. Il a démontré par le passé sa résilience aux chocs internes et externes. Mais cette crise est tellement exceptionnelle que je pense qu’il est très difficile de prédire ce qui va se passer. La BERD au Maroc est totalement mobilisée pour accompagner ses partenaires et le royaume dans la gestion de la crise et soutenir le secteur privé et par conséquent, l’emploi au Maroc. 


Financement: plus de 400 millions d’euros d’investissement en 2020

La BERD est présente au Maroc depuis 2012. Avant la crise, l’institution internationale comptait dépasser le cap de 2 milliards d’euros d’investissement au Maroc. Il s’agit d’un montant cumulé au Maroc pendant les six dernières années. Ce qui représente, en fonction des années, selon la directrice de la BERD au Maroc, 200, 300 voire 400 millions d’euros d’investissement par an. Pour cette année, Marie Alexandra Veilleux-Laborie affirme que le soutien de la BERD à l’économie marocaine par le financement va atteindre un record puisque la banque a toujours été présente lors de grandes crises économiques auprès de ses partenaires, et n’hésite pas à déployer les moyens financiers et techniques pour accompagner et soutenir les pays et ses partenaires en pareille situation. L’enveloppe d’investissement dépassera largement les 400 millions d’euros pour le Maroc cette année.



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