Amnistie fiscale. La confiance sera-t-elle vraiment rétablie ?
Analyse. Deux thèses se confrontent sur la vraie raison d’être d’une amnistie censée ouvrir la voie à une nouvelle relation entre contribuable et administration fiscale. À partir du 1er janvier et jusqu’à fin juin, les personnes physiques peuvent payer une contribution de 5% sur leurs avoirs en liquide.
En janvier 2015, l’ex-ministre des Finances Mohamed Boussaïd jubilait en présentant les résultats de l’opération dite contribution libératoire au titre des avoirs à l’étranger. Cette amnistie fiscale et de change a été qualifiée par le ministre de réussite puisqu’elle a permis de rapatrier la coquette somme de 27,8 MMDH. Cinq ans après et dans les mêmes termes utilisés par son prédécesseur, l’actuel ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun, a insisté sur le fait que l’opération d’amnistie fiscale sur l’argent thésaurisé en liquide ou via des biens meubles et immeubles, lancée dans le cadre de la loi de Finances 2020, est à même de renforcer la confiance. Et surtout pour repartir sur de nouvelles bases en matière de justice fiscale mais telle n’est pas l’opinion de Mohamed Chiguer, président du Centre d’étude et de recherche Aziz Belal qui pense qu’il faut remettre cette opération avec tant d’autres dans leur contexte historique tout en interrogeant la culture dominante.
Traumatisme
Cet économiste estime que l’État recourt régulièrement à ce genre d’opérations lorsqu’il se trouve en situation de manque de liquidité. Il a rappelé, dans ce sens, la campagne d’assainissement lancée en 1995 qui selon lui fût loin de rétablir la confiance, bien au contraire. Certes, le Maroc est bien loin de ce genre de razzia fiscale qui a laissé un traumatisme indélébile dans les esprits mais pour Chiguer la défiance est toujours là malgré les annonces officielles des ministres successifs. Selon notre source, en payant les 5% sur l’argent détenu en liquide, les personnes concernées légitiment leurs avoirs mais cela n’empêche qu’elles peuvent s’abstenir de payer à l’avenir en attendant une nouvelle amnistie car pour Chiguer, dans les deux cas, qu’il s’agisse d’assainissement ou d’amnistie, la loi est mise en stand-by, elle est rendue inutile le temps que l’opération dure. Cela alimente un sentiment d’injustice fiscale chez les salariés, principalement la classe moyenne, qui paient l’impôt sur le revenu à la source.
À l’antipode de cette analyse, l’économiste Ahmed Azirar pense qu’il s’agit d’une opération intégrée dans le cadre d’un dernier geste pour rétablir une nouvelle relation entre fisc et contribuable. Il considère cette amnistie fiscale à travers le prisme des dernières Assises de la fiscalité et dans la perspective de la future loi-cadre qui devra rassembler toutes les dispositions fiscales. Pour Azirar, l’Administration fiscale dispose aujourd’hui de nouvelles armes pour faire valoir la loi. En effet, lors de sa présentation de l’opération d’amnistie, Benchaâboun tout en faisant valoir la carotte fiscale de 5% n’a pas manqué de brandir le bâton de la convention signée avec l’OCDE sur l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
Capacité contributive
Azirar fait aussi le lien entre une fiscalité forte et saine et le financement du développement, surtout dans un contexte actuel marqué par une réflexion sur un nouveau modèle de développement. Pour Azirar, la fiscalité doit être un outil financier, économique et social juste et efficace, lequel insiste sur la nécessité de cesser de pressurer les salariés et la classe moyenne qui représentent le maillon à la fois faible et fort des ressources fiscales.
«Aujourd’hui, l’écosystème financier se présente de manière différente car l’administration fiscale s’est dotée des ressources humaines ainsi que d’une maîtrise de la data qui lui permettent d’agir en toute confiance et dans les délais», a expliqué Azirar mais à partir de là, toute forme de forfaits ou contribution minimale doivent être supprimés afin de considérer le contribuable selon sa capacité contributive et rien d’autre. Ceci dit, la récente opération d’amnistie sera-t-elle vraiment la dernière ? Entrera-t-on dans une nouvelle ère où la loi est appliquée en seul et unique arbitre ?
Le détail de la contribution libératoire
L’opération d’amnistie qui a démarré le 1er janvier se prolongera jusqu’à fin juin avec la possibilité d’une prolongation de deux mois renouvelable une seule fois. Les personnes concernées sont les contribuables personnes physiques ayant leur résidence fiscale au Maroc. Les MRE ne sont pas concernés. Le taux de contribution libératoire est de 5% du montant des avoirs liquides à déposer sur un compte bancaire et ce sont les banques qui se chargent du prélèvement de cette contribution mais dès que celle-ci est payée, les contribuables seront obligés de déclarer leurs revenus qui doivent correspondre aux avoirs déclarés. Ce qui n’empêche pas un contrôle a fortiori si l’administration fiscale constate un grand écart entre les revenus réels et ce qui est déclaré.