Taux d’intérêt. Quels déterminants ?
Abdeslam Seddiki
Économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales
Le taux d’intérêt est défini comme étant le coût de l’utilisation du capital. Quand ce capital est emprunté, c’est généralement le cas, c’est ce qu’on doit payer au prêteur. Dans le cas contraire, c’est ce qu’on perd en ne le prêtant pas : il s’agit de ce que les Economistes appellent coût de substitution (ou coût d’opportunité) défini comme étant la renonciation à un emploi collectif. Ce taux d’intérêt est déterminé par deux variables principales : le niveau de la demande (consommation et investissement) et le taux d’inflation. C’est ainsi que le taux d’intérêt ne saurait être inférieur au taux d’inflation pour ne pas décourager les épargnants et donc l’offre de la monnaie. De même, l’investissement ne sera réalisé que lorsque le taux de rendement escompté est supérieur au taux d’intérêt pour ne pas décourager la demande et donc la croissance économique.
En théorie, mais en théorie seulement, le marché des capitaux ne diffère pas beaucoup du marché des biens et services et de celui du travail. Le premier aboutit à la détermination du taux d’intérêt (coût de l’argent), le second à celui du prix et le dernier au salaire (coût du travail). Ces catégories ont pris un essor avec le développement du capitalisme et la domination de la production marchande. D’où le développement de la salarisation de la population, de sa bancarisation et de la marchandisation du produit social.
Ces phénomènes trouvent donc leur explication dans l’évolution des sociétés et la transformation continue de ces dernières. Ce sont des phénomènes objectifs et datés à analyser comme tels. Chaque société, en fonction de son niveau de développement, crée ses propres règles de fonctionnement. À ce titre, il est illusoire et ascientifique de vouloir approcher la réalité d’aujourd’hui avec des catégories puisées dans je ne sais quel répertoire historique, comme le font d’aucuns en analysant la notion du taux d’intérêt, confondu maladroitement avec l’usure.
En effet, la monnaie a toujours existé sous différentes formes : monnaie marchandise, monnaie métallique (or et argent), monnaie fiduciaire et monnaie scripturale (que nous connaissons aujourd’hui) et monnaie électronique (qui deviendrait la monnaie de demain).
Avant l’apparition des banques comme moyens d’intermédiation –collecter l’épargne et octroyer le crédit- les opérations monétaires s’effectuaient directement entre individus : ceux qui disposaient d’un excédent d’argent (ou de richesse) prêtaient à ceux qui en avaient besoin. Il n’a y avait pas de taux d’intérêt réglementés. On pratiquait dans la plupart des cas des taux dits «usuraires» dépassant tout entendement. Jusqu’à 100% par année voire plus !! C’est pour cela que les différentes religions ont prohibé les taux d’intérêt sachant qu’il n’y avait pas de différence entre le taux d’intérêt normal tel que défini ci-dessus et le taux usuraire (الربا). Cette pratique de l’usure existe encore au Maroc dans des cas très limités. Les personnes qui sont dans l’extrême besoin et qui n’ont pas la possibilité de bénéficier d’un prêt bancaire recourent à des prêts informels moyennant des taux d’intérêt exorbitants.
Les temps ont heureusement changé. Les banques se sont développées y compris dans le monde rural. Elles se sont même internationalisées. Le taux de bancarisation a atteint 70% de la population avec un réseau bancaire relativement dense et proche de la clientèle. Sachant que la monnaie est un attribut de la souveraineté, le Maroc s’est empressé juste après son indépendance à structurer le secteur bancaire en créant notamment la Banque du Maroc, devenue Bank Al Maghreb, jouant son rôle de régulateur et ayant acquis son autonomie en matière de politique monétaire, de supervision bancaire et de stabilité des prix. Le secteur a été mis progressivement au niveau des standards internationaux tant en termes de la législation qu’au niveau de la pratique courante.
Ces efforts ont donné leurs fruits. Les taux d’inflation ont été relativement maîtrisés, les taux d’intérêt ne sont plus à deux chiffres comme auparavant. Ils sont descendus à des niveaux tolérables. D’après les données de BAM relatives au quatrième trimestre de 2019, les taux débiteurs s’établissent à une moyenne de 4,91% ventilés comme suit : crédit aux particuliers : 4,48% pour l’habitat et 6,6% pour la consommation ; crédit aux entreprises : 4,58% pour l’équipement, 5,68% crédit aux TPME (toutes petites et moyennes entreprises), 4,47% aux GE (grandes entreprises). Pour ce qui est de la rémunération des dépôts à terme pour une période d’une année, le taux d’intérêt créditeur est de 3%.
Nonobstant cette baisse des taux, nous pensons qu’il y a encore un effort à faire eu égard au niveau de l’inflation qui reste en deçà des 2% et aux exigences du développement du pays. A titre de comparaison, le crédit immobilier ne dépasse pas en France le taux de 1,20% et les crédits pour étudiants sont à 0% !! Aussi, le secteur bancaire est appelé à se transformer d’une situation d’oligopole (cordonné) à une situation de concurrence pour jouer pleinement son rôle dans le développement économique et social du pays.