Opinions

Projet de loi de Finances 2021 : la relance dans l’incertitude

Par Abdeslam Seddiki / économiste et ex-ministre de l’Emploi et des affaires sociales

Nous exprimions il y a deux semaines exactement, à propos du PLF 2021, notre crainte de voir le gouvernement recourir aux solutions de facilité. Nous aurions bien aimé avoir tort. Hélas ! C’est bien le cas après un premier examen du PLF et après avoir suivi attentivement le discours du Ministre des finances, de l’économie et de la réforme de l’administration devant le Parlement ce lundi. Au niveau des orientations générales, personne ne retrouvera à redire. Ce sont les orientations exprimées et annoncées avec force par le Souverain dans ses derniers discours à savoir, la mise en œuvre d’un plan de relance économique et de sauvegarde de l’emploi, le lancement du chantier de la généralisation de la couverture sociale à l’horizon 2025 et la réforme du secteur public dans la perspective d’un «mieux-État». Viennent s’y ajouter les priorités accordées à l’éducation et à la santé qui ont vu leur budget augmenté et leurs ressources humaines renforcées. Ce sont, il va sans dire, des chantiers mobilisateurs qui peuvent redonner confiance aux citoyens. Mais dès qu’on rentre dans la phase opérationnelle, les problèmes surgissent et les contradictions apparaissent de telle sorte qu’on ne trouve pas d’adéquation entre ces objectifs et orientations clairement annoncés d’une part, et les moyens d’action mobilisés d’autre part. Ces derniers obéissent toujours à la logique «courtermiste» soutenue par de multiples subterfuges et manipulations budgétaires, et aux solutions de facilité telles que le puisement de l’argent auprès des classes moyennes et des entreprises citoyennes, en abusant de leur fibre patriotique sous couvert de «solidarité nationale», l’activation de la privatisation à travers la cession, en partie ou en totalité, d’une série d’entités publiques, le recours excessif à l’emprunt public pour boucher les trous.

Les finances publiques au plus mal
Le montage de ce budget, à l’instar de la loi de Finances rectificative pour 2020, n’est pas un exercice facile eu égard aux multiples incertitudes qui marquent l’environnement tant national qu’international. Ce qui exige du gouvernement imagination et audace. En statique, les finances publiques ne se portent pas bien. Un indicateur suffit : les recettes ordinaires n’arrivent pas à couvrir les dépenses ordinaires du budget général (228,4 MMDH contre 254,25 MMDH) donnant lieu à une épargne publique négative de près de 26 MMDH. Ce qui signifie qu’une partie des emprunts, évalués à 107 MMDH, seront affectés à combler ce solde négatif ordinaire ! Par ailleurs, et c’est un aspect positif qui convient d’être relevé, au niveau des recettes ordinaires, fiscales et non fiscales, toutes les rubriques évoluent positivement à l’exception toutefois des impôts directs et taxes assimilées qui enregistrent une baisse de 6,1% par rapport à 2020, avec une baisse de 10,8% pour l’IS.

Dans l’ensemble, les recettes dégagent une amélioration de 7,6% en comparaison à 2020. Ce sont les droits de douane qui enregistrent le taux d’augmentation le plus élevé, soit 36,2% en raison notamment de l’aménagement de certains taux douaniers pour protéger l’industrie nationale et en premier lieu le secteur textile. Pour les dépenses, il n’y a pas un grand chamboulement par rapport au budget 2020, du moins au niveau de la structure, à l’exception toutefois d’une baisse de 10% des dépenses d’investissement du budget général ramenées à 77,2 MMDH au lieu de 85,73 MMDH l’année en cours. Cette baisse s’explique par le transfert d’une partie des dépenses d’investissement au Fonds Mohamed VI pour l’investissement qui sera doté de 15 MMDH. Dans l’ensemble, le volume de l’investissement public est estimé à un niveau jamais atteint auparavant, à savoir 230 MMDH, ce qui représente 20% du PIB.

Couverture sociale généralisée
Le grand chantier qui redonne espoir est incontestablement celui de la couverture sociale et sa généralisation progressive à l’horizon 2025. Pour son financement, il est prévu de faire appel à la solidarité sociale en faisant participer les personnes physiques et les sociétés. Pour les premières, la contribution est calculée au titre des revenus professionnels, agricoles, fonciers et salariaux et assimilés, selon le taux de 1,5% sur la base du revenu global net d’impôt qui est égal ou supérieur à 120.000 DH. Autrement dit, toute personne disposant d’un revenu net mensuel supérieur ou égal à 10.000 DH est appelée à verser 1,5%. En revanche, pour les sociétés, la contribution sera calculée sur la base du bénéfice net de l’exercice servant pour le calcul de l’IS, et qui est égal ou supérieur à 5 MDH au titre du dernier exercice clos, aux taux de 5% et de 2,5% en fonction de la nature de la société. Si le principe de la solidarité est indiscutable, tant elle constitue le socle du «vivre ensemble», c’est sa mise en œuvre sélective et ses effets pervers éventuels qui sont sujets à discussion. D’abord, est-il juste et équitable de taxer au même taux des revenus de 10.000 DH et des revenus de 30.000 DH ou plus, et faire fi d’un principe constitutionnel de justice sociale qui exige la progressivité ? Ensuite, taxer des sociétés citoyennes qui exercent dans la transparence fiscale, tout en laissant les sociétés «récalcitrantes» à leur aise, n’est-il pas de nature à favoriser le développement de l’informel et de l’évasion fiscale ? Enfin, pourquoi limiter la solidarité nationale à un nombre limité de personnes (entre 400.000 et 500.000) et de sociétés (quelques centaines) ? N’aurait-il pas été économiquement judicieux et socialement juste de procéder à l’élargissement de l’assiette fiscale et à la recherche du «trésor» auprès des grandes fortunes pour récolter la somme de 5 MMDH nécessaire au financement de la couverture médicale ? Les parlementaires auront sûrement du pain sur la planche. 


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