Loi 95-17 : une réforme d’envergure pour promouvoir le recours à l’arbitrage au Maroc
Maître Wassim Benzarti
Avocat au barreau de Paris, dirigeant de la so- ciété Westfield Morocco
Depuis l’adoption de la loi 95-17 relative à l’arbitrage au Maroc, le pays a connu une véritable réforme de son système juridique en matière de règlement des différends. Cette loi aura un impact significatif sur le climat d’investissement au Maroc en encourageant la résolution des conflits commerciaux par voie d’arbitrage, offrant ainsi une alternative rapide, confidentielle et efficace aux tribunaux civils. Le législateur a tenté de rattraper son retard en matière d’arbitrage à travers cette réforme, comblant ainsi les vides et les omissions de la loi 08-05.
Un véritable code de l’arbitrage indépendant du code de procédure civile
L’arbitrage dispose désormais d’un code à part entière, indépendant du code de procédure civile. Pour la première fois au Maroc, la loi 95-17 a permis d’organiser l’arbitrage et la médiation conventionnelle dans un texte indépendant du Code de la procédure civile. Le nouveau code compte 150 articles, soit une augmentation significative par rapport à l’ancien qui n’en comportait que 100.
Une extension du champ d’application de l’arbitrage
La loi 95-17 vient étendre considérablement le champ d’application de l’arbitrage et restreint le recours au juge d’appui étatique. Par exemple si un juge étatique a connaissance d’un acte, ou d’un accord mutuel sur le recours à l’arbitrage, il se dessaisit immédiatement du dossier. L’accord compromissoire peut également avoir été donné par un simple échange d’emails ou lorsque une partie soulève la compétence du tribunal arbitral mais que l’autre ne la conteste pas.
Désignation des arbitres et composition du tribunal arbitral
L’un des changements les plus notables est la consécration du principe de l’indépendance en instaurant un régime où l’arbitre n’est pas soumis à une liste établie par le procureur. Antérieurement à la loi 95-17, le législateur exigeait des personnes exerçant les missions d’arbitre d’en faire déclaration auprès du procureur général près la cour d’appel.
Après examen de leur situation, le procureur général délivrait un récépissé de la déclaration et inscrivait les intéressés sur une liste des arbitres près la Cour d’appel concernée. Désormais, la liste des arbitres sera fixée par un texte réglementaire échappant ainsi à tout contrôle du procureur, qui, du fait de ses fonctions, sans rapport avec la pratique de l’arbitrage, n’est pas l’autorité adéquate pour désigner les arbitres compétents. Cette liste sera établie sur le fondement des critères de la (i) compétence scientifique et (ii) l’expérience. En outre, la nouvelle loi ne considère pas comme motifs de récusation des arbitres désignés :
– Les liens professionnels entre l’arbitre et le représentant de l’une des parties au litige ;
– Les liens existants entre les arbitres membres du tribunal arbitral ;
– Les litiges nés entre l’arbitre et l’une des parties dans le cadre d’un litige achevé soumis à l’arbitrage.
L’existence de liens professionnels antérieurs à la procédure d’arbitrage n’est malheureusement pas de nature à garantir la neutralité des arbitres désignés par les parties. Il aurait été souhaitable que cette nouvelle loi interdise tout lien professionnel entre la partie et l’arbitre. En pratique, chaque partie désignera un de ses conseils pour la représenter devant le tribunal arbitral et une confusion pourrait exister entre la fonction d’arbitre, qui demande une neutralité totale, et celle d’avocat ou conseil, qui demande de défendre l’intérêt de son client.
Extension du champ d’application de la loi à l’État, aux collectivités territoriales et aux entreprises publiques :
Lorsque le cocontractant est une entreprise publique, une collectivité territoriale ou l’État, l’investisseur étranger peut avoir une appréhension quant au fait de désigner le tribunal étatique comme tribunal compétent pour résoudre un litige. En effet, de nombreux investisseurs étrangers refusent tout simplement de soumettre un contrat signé avec une entité publique au tribunal étatique.
De ce fait, de nombreux investisseurs ne pouvaient contracter avec les entités et organismes publiques. L’un des apports de cette loi est la possibilité pour les litiges relatifs aux contrats conclus par l’État, les entreprises publiques ou les collectivités territoriales de faire l’objet d’une convention d’arbitrage dans le respect des dispositions spéciales relatives au contrôle, prévues par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur en ce qui concerne ces contrats.
Auparavant, les entités publiques, pour recourir à l’arbitrage, avaient besoin d’une autorisation de l’autorité de tutelle. Beaucoup de procédures se sont tenues sans cette autorisation. Aujourd’hui, la loi précise qu’en l’absence de cette autorisation, la procédure d’arbitrage est quand même valable. C’est un bouleversement de la théorie des actes administratifs pour donner plus de sécurité juridique aux conventions d’arbitrage. Le justiciable ou les entités marocaines auront tout intérêt à recourir à l’arbitrage dans leurs relations avec l’administration et les entreprises publiques. A titre de comparaison, le droit français ne permet pas cela (sauf pour le commerce international), le droit marocain en termes d’arbitrage est plus avancé sur ce point. Les entreprises publiques sous forme de sociétés commerciales (OCP, RAM…) peuvent recourir à l’arbitrage avec l’accord de leur conseil d’administration, ou conseil de surveillance. En revanche, les différends liés aux actes unilatéraux de l’État, des collectivités territoriales ou d’autres collectivités ,jouissant de prérogatives de puissance publique, ne peuvent aucunement faire objet d’arbitrage.
Restriction de la compétence juridictionnelle du juge d’appui étatique
S’agissant du flou juridique qui entourait la question de la juridiction étatique compétente (communément appelé «juge d’appui») à laquelle peut se référer le tribunal arbitral – si ceci n’avait pas fait l’objet d’une convention d’arbitrage entre les parties -, il a été donné compétence au président du tribunal de première instance, le président du tribunal administratif, le président de la chambre administrative au sein du TPI, ou le président de la chambre commerciale du tribunal de première instance.
En outre, lorsqu’un litige soumis à un tribunal arbitral, en vertu d’une convention d’arbitrage, est porté devant le juge d’appui. Celui-ci doit déclarer l’irrecevabilité jusqu’à épuisement de la procédure d’arbitrage ou annulation de la convention d’arbitrage. Si le litige n’a pas encore été porté devant le tribunal arbitral, la juridiction étatique doit également déclarer l’irrecevabilité de la demande. La juridiction étatique est tenue de se prononcer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée selon les dispositions du présent article par jugement indépendant, et ce, avant de statuer sur le fond. Ce jugement indépendant n’est susceptible de recours qu’avec le jugement statuant sur le fond.
Déroulé de l’instance arbitrale
La loi 95-17 dispose que préalablement à tout examen au fond, il appartient au tribunal arbitral de statuer par ordonnance, soit d’office, soit sur la demande de l’une des parties, sur la validité ou la limite de ses compétences et sur la validité de la convention d’arbitrage. Un délai de quinze (15) jours à compter du jour où l’ordonnance a été rendue est accordé aux parties pour former un recours contre celle-ci, devant le président de la juridiction étatique qui, après convocation des parties, rend une ordonnance non susceptible de recours. Il est désormais possible aux arbitres ou au tribunal arbitral de demander la production des documents originaux lorsque les parties y font référence. Si la partie concernée refuse ou ne produit pas les documents, le tribunal arbitral peut saisir le président du tribunal compétent pour obtenir une décision, dans le cadre d’une procédure contradictoire, obligeant la partie à produire les documents sous astreinte.
En outre, la sentence arbitrale doit être motivée, sauf si les parties en ont décidé autrement dans la convention d’arbitrage ou à l’occasion de la procédure d’arbitrage, ou que la loi devant être appliquée à la procédure d’arbitrage n’exige pas que la sentence soit motivée. Toutefois, la sentence arbitrale à laquelle l’une des parties est une personne de droit public doit toujours être motivée. Il est important de mentionner que désormais toutes les sentences arbitrales rendues ont autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’elles tranchent et sont exécutoires.
Restriction des recours abusifs
Le recours abusif devant les tribunaux civils permettait de faire échec à la procédure arbitrale et servait de moyen dilatoire pour la partie qui avait été condamnée par le tribunal arbitral. Grâce aux dispositions de la loi 95-17, s’il a été constaté par la cour d’appel compétente que si le recours est abusif, la cour condamne l’appelant à verser une indemnité compensatoire pour le préjudice subi au profit de l’intimé qui ne peut être inférieure à 25% de la valeur du montant prononcé dans la sentence arbitrale. Ainsi, ce montant va très certainement dissuader les recours abusifs introduits contre les sentences arbitrales devant les juridictions étatiques.
Introduction des moyens de communication par voie électronique
Enfin, il est dès à présent possible d’utiliser les moyens de communication électronique pour la conclusion et la mise en œuvre des clauses compromissoires. La loi 95-17 prévoit la possibilité pour les arbitres qui ne peuvent assister aux audiences de tenir des réunions virtuelles, et ce, après accord des parties. Les échanges procéduraux peuvent se tenir par voie électronique et la sentence arbitrale sur support électronique.
Reconnaissances des sentences arbitrales au Maroc
À moins qu’elles ne soient contraires à l’ordre public national ou international, les sentences arbitrales internationales sont reconnues et exécutoires au Maroc. Si la sentence arbitrale internationale est rendue au Maroc, la compétence pour la demande d’exequatur revient au président du tribunal de première instance de commerce dans le ressort duquel celle-ci a été rendue. Si le siège de l’arbitrage est situé à l’étranger, le président du tribunal de première instance de commerce du lieu d’exécution est compétent. En résumé, l’impact de la loi 95-17 sur le climat d’investissement au Maroc a donc été significatif. Les investisseurs étrangers peuvent désormais compter sur une procédure d’arbitrage plus prévisible et plus transparente pour résoudre les différends commerciaux. Cette sécurité juridique accrue contribue à renforcer la confiance des investisseurs étrangers dans le marché marocain, ce qui est essentiel pour stimuler les investissements étrangers et favoriser la croissance économique.