Opinions

La crise de la livre turque : est-ce vraiment un complot ?

Pour le président, Recep Tayyip Erdoğan, les récentes turbulences que connaît la monnaie turque face au dollar américain sont dues à un complot occidental contre son pays et son leadership mais les analystes sont presque unanimes sur le fait que les raisons sont aussi bien structurelles que géopolitiques ; même si l’idée du complot existait, elle n’a fait qu’exacerber une situation macro-économique et structurelle déjà fragile.

 
Avec une inflation qui avoisine les 16%, un déficit du compte courant de presque 6% du PIB (seuil intolérable pour un pays émergent selon le journal français Les Échos), une dette externe qui ne cesse d’exploser (466,67 milliards de dollars, dont 69,7% pour le privé (Actualité News juin 2018)) et une livre qui a perdu presque 40% de sa valeur face au dollar depuis presque un an, la situation est plus que conjoncturelle. 

La fuite des investisseurs se confirme chaque jour ; la contagion de la chute de la livre (qui a négativement impacté le Rand sud-africain et le Peso mexicain la semaine dernière) a créé une fuite loin des monnaies des marchés émergents. Le fond de toile de cette fuite des investisseurs «court-termistes» est l’effondrement des investissements directs, surtout de la part des Européens soucieux de l’attitude pugnace d’Erdogan, ses prétendues «tendances autoritaires» et sa rhétorique.

L’économie a certes connu une croissance de 7,4% en 2017 (la plus forte des 20 premières économies de la planète) grâce au dynamisme du secteur privé et la compétitivité des entreprises turques (connues sous le nom de «tigres anatoliens») mais c’est grâce à l’effondrement de la valeur de la livre que les exportations ont été dopées et que les flux de touristes ont connu un développement important. La croissance a connu une facture sociale assez lourde : le pouvoir d’achat des Turcs baisse et l’emploi n’a pas été positivement impacté par la croissance (le taux de chômage des jeunes est de 
20%, presque deux fois la moyenne nationale).

Une situation macro-économique instable a été rendue pire par une guerre commerciale perdue d’avance avec les États-Unis (la force et la bonne santé de l’économie américaine rendent toute réaction de la part des Turcs presque insignifiante). Déclenchée par Trump, qui a augmenté les tarifs douaniers des importations de l’aluminium et de l’acier turc à cause du refus d’Ankara de relâcher un pasteur américain accusé de terrorisme, la guerre commerciale turco-américaine risque d’affaiblir davantage l’économie turque au moment où elle a besoin d’être soutenue par ses «alliés traditionnels» occidentaux. Les bouées de sauvetage lancées par le Qatar, la Russie et la Chine peuvent avoir des effets (comme on l’a vu cette semaine avec le regain de la livre de plus de deux points face au dollar), mais ils restent insuffisants. 

Face à cette crise, Erdogan crie à la conspiration étrangère. Il est vrai que beaucoup en Occident aimeraient bien le voir partir mais les causes sont beaucoup plus profondes. L’inflation à deux chiffres doit être maîtrisée grâce à l’augmentation du taux directeur par la Banque centrale (dans la foulée de son inclinaison à centraliser le pouvoir, Erdogan l’a rendue politiquement dépendante de lui, contrairement aux normes et aux pratiques internationales). Le président turc refuse d’augmenter le taux directeur, disant que ce serait une recette fatale pour l’économie turque. 

D’autres réformes concernent la restructuration de la dette privée et publique (en partenariat avec le FMI), un programme d’austérité afin de freiner l’effondrement du compte courant, rassurer les investisseurs (comme l’a fait cette semaine le ministre de l’Économie, Kayhan Ozer), revoir la loi sur la Banque centrale (la rendre plus indépendante du pouvoir politique)…

Ces réformes assorties de mesures rendant le climat politique et des droits de l’homme plus saints et une meilleure gestion des relations avec les alliés européens et américains pourront sortir la Turquie de la zone de turbulence actuelle. Sinon, loin de s’effondrer complètement, l’économie turque survivra mais malade et handicapée par des considérations géostratégiques et nationalistes qui ne sont dans l’intérêt ni de la Turquie, ni de ses alliés occidentaux.


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