Opinions

Impôts : la retenue à la source sur les rémunérations allouées à des tiers, expliquée aux néophytes…

Hassan El Ktini
Chercheur universitaire et docteur en droit privé de l’Université de Grenoble

 

La retenue à la source (RAS) est devenue la fameuse Arlésienne. Tout le monde en parle en initié mais nul n’en connaît pour ainsi dire le visage ni n’en cerne les contours. Mais de quoi parle-t-on en réalité et comment ce feuilleton fiscal a-t-il pu prendre une tournure aussi rocambolesque, à en juger par les choux gras qu’en ont fait la presse et les cybers réseaux sociaux.

A présent que le projet de loi est voté, que les ardeurs corporatistes se sont calmées et que la RAS objet de polémique s’est fait une place dans le Code Général des Impôts, il est temps que les points de vue politique et corporatiste cèdent le pas aux avis des juristes et des fiscalistes afin d’éclairer le grand public sur la teneur de cette disposition et, ce faisant, séparer le bon grain de l’ivraie. C’est donc devenu un rituel annuel. A chaque discussion du projet de Loi de Finances au Parlement, préalablement au vote d’approbation ou de rejet par les élus de la Nation, un débat s’engage au sujet des différentes dispositions fiscales, au sein de l’Hémicycle mais aussi, en concomitance, dans la presse et les instances citoyennes. Le PLF 2023 n’a pas dérogé à la règle. Sauf que cette fois-ci la disposition visant l’institution d’une retenue à la source sur les rémunérations allouées à des tiers a décroché la palme d’or de la contestation.

À peine l’information a-t-elle été relatée par les journaux et les sites d’information spécialisée, qu’un bloc corporatiste hétéroclite a entrepris de crier haro sur le baudet avec pour mot d’ordre la suppression pure et simple de la retenue à la source. Hormis la dimension psycho passionnelle qui se prête à tous les amalgames que certaines plumes corporatistes ont voulu faire passer pour dénoncer la notion de RAS, nous avons constaté à notre grand étonnement le silence assourdissant des juristes et les spécialistes qui se sont abstenus d’éclairer le public sur la teneur et la portée juridique de la mesure proposée en toute impartialité. Et comme la nature a horreur du vide, les abus de langage et les préjugés ont hélas tendance à l’emporter sur les notions vraies.

Or, à force de ressasser les mêmes inepties, on finit fatalement par prendre des chimères pour argent comptant. Loin de nous l’intention de chercher à stigmatiser la démarche commune entreprise par les professions libérales de contester cette nouvelle mesure, ce qui relève somme toute d’un droit inaliénable garantit par la Constitution pour peu qu’il soit utilisé à bon escient. Contentons-nous à présent d’analyser ce nouveau dispositif juridique qui n’est pas au goût de certaines corporations, tout en passant au crible les divers arguments avancés par ses détracteurs afin de convaincre les élus de la nation de voter contre cette disposition fiscale visant à instaurer la retenue à la source des rémunérations allouées à des tiers. Qu’est-ce donc que la retenue à la source et quel rôle joue-t-elle dans la construction fiscale marocaine ?

RAS : un procédé technique pour un impôt citoyen
Rares sont les contribuables dans le monde qui acquittent encore leur impôt sur le revenu (IR) avec une année de décalage. La tendance générale s’achemine vers le prélèvement à la source chaque fois que le revenu est versé par des tiers. C’est dire que le gouvernement marocain n’a pas réinventé la roue en entreprenant d’instaurer la retenue à la source sur les rémunérations des tiers. Il n’a fait, études de benchmarking à l’appui, qu’emboîter le pas à d’autres nations de grande civilisation fiscale.

Le PLF 2023 arrive à point nommé pour introduire ce procédé dédié aux rémunérations allouées à des tiers dans l’architecture fiscale marocaine pour consolider le système fiscal déclaratif. La RAS est instaurée justement pour chercher la synchronisation optimale entre le revenu imposable et les avances payées au Trésor avec l’immédiateté requise en attendant la liquidation finale qui, dans un système déclaratif, ne peut intervenir qu’ex post puisqu’elle implique de connaître le revenu global de toute l’année pour donner au principe de progressivité toutes ses lettres de noblesse. Elle renforce donc la compréhension de l’impôt car elle permet d’ajuster le prélèvement en temps réel à la situation de chacun, tout en conservant la visibilité de la déclaration annuelle du contribuable, qui reste nécessaire pour la régularisation finale.

Le faire-part de baptême  fiscal
Afin de cerner la dimension purement juridico-fiscale de cette mesure, il importe de procéder, dans un souci pédagogique, à une lecture combinée de trois articles du Code Général des Impôts, à savoir : 4 ,15 bis, 45 bis, et 157 du CGI. C’est, en fait, l’article 4 du CGI qui s’est chargé d’ouvrir le bal pour ranger les rémunérations allouées à des tiers parmi la kyrielle de produits soumis à la retenue à la source. A s’en tenir stricto sensu aux termes des dispositions de cet article, les rémunérations allouées à des tiers versées à des personnes morales ou des personnes physiques, dont les revenus sont déterminés selon le régime du résultat net réel ou celui du résultat net simplifié, sont désormais soumis à l’impôt retenu à la source. Ce même article nous renvoie par la suite à l’article 15 bis, un nouveau-né codifié pour nous enseigner sur la définition des rémunérations allouées à des tiers susvisées. Ainsi, ces rémunérations peuvent porter des vocables sémantiquement variables, à savoir :  les honoraires, commissions, courtages mais au demeurant restent tous logés à la même enseigne fiscale.

Ainsi, et par souci didactique de techniciser le débat et pouvoir vulgariser davantage la mise en œuvre de ce procédé de recouvrement, contentons-nous maintenant de schématiser le processus emprunté par la loi par un cheminement apportant des réponses directes à des questions cruciales. En quoi consistent ces rémunérations allouées à des tiers soumises à la RAS ? Le concept de rémunérations allouées à des tiers soumises à la RAS est composé de trois vocables dont chacun à une définition fiscale exclusive, à savoir : Les rémunérations allouées à des tiers visées englobent les honoraires, «commissions, courtages et autres rémunérations de même nature ; par le vocable Allouées on signifie des rémunérations versées, mises à disposition ou Inscrites en compte des prestataires ; Enfin le concept de Tiers désigne des (bénéficiaires) qui peuvent être, selon le cas, des personnes morales ou personnes physiques dont le revenu est déterminé selon le résultat net réel ou net simplifié. Une fois le principe de la retenue de la source portant sur les rémunérations allouées à des tiers ainsi institutionnalisé, il a été question, par la suite, de formaliser le mode opératoire réservé au prélèvement à la source fraîchement introduit.

Ainsi, à s’en tenir aux termes de l’article 157 du CGI, «La retenue à la source sur les honoraires, commissions, courtages et autres rémunérations de même nature prévus à l’article 15 bis ci-dessus doit être opérée, pour le compte du Trésor, par les personnes morales de droit public ou privé ainsi que par les personnes physiques dont les revenus sont déterminés selon le régime du résultat net réel ou celui du résultat net simplifié, qui versent, mettent à la disposition ou inscrivent en compte des bénéficiaires lesdites rémunérations». Il n’en demeure pas moins que cette retenue à la source sera fiscalement imputable sur le montant de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu, avec droit à restitution.

La RAS, une technique de recouvrement indolore et incolore
Après ce débriefing juridique concernant cette nouvelle disposition, tentons maintenant de passer au crible les divers arguments que le front des détracteurs a avancés dans l’optique de contrecarrer sa promulgation, et ce, dans un souci pédagogique et purement technique en donnant la prééminence à la règle de droit loin de toute lecture politique ou corporatiste en vue de séparer le bon grain de l’ivraie et dissiper les confusions suscitées par cette levée de boucliers auprès du grand public. Il importe de signaler de prime abord que la RAS est un mode de recouvrement où l’impôt est collecté par l’État par le truchement d’un «tiers payeur». Dans le cas d’espèce ce mode permet aux pouvoirs publics de couvrir l’impôt au moment même de la réalisation du revenu taxable. D’ailleurs, cette technique n’est pas étrangère au CGI marocain : une pléiade de revenus et profits sont soumis au prélèvement à la source et une bonne partie des Marocains y sont imposés sans jamais s’en émouvoir. Les employeurs publics et privés, les organismes de retraite, les banques, les assurances, les notaires et cette liste est loin d’être exhaustive des acteurs économiques qui opèrent, depuis des lustres, des retenues à la source aboutissant à verser l’impôt dans les caisses de l’État.

À quoi rime cette construction fiscale hybride : déclaration et RAS
Une confusion se répète souvent dans de nombreux articles à travers la presse, qui aboutit à un amalgame entre le système déclaratif et la notion de retenue à la source. En d’autres termes, trop nombreux sont les commentateurs qui confondent la déclaration, qui renvoie à l’assiette globale de l’impôt, et le prélèvement à la source, qui représente spécifiquement un procédé de recouvrement. Certes, les deux notions renvoient à des procédés fiscaux. Mais les confondre revient purement et simplement à brouiller les pistes.

Parmi les arguments évoqués par les détracteurs et relayées par certains médias et sites d’information, celui que la RAS et le système déclaratif sont aux antipodes et difficilement combinables. Selon cette thèse, il serait inapproprié, voire anticonstitutionnel, de faire cohabiter deux procédés dans une même construction fiscale, dans la mesure où, logiquement, choisir une méthode reviendrait à écarter l’autre. Toutefois, dans une démarche purement académique, il est pertinent de recourir aux ressources du Droit, en particulier la Constitution et le Code Général des Impôts en vue de circonscrire les concepts dans leur sphère purement juridique, loin de chercher à noyer le poisson à des fins inavouées et afin de chercher la ligne de démarcation entre les deux notions qui font actuellement l’objet, semble-t-il, d’une grave confusion fiscale.

Notre législation fiscale a opté depuis très longtemps pour le système déclaratif comme étant le seul et unique procédé capable de drainer la matière imposable aux caisses de l’État. Mais le seul procédé qu’on ait inventé jusqu’ici pour parvenir à cette fin est la déclaration du contribuable lui-même, ce qui soulève plus d’une difficulté. Un système fondé sur l’obligation faite au contribuable de souscrire sa déclaration, pour produire tous ses effets, doit permettre une appréhension optimale du revenu. Sinon, ce procédé ne constituerait qu’une coquille vide, une vaine fiche de renseignements.

Pourtant, cette obligation a été instituée, dans un pays démocratique, comme la méthode idéale pour évaluer la matière imposable, à condition qu’elle reflète la réalité fiscale de chaque contribuable citoyen. Ce dernier doit participer en son âme et conscience à la détermination de sa capacité contributive. Par ailleurs, l’angélisme fiscal n’étant pas au nombre des vertus cardinales et quand bien même le serait-il, le contribuable peut toujours se tromper… En raison de la liberté totale accordée à l’auteur de la déclaration, ce système laisse la porte ouverte aux omissions, aux irrégularités et bien entendu à la fraude. Pour pallier cette carence, l’administration fiscale s’est dotée d’un dispositif de contrôle capable d’intervenir là où les déclarations ne sont pas toutes à prendre pour argent comptant. Chaque fois qu’on évoque la déclaration, on sous-entend qu’elle est établie sous réserve du contrôle de l’administration. La réussite du système déclaratif est donc tributaire de l’efficacité de son contrôle mais aussi l’efficacité de son recouvrement.

La RAS à la rescousse du système déclaratif
Et c’est dans cette perceptive que la RAS intervient spécifiquement pour renforcer l’exactitude attachée à la déclaration en ajustant le recouvrement en temps réel à la situation de chacun, tout en conservant la visibilité et la primauté de la déclaration annuelle du contribuable, qui reste nécessaire pour la régularisation finale. La déclaration, comme il a été expliqué auparavant, est un procédé d’appréhension de la matière imposable, autrement dit, un moyen d’assiette.

L’impôt est assis tout d’abord sur la constatation directe et exclusive du revenu et permet par conséquent à l’administration fiscale de calculer la base d’imposition d’un contribuable sur la somme des revenus réellement perçus par celui-ci en appliquant le taux selon le barème progressif mis en place. Ce revenu est calculé sur le résultat fiscal déterminé, dans le droit commun, d’après l’excédent des produits sur les charges de l’exercice, engagées ou supportées pour les besoins de l’activité imposable, en application de la législation et de la réglementation comptable en vigueur, modifié, le cas échéant, conformément à la législation et à la réglementation fiscale en vigueur. Et c’est spécifiquement pour gagner ses lettres de noblesse que notre système d’imposition a fait appel à la RAS comme un outil de recouvrement susceptible de renforcer la contribution de la fiscalité dans le financement des politiques de développement économique et social.

Pour ce faire, le système déclaratif a besoin des garde-fous et des auxiliaires lui apportant subtilement l’appui nécessaire chaque fois que le besoin se fait sentir. C’est dire que le système déclaratif est toujours là, bien ancré, indéboulonnable, mais il a besoin des procédés auxiliaires susceptibles de porter main forte chaque fois que la machine est en manque de lubrifiant.

Au contraire, la retenue à la source est un moyen de recouvrement d’impôt et, par ricochet, l’argumentaire tenu par les détracteurs est, à notre sens, dépourvu de tout fondement : la déclaration est une chose et la retenue à la source en est une autre. Et la promulgation de cette dernière va consolider inéluctablement le système déclaratif pour assurer le plein potentiel fiscal escompté et la mise en place d’un système d’imposition efficace favorisant l’inclusion et la cohésion sociales. Le recours à la RAS est proposé en définitif, via le PLF 2023, comme un auxiliaire venant prêter main forte au système de la déclaration contrôlée afin de parachever la réforme fiscale préconisée par la loi-cadre.

A ce titre, il fallait concevoir la RAS nullement comme une méthode d’évaluation d’assiette, mais en tant que procédé de recouvrement de l’impôt en temps réel et la consécration de la préemption de sincérité attachée à la déclaration. Décidément, il est temps d’en finir avec l’érosion constatée de la base d’imposition et le reste à recouvrer qui ne cesse de s’alourdir en raison justement de la non-recevabilité décalée ou tout bonnement de l’incivilité de certains contribuables.

Meilleurs vœux de prospérité et heureuse nouvelle année… fiscale !



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