Entrée en fonction de Donald Trump : quelles perspectives ?
Par Jawad KERDOUDI
Président de l’IMRI
Le 5 novembre 2024, Donald Trump a obtenu une victoire nette aux élections présidentielles sur Kamala Harris, et le Parti républicain est majoritaire aussi bien à la Chambre des représentants qu’au Sénat, et contrôle également la Cour suprême.
Avant même son entrée en fonction le 20 janvier 2025, Donald Trump a appelé le 6 janvier le Canada à devenir le 51e État américain, ce qui lui permettrait d’échapper à l’augmentation de 25% des droits de douane, qu’il a menacé d’imposer dès son retour à la Maison Blanche. Il aimerait aussi racheter le Groenland rattaché au Danemark, et mettre sous contrôle des États-Unis le Canal de Panama qui était sous souveraineté américaine entre 1903 et 1999. Il a en outre déclaré que l’accord pour une trêve à Gaza, signé le 15 janvier 2025 entre Israël et le Hamas, n’aurait jamais été conclu sans la pression exercée par lui et la future administration américaine. La cérémonie d’investiture a eu lieu lundi 20 janvier 2025 à l’intérieur du Capitole.
A cette occasion le 47e président des États-Unis a prononcé deux discours. Le premier, construit et organisé, dresse les perspectives d’avenir. Le second discours confus, décousu et hors de propos, montre un président en roue libre, haineux, suivant ses propres instincts, affirmant ses rancunes et ses tendances complotistes. Les principaux points de son discours peuvent être résumés ainsi.
Donald Trump a promis de rétablir la liberté d’expression pour marquer son soutien aux grandes entreprises de médias sociaux et de technologie. Il a ensuite appelé à une urgence énergétique nationale pour permettre une plus grande production de pétrole.
Il a aussi indiqué que les États-Unis vont étendre leur territoire avec le projet de colonisation de Mars, et la reprise du Canal de Panama sans exclure le recours à la force militaire. Il a également fait mention de la grâce qui sera accordée aux émeutiers condamnés pour avoir attaqué le Capitole le 6 janvier 2021. Il a affirmé que son Administration ne reconnaîtrait que deux genres : masculin et féminin, et qu’aucune subvention fédérale ne sera accordée aux transfuges.
Donald Trump a enfin promis de rehausser la position des États-Unis sur la scène internationale, et affirmé que le déclin de l’Amérique est terminé. Le jour même de son investiture et devant ses 20.000 partisans, il a signé plusieurs décrets à la Capital One Arena. Le plus important selon lui concerne l’immigration illégale. Il a pour but de lancer un processus de renvoi de millions d’immigrants illégaux, qu’il a qualifiés de «criminels étrangers». Il a remis en cause le droit du sol, et fermé la plateforme de demandes d’asile.
Il a également signé le décret déclarant l’état d’urgence à la frontière avec le Mexique afin de faire intervenir l’armée. Un autre décret signé est la sortie des États-Unis de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), et la suspension de tout transfert à cette organisation. Il a en outre signé un décret enclenchant le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, qu’il considère comme une «escroquerie injuste et unilatérale». Il a ajouté que «les États-Unis ne saboteront pas leurs propres industries pendant que la Chine pollue en toute impunité».
Le président américain a tenu parole en graciant 1.500 participants à l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Il a confirmé par décret que les États-Unis ne reconnaissent que deux sexes, et qu’il veut mettre fin aux excès des programmes de diversité et d’inclusion des minorités. Le président a reporté de 75 jours l’interdiction de Tiktok, et remis Cuba dans la liste des États soutenant le terrorisme.
Au-delà de ces décisions le jour de son investiture, la politique étrangère de Donald Trump va chambouler la géopolitique mondiale. Ses deux slogans «America first» et «Make America Great Again» seront toujours d’actualité pendant le second mandat du président américain, censés apporter sécurité et prospérité pour le pays.
Pour cela, il va augmenter les droits de douane sur tous les produits importés aux États-Unis, à 60% pour la Chine, 25% pour le Canada et le Mexique, et au moins 10% pour les autres pays, y compris l’Europe. Le but est de diminuer le déficit commercial, et d’inciter les exportateurs étrangers à venir s’établir aux États-Unis. Au Forum de Davos où il a participé à distance, il a invité les grands patrons à investir aux États-Unis, sinon ils vont devoir payer des droits de douane élevés. Cela va certainement entraîner une guerre commerciale qui risque de réduire la croissance mondiale.
Le président Trump a dès son premier mandat marqué sa méfiance vis-à-vis des Accords multilatéraux, et préfère des Accords bilatéraux transactionnels. Au niveau de l’OTAN, il a menacé les pays membres de ne pas les secourir selon l’article 5 du Traité, s’ils ne consacrent pas au moins 2% du PIB aux dépenses militaires. Il a même parlé de 5% récemment. C’est pourquoi les Européens réfléchissent à une «Europe de la défense» proposée notamment par la France.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, le président américain avait déclaré qu’il résoudrait le problème en 24 heures. Certes, il peut faire pression sur le président ukrainien en menaçant de stopper ou réduire l’aide financière et militaire des États-Unis. Pour ce qui est de la Russie, il a menacé d’augmenter les sanctions et de faire baisser le prix du pétrole, si Poutine ne participe pas à la table des négociations.
Ce dernier a cependant déclaré son souhait de rencontrer Donald Trump, ce qui ne plaît pas au président Zelenski qui craint un accord entre Poutine et Donald Trump au détriment de l’Ukraine. Au Moyen-Orient Trump va continuer son soutien inconditionnel à Israël. Il a déclaré de «faire le ménage» à Gaza en déportant 1,5 million de Gazaouis en Egypte et en Jordanie. Ce que le ministre israélien des finances a qualifié «d’excellente idée».
Trump a également débloqué l’envoi à Israël de bombes à grande puissance (907 kilos). Il a enfin gracié les colons israéliens qui avaient attaqué sauvagement des civils palestiniens en Cisjordanie. Il va aggraver les sanctions contre l’Iran, et peut-être autoriser l’armée israélienne à attaquer les centrales nucléaires en Iran. Il va améliorer les relations avec l’Arabie saoudite qui s’étaient détériorées sous la présidence de Joe Biden, suite à l’assassinat en Turquie du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, et qui l’ont amené à adhérer aux BRICS. Il a menacé les BRICS de leur imposer 100% de droits de douane pour leurs exportations aux États-Unis, s’ils décident de créer une monnaie unique contre le dollar. L’intérêt de l’Arabie saoudite pour les États-Unis est l’achat d’armes.
En Asie, la principale préoccupation du président américain sera de contrer la Chine qui est considérée comme la première puissance adversaire des États-Unis, surtout concernant l’ile de Taïwan que la Chine veut annexer. Il va renforcer les traités concernant l’Indo-pacifique pour rassurer les alliés asiatiques, notamment la Corée du Sud et le Japon. L’Afrique était absente des débats de la campagne présidentielle.
D’autre part, pendant son premier mandat, Donald Trump n’a visité aucun pays africain. Pendant son second mandat, il risque de diminuer les subventions de santé aux pays africains qui pratiquent l’avortement. Mais c’est surtout sur le plan économique que la position de Donald Trump sera dévoilée.
En effet l’AGOA (African Growth and Opportunity Act) va arriver à échéance en 2025. Il s’agit d’une loi bipartisane votée par le Congrès américain en 2000, qui vise à ouvrir le marché américain à des produits exportés par des pays africains en exonération des droits de douane. Au total plus de 6000 produits africains en bénéficient.
En ce qui concerne le Maroc, la réélection de Donald Trump est favorable. C’est en effet lui qui a reconnu en décembre 2020 la marocanité du Sahara dans le cadre des Accords d’Abraham. Il avait promis d’ouvrir un consulat général américain dans les provinces du Sud.
Cette promesse n’a pas été tenue par l’Administration Biden. Il faut espérer que le retour au pouvoir de Donald Trump va permettre de respecter cette promesse. Un autre problème risque de se poser dans les relations commerciales entre le Maroc et les États-Unis. En effet, le président américain compte appliquer des droits de douane à tous les produits importés par les États-Unis. Cela peut impacter nos exportations de phosphates aux États-Unis, ainsi que les batteries produites au Maroc par des sociétés chinoises.
Cette éventuelle imposition de droits de douane aux exportations marocaines est contraire à l’Accord de libre-échange entre les deux pays et qui est entré en vigueur le 1er janvier 2006. Quant à l’Amérique latine, la nomination de Marco Rubio en tant que secrétaire d’État, fermement conservateur et anti-communiste, pourrait avoir des répercussions négatives vis-à-vis du Venezuela, du Nicaragua, de Cuba, et du Brésil.
Au contraire, elles se renforceront vis-à-vis de l’Argentine, et impacteront le Mexique du fait de l’augmentation des droits de douane, et plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes du fait de l’expulsion des immigrés illégaux. L’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025 a eu lieu en présence des milliardaires : Elon Musk (Tesla), Jeff Bezos (Amazon) et Marc Zuckenberg (Meta), ainsi que des invités connus pour leur populisme : Georgio Melonni (Italie), Victor Orban (Hongrie), Eric Zemmour, Sarah Knafo, et Marion Maréchal, Javier Milei (Argentine).
En conclusion, on peut qualifier la politique étrangère de Donald Trump de nationaliste et unilatéraliste, centrée sur les deux slogans «America First» et «Make America Great Again». La plupart des pays manifestent leur grande inquiétude vis-à-vis des quatre prochaines années de la présidence Trump.