Enseignement supérieur public : plaidoyer pour une réforme profonde

Par Dr. Radouane Mrabet
Professeur émérite, ancien président de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et de l’Université Mohammed V Souissi de Rabat
L’enseignement supérieur public marocain se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire, confronté à des défis multiples et complexes. Chaque année, des centaines de milliers d’étudiants rejoignent les universités marocaines avec l’espoir d’y trouver, non seulement un savoir solide, mais aussi une formation capable de faciliter leur insertion dans un marché de l’emploi en constante évolution et toujours plus exigeant.
Pourtant, force est de constater que ce secteur fait face à des problématiques sérieuses et persistantes, souvent identifiées, parfois abordées, mais rarement débattues avec la transparence et la rigueur nécessaires.
Cet article inaugure une série de réflexions qui se pencheront sur des questions fondamentales à traiter impérativement pour assurer la progression de notre système universitaire public. Notre ambition principale est d’engager un débat franc, constructif et indispensable sur des sujets déterminants pour l’avenir de notre jeunesse, de nos universités et, par extension, de notre société tout entière.
Les huit grandes thématiques qui structureront cette réflexion sont brièvement présentées ci-dessous. Chacune d’elles fera l’objet d’un article détaillé dans les prochaines semaines. Notre démarche vise à proposer des pistes de réflexion concrètes, constructives, parfois audacieuses, susceptibles d’améliorer durablement le système universitaire marocain et, surtout, destinées à inspirer et à alimenter un débat indispensable.
Évaluation critique des stratégies et plans de réforme
Au cours des dernières décennies, les gouvernements successifs ont adopté des plans ambitieux tels que la charte nationale (2000-2010), le plan d’urgence (2009-2012) et la vision stratégique 2015-2030. Malgré certains atouts qui peuvent être capitalisés, la mise en œuvre de ces initiatives se heurte fréquemment à des obstacles significatifs. Des réalités institutionnelles, culturelles et organisationnelles spécifiques freinent leur pleine réalisation.
La résistance au changement, l’insuffisance des ressources et le manque de coordination efficace entre les acteurs impliqués constituent autant de facteurs expliquant ces difficultés récurrentes. Une analyse approfondie de ces enjeux s’avère indispensable pour éviter de répéter les erreurs passées et élaborer une réforme pertinente, largement partagée, soumise à évaluation et capable de s’adapter en permanence aux réalités du terrain.
Autonomie des universités publiques
L’autonomie universitaire constitue une priorité souvent mise en avant par les pouvoirs publics, mais rarement traduite en actes concrets. Considérée comme une voie essentielle vers une gouvernance universitaire plus moderne et efficace, elle devrait permettre aux universités publiques de mieux répondre aux besoins spécifiques des territoires et d’élaborer des programmes pédagogiques et scientifiques novateurs.
Toutefois, sa mise en œuvre effective demeure freinée par d’importantes contraintes financières et administratives. Pour que cette autonomie devienne une réalité tangible, la solution réside peut-être dans une autonomie responsabilisante, progressivement accordée en fonction des capacités de gestion de chaque université, et strictement évaluée sur des critères de performance sociale (insertion professionnelle), scientifique (production de recherche) et territoriale (impact régional).
Schéma directeur territorial de l’enseignement supérieur
Le schéma directeur territorial constitue un élément essentiel pour le développement cohérent et équilibré de l’enseignement supérieur sur l’ensemble du territoire marocain. Il permet d’articuler l’offre de formation, de recherche et d’innovation avec les réalités et les besoins spécifiques des régions, en assurant une utilisation optimale des ressources existantes et en renforçant les partenariats entre universités, collectivités locales et acteurs économiques.
Cependant, malgré son caractère stratégique incontestable, aucun gouvernement n’est parvenu à concrétiser sa mise en œuvre. Quels sont précisément les obstacles empêchant sa réalisation effective ? Pour dépasser ces blocages, il est crucial que toutes les parties prenantes adoptent une démarche participative, inclusive, portée par une réelle volonté politique et une vision claire tournée vers l’avenir.
Recherche scientifique et innovation
Malgré des discours souvent éloquents et un potentiel humain important, la recherche scientifique au Maroc peine à prendre son véritable envol. Les obstacles sont nombreux : sous-financement chronique, faible intégration dans les réseaux de recherche internationaux, cloisonnement institutionnel, et culture académique encore peu propice à l’innovation et à la valorisation des résultats.
Pour impulser une véritable dynamique, il devient impératif de revaloriser le statut des chercheurs, d’augmenter substantiellement les financements dédiés à la recherche, et de développer des partenariats solides avec des institutions étrangères de renom. Une politique volontariste, cohérente et soutenue dans le temps est indispensable pour initier ce virage tant attendu.
Transition numérique
La transition numérique constitue un levier incontournable pour moderniser l’enseignement supérieur marocain, le rendre plus accessible, interactif et adapté aux enjeux contemporains. Durant la pandémie de covid-19, un sursaut technologique a été observé, poussant les universités à adopter, dans l’urgence, de nouveaux outils et méthodes d’enseignement à distance.
Cependant, cet élan s’est rapidement estompé, et les bénéfices constatés n’ont pas été consolidés. Pourquoi les enseignements de cette expérience n’ont-ils pas été pérennisés ? Les freins sont-ils toujours les mêmes : résistance au changement, déficit de compétences numériques, infrastructures insuffisantes ? Pour relancer cette transition, il est crucial de renforcer la formation des enseignants et des étudiants aux outils numériques, d’investir dans des infrastructures modernes et fiables, et d’encourager une véritable culture de l’innovation pédagogique et numérique.
Diplômés sans emploi et talents en exil : la qualité de l’enseignement en question
L’université marocaine doit améliorer la qualité de son enseignement pour mieux répondre aux exigences du marché du travail. Le chômage des diplômés et la fuite des talents révèlent une rupture entre formation et insertion professionnelle. L’évaluation rigoureuse des enseignements, l’adaptation des cursus, la formation continue des enseignants et un partenariat renforcé avec le secteur privé sont essentiels pour restaurer ce lien et valoriser les compétences locales.
Classement des universités
La quête d’un positionnement honorable dans les classements internationaux des universités constitue un enjeu stratégique pour renforcer la visibilité, l’attractivité et la crédibilité du système universitaire marocain à l’échelle mondiale. Ces palmarès, dominés par des institutions américaines, utilisent des critères exigeants : l’excellence de la recherche (nombre de publications, citations, brevets), l’innovation pédagogique, l’employabilité des diplômés et l’ouverture internationale.
Pourtant, malgré des progrès récents, les universités marocaines restent largement absentes du top 500, voire 1000, des classements tels que Times Higher Education ou Shanghai Ranking. Les obstacles sont connus : un financement insuffisant, une production scientifique modeste, des partenariats internationaux limités et une gouvernance rigide.
Si le chemin est long pour inverser la tendance, une progression rapide est possible avec une volonté politique forte, des investissements ciblés et une collaboration étroite entre universités, État et secteur privé.
Éthique universitaire et renforcement des valeurs fondamentales
Les atteintes à l’éthique universitaire au Maroc, comme le plagiat, la fraude ou le harcèlement, nuisent gravement à la crédibilité du système. Pour restaurer la confiance, il est essentiel de mettre en place des contrôles suffisants, de sensibiliser à l’intégrité académique, de former les acteurs universitaires et d’adopter une politique de tolérance zéro. L’éthique, la transparence et la responsabilité doivent être au cœur de toute réforme durable.
En résumé, l’enseignement supérieur public marocain se trouve à la croisée des chemins, confronté à des défis systémiques qui appellent à une réforme ambitieuse, lucide et courageuse. Les huit thématiques abordées dans cet article ne constituent qu’un point de départ : elles reflètent l’urgence d’un débat national approfondi et structuré sur l’avenir de nos universités. Il ne s’agit plus de diagnostiquer, mais d’agir avec détermination.