Crédit à la consommation : haro sur les emprunteurs malintentionnés
Par Hind Tazi
Avocate, Docteure en Droit
Le crédit ou prêt de consommation est la figure représentative, par excellence, du phénomène de la consommation. Étroitement lié au système capitaliste, il promeut le recours à la consommation pour garantir sa continuité. Par conséquent, il n’est guère étrange de voir dans tous les coins des affiches publicitaires avant les fêtes, ou même avant les vacances, incitant les intéressés à contracter des crédits pour se permettre le mouton, ou les vacances dont ils ont toujours rêvé.
Certains ont recours à ces crédits pour financer leurs fêtes de mariage, changer leur voiture contre une autre plus moderne… Le rapport de consommation serait donc une relation, une action libre, qui unit dans un même processus d’échange le consommateur et le vendeur ou fournisseur professionnel, dans une logique selon laquelle le premier tentera d’avoir le meilleur bien ou service pour le moindre prix, tandis que le deuxième essaiera d’offrir le minimum pour le prix le plus élevé. La consommation assure, par conséquent, le soutien de la demande, mais également, œuvre en faveur d’une dynamique sociale euphorique. Le fait de consommer aide à lutter contre la frustration individuelle, sans oublier qu’il est attaché, dans la mémoire collective, à un certain prestige et notoriété sociale. C’est l’aspect psychologique manifeste de la norme sociale de consommation.
Qu’est-ce qui est prévu au niveau juridique ?
Au Maroc, c’est la loi 31-08 telle que modifiée et complétée par la loi 78-20, pour la protection du consommateur, comme son nom l’indique, qui représente le cadre juridique qui garantit les droits du consommateur. À mon humble avis, l’appellation même porte à conflit. La loi est faite par et pour le «consommateur», qui représente la partie qui serait digne de protection, par défaut, face à l’abus du professionnel fournisseur présumé être en position de force, selon les termes légaux généraux. Nous comprenons donc l’effort du législateur à spécifier une panoplie d’abus (abus de pouvoir, de force, ou de position…). Et les abus sont considérés au regard du déséquilibre manifeste causé par une relation inéquitable eu égard à la vulnérabilité du consommateur. Ce dernier profite donc d’une protection extrême selon des principes directeurs universellement reconnus comme le droit à l’information claire et précise pour faire un choix éclairé, la protection contre les pratiques frauduleuses, et surtout la protection du consommateur du déséquilibre contractuel face au professionnel.
Le consommateur n’est pas forcément une victime
Néanmoins, hormis les cas où le recours aux crédits de consommation se fait dans une optique de première nécessité par le consommateur (soins médicaux, rentrée scolaire ou autres), nous assistons à l’émergence d’une classe de consommateurs capricieux, qui a recours aux crédits de consommation dans le seul but de «se faire plaisir». Dès lors, une première observation s’impose. L’abus est toujours imputable – selon la loi – au fournisseur professionnel, l’établissement octroyant le crédit de consommation dans ce cas précis. Une deuxième observation sur le texte légal : aucune disposition ne le protège contre un consommateur malintentionné ou de mauvaise foi. Or, si la consommation est une action libre et réfléchie, la loi ne devrait intervenir que pour structurer cette liberté, et les rapports qui en découlent, de façon à imposer à chaque groupe des contraintes «acceptables» pour le respect de leurs obligations. Elle devrait garantir l’équilibre de l’opération en premier lieu, tout en préservant principalement les droits du consommateur considéré comme partie faible ou vulnérable face au professionnel. Mais que faire lorsque cette notion de professionnelle implique en elle-même une faiblesse ? La faiblesse d’être considéré dans une position de force. La loi ne considère que la faiblesse du consommateur, même si les intentions de ce dernier n’ont pas été bonnes depuis le début. Si nul ne peut remettre en cause le bien-fondé moral de la loi 31-08, car nous sommes tous des consommateurs dignes de protection, il me semble cependant presque évident que la logique traditionnelle sur laquelle elle s’appuie n’échappe pas à une critique de pertinence. Elle prive le fournisseur professionnel – dans ce cas la banque et les organismes de crédit – de la protection à laquelle il devrait avoir droit face à un consommateur de mauvaise foi ou malintentionné. La position de «victime perpétuelle» dont profiterait ce consommateur de mauvaise foi porte sérieusement atteinte aux droits et obligations des sociétés de prêt et crédit, qui se retrouvent face à une loi leur ôtant tout bénéfice de doute sur une possible vulnérabilité digne de protection juridique. Le constat est là !
Le calvaire du recouvrement
Actuellement, les tribunaux du Maroc croulent sous le volume hilarant de procès intentés par les institutions et établissements de crédit, dans un vain essai de récupérer leurs dettes et créances engendrées par le non-paiement de crédits de consommation, à l’abri des dispositions légales en vigueur. Ceci ne représente-t-il pas un abus dans le sens contraire ? Les crédits et prêts de consommation sont normalement octroyés sans aucune garantie fiable, à des consommateurs qui ont contracté en connaissance de cause selon une volonté éclairée, et avec une intention claire de ne pas rembourser les montants dont ils ont bénéficié. Nous ne parlons pas du consommateur de bonne foi, mais du consommateur manipulateur qui avait imaginé dès le début un scénario pour ne pas payer et qui sera protégé par les dispositions légales à coup sûr. Le cas échéant, il invoquera l’abus de force, le vice de volonté (contrat d’adhésion), la faiblesse, la non-compréhension, le besoin, la pandémie de la covid-19, bien que l’impayé remonte à des années même avant la pandémie.
Un cadre juridique spécial
Sur le volet procédural, la loi sur la protection du consommateur s’est créé un cadre juridique spécial, voire exceptionnel. L’article 202, modifié par la loi 78-20, a très fortement impacté le secteur du crédit consommation. Les exceptions de compétences territoriales et d’attribution introduites par cette modification ont porté une autre atteinte majeure au secteur du crédit de consommation, en le faisant sortir de la sphère commerciale. Les tribunaux de commerce ont été mis en mode «exit». Puis le revirement légal et procédural a réussi à faire des tribunaux de première instance le lieu de résidence du consommateur. Ils sont en effet les seuls – et exclusivement – compétents matériellement pour gérer les litiges concernant ces prêts. Le crédit de consommation est sorti officiellement de la sphère légale «normale». La Cour de cassation elle-même a très volontairement suivi la tendance. Depuis la modification de cet article, et selon les derniers arrêts, le contrat de crédit de consommation n’est pas ou plus considéré comme un contrat «commercial», et toute disposition contraire est considérée non avenue. Pour leur plus grand bonheur, les associations de protection du consommateur ne peuvent que saluer cette disposition en considérant que le consommateur a été restitué dans ses droits. Le fournisseur professionnel, lui, semble être pris dans un piège juridique. Le déséquilibre n’est-il pas significatif ? La règle de droit se veut générale et abstraite. Et la loi est supposée protéger toute partie faible dans une relation ayant souffert d’un déséquilibre significatif, sans aucune autre considération. Faire bénéficier le seul consommateur des dispositions légales protectrices face au professionnel – présumé être dans une position de force – crée non seulement une justice à deux mesures, mais également de plus en plus de consommateurs de mauvaise foi ou malintentionnés ! Il serait plus judicieux d’approfondir la réflexion sur la relation entre les consommateurs de crédits de consommation et les organismes de crédit, en harmonisant les dispositions légales de protection pour en faire bénéficier le professionnel, dans une moindre mesure, tout en gardant sur lui un œil vigilant sur les possibles abus. Il est nécessaire de garantir l’équilibre dans la relation de consommation de ces produits, pour une meilleure promotion des intérêts communs. Le concept d’abus, qui demeure répréhensible, devrait être considéré selon les cas, et dans les deux sens. Si le consommateur est un sujet de droit spécifique, le professionnel fournisseur de biens et de services en est un aussi !