Opinions

Condition féminine : 70 ans d’évolution au Maroc

Des années 40 à nos jours, les femmes ont vu leur rôle et leurs droits évoluer dans la société marocaine. Retour sur un parcours remarquable mais encore loin d’avoir tenu toutes ses promesses.

Vers une égalité des droits
Modelée par ses coutumes, la société marocaine érige traditionnellement l’époux en chef de famille incontesté, envers qui la femme a un devoir d’obéissance. L’homme gère les affaires familiales, le budget et assure la protection du foyer tandis que l’épouse s’attache à exceller dans son rôle de conjointe et de mère. C’est donc tout naturellement dans la remise en cause du statut personnel et des droits de la famille que l’émancipation des femmes s’est progressivement opérée depuis les années 40. Une élite citadine, porteuse d’un projet de développement pour le pays, investit alors les bancs de l’école. En émergeront les premières femmes salariées et actives dans les sphères publique et politique. Il faudra cependant attendre les premières élections communales de mai 1960 pour que les femmes votent et soient candidates. À la fin des années 80, la mobilisation d’ONG féminines pour l’égalité des droits va déboucher sur la révision de différents textes portant sur la famille, le travail ou encore le domaine pénal. En 1993, la réforme du Code de la famille (Moudawana) garantit les droits fondamentaux à tous les citoyens marocains. Cependant, les textes sont subordonnés au droit musulman et placent la femme sous la dépendance du mari et du père, faisant d’elle une «mineure à vie». C’est cet écart entre égalité de droit et égalité de fait qui sera définitivement aboli dans le nouveau Code de la famille de 2004: la femme devient enfin conjointement responsable de sa famille, au même titre que son époux.

La libération féminine
En accédant à l’éducation, les femmes ont investi le marché de l’emploi et contribuent désormais aux revenus de leurs foyers. Cette nouvelle donne modifie les comportements familiaux, également transformés par l’urbanisation grandissante du royaume: en ville, les logements sont étroits, le noyau familial se réduit drastiquement et le coût de la vie s’alourdit, autant de changements qui nécessitent des adaptations dans la gestion des ménages. Dans l’esprit des femmes, un véritable décloisonnement s’opère progressivement: elles prennent conscience que leur rôle n’est plus confiné aux quatre murs de leurs foyers et leur autonomie se renforce. Avec le prolongement des études, l’âge moyen du premier mariage passe de 17,5 en 1960 à 26,6 (1) en 2010 chez les Marocaines. Dans le même temps, le taux de fécondité chute, en moyenne, de 7,2 à 2,19 (1) enfants par femme. Cette baisse naturelle de la natalité s’observe dans tous les pays en transition où l’éducation des filles est promue. Cependant, elle est particulièrement remarquable au Maroc car elle s’est opérée aussi bien en ville qu’en campagne, où l’analphabétisme des femmes âgées de plus de 10 ans atteint pourtant 64,7% en 2012 (1). Le recul de la natalité est également le fruit d’une autre révolution, celle de l’accès à la contraception. Savoir qu’elles ont désormais le pouvoir de contrôler leur maternité change le regard que porte la société marocaine sur elles. Ces dernières se libèrent et, avec elles, le paysage économique et social du pays se transforme.

Des inégalités toujours bien ancrées
Mais derrière ce vent de liberté et ces droits enfin acquis se cache une toute autre réalité. Un rapport, co-signé en 2015 par une quarantaine d’associations féministes (2), pointe du doigt les inégalités persistantes entre hommes et femmes au Maroc. Il rappelle que si la Constitution de 2011 consacre 18 dispositions aux droits de la femme, leur application est loin d’être effective, faute de promulgation de nouvelles lois et d’harmonisation de l’arsenal juridique. Le rapport dénonce également la lente alphabétisation des femmes, comparée à celle des hommes, ou encore la très faible régression de l’emploi non rémunéré chez les Marocaines au fil des ans. Les inégalités d’accès aux soins sont également flagrantes, en particulier lorsqu’on évoque la maternité et les conditions d’accouchement en milieu rural. Il rappelle que 6 femmes sur 10 sont employées dans le secteur agricole, caractérisé par une forte précarité, une grande pénibilité, une faible rémunération et l’absence de protection sociale. Le Code du travail, qui a permis des progrès notables dans le domaine de la non-discrimination, ne statue malheureusement pas sur des secteurs d’emploi très féminisés, comme le service domestique ou le travail agricole non rémunéré. Enfin, les violences faites aux femmes demeurent un sujet préoccupant puisque près de 63% d’entre elles déclarent en être victimes, dont 55% dans le cadre conjugal. Depuis les années 40, la bataille pour les droits et l’égalité des femmes est donc bien en marche, mais elle se heurte toujours aux lenteurs politiques et à l’évolution modérée des mentalités. l

Alexandra Mouhaddine
Pour H&F Associates Business Partner RH

(1) Chiffres HCP
(2) «Situation des femmes au Maroc 20 ans après Beijing – État des lieux et recommandations», Association Démocratique des Femmes du Maroc , février 2015



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