Opinions

Bouleversements au Sahel : retrait de la CEDEAO et nouvelles dynamiques géopolitiques

Par Imad Moutchou
Économiste et chercheur émérite.

La décision des autorités maliennes de se retirer de l’Accord d’Alger et les retraits subséquents du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO ont créé une onde de choc dans le Sahel. Ces événements s’inscrivent dans un contexte géopolitique continental complexe, où la rivalité entre grandes puissances comme la Russie et les États-Unis s’intensifie, et où les récentes découvertes de ressources pétrolières et gazières en Afrique de l’Ouest francophone bouleversent l’équilibre régional.

Les fondements ébranlés de la CEDEAO et la géopolitique complexifiée
La CEDEAO, jadis un modèle d’intégration régionale, fait face à une reconfiguration profonde suite au retrait de trois de ses membres fondateurs majeurs, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Privés de façade maritime sur l’Atlantique, ces pays ont choisi le retrait, partiellement motivés par les sanctions économiques imposées par la CEDEAO en réaction à des coups d’État. Leur décision s’inscrit également dans le contexte de la création de l’Alliance des États du Sahel (AES), signalant ainsi l’émergence d’une nouvelle dynamique régionale. Ce retrait intervient dans un contexte de rivalité géopolitique croissante, où la Russie et les États-Unis cherchent à étendre leur influence dans la région. Les découvertes récentes de réserves pétrolières et gazières ajoutent une dimension économique majeure à cette complexité, avec l’émergence de pétro-républiques telles que le Sénégal, la Mauritanie, le Niger et le Mali.

Dans cette dynamique, Paris et Alger semblent être parmi les perdants, craignant la perte d’influence politique et économique, notamment à travers la désormais obsolète FrançAfrique. La souverainisation économique est au cœur de cette initiative, visant à valoriser les richesses et le potentiel tant économique (minier, énergétique) qu’humain des pays sahéliens. Une confédération sahélienne, tout en respectant une relative souveraineté, pourrait consolider les fonctions régaliennes, instaurant un bloc géopolitique souverain dans une région longtemps affectée par des groupuscules criminels, justifiant l’ingérence étrangère de la France et de l’Algérie.

À l’inverse, la Russie, avec une influence régionale décuplée, émerge comme une puissance gagnante. Cette évolution complexe souligne les défis auxquels est confrontée la CEDEAO, non seulement en termes d’intégration régionale, mais aussi en raison des dynamiques géopolitiques et économiques en mutation dans la région. Le paysage politique et économique de l’Afrique de l’Ouest subit ainsi des transformations significatives, avec des conséquences potentielles pour les acteurs régionaux et internationaux impliqués dans cette dynamique en constante évolution.

Les juntes du Sahel se retirent de la CEDEAO : quelles implications pour l’Afrique de l’Ouest?
La première distinction importante à faire est que le retrait de la CEDEAO par ces trois pays ne garantit pas automatiquement leur départ de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Cette union regroupe la majorité des membres de la CEDEAO qui utilisent le franc CFA. Actuellement, la libre circulation des biens et des personnes entre ces pays du Sahel et les États de l’UEMOA (Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Sénégal et Togo) demeure intacte.

Toutefois, les échanges économiques et la liberté de circulation entre le Mali, le Burkina Faso, le Niger et les États de la CEDEAO en dehors de l’espace UEMOA pourraient subir des répercussions. Le Niger, en particulier, pourrait faire face à des défis considérables en raison de sa longue frontière avec le Nigeria et de sa forte dépendance économique à l’égard de ce voisin. Une question cruciale qui se pose est de savoir si ces régimes militaires vont également se retirer de l’UEMOA.

Cette perspective n’est pas exclue, car les juntes militaires des trois pays, réunies au sein de l’Alliance des États du Sahel depuis septembre, ont soulevé l’idée de quitter le franc CFA et de créer une monnaie commune. L’UEMOA, en tant qu’organisation monétaire responsable du franc CFA, est décriée par ces régimes comme une monnaie néocoloniale entravant le développement économique de leurs nations. Si ces juntes militaires décident réellement de concrétiser la création d’une nouvelle monnaie commune, la prochaine étape logique pourrait être de se retirer de l’UEMOA, qui a également imposé des sanctions économiques à leur encontre. Il est crucial de noter que la situation évolue rapidement, et les développements ultérieurs pourraient redéfinir davantage les relations géostratégiques en Afrique de l’Ouest. La césure actuelle souligne l’importance des enjeux économiques et monétaires dans la région, avec des répercussions potentielles sur la stabilité politique et les alliances régionales.

Conséquences économiques et opportunités pour le Maroc
Les récentes découvertes de réserves pétrolières et gazières en Afrique de l’Ouest francophone ont engendré une compétition économique intense dans la région. Alors que le Maroc cherche à renforcer ses liens économiques avec les pays du Sahel à travers son innovante Initiative Royale, de nouveaux défis et opportunités se profilent à l’horizon.

Cette initiative, acclamée pour son caractère novateur, vise à faciliter l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique. Toutefois, les récents retraits de la CEDEAO suscitent des interrogations quant à son efficacité à long terme. La redéfinition des alliances régionales pourrait modifier la nature des avantages escomptés pour le Maroc. La reconfiguration géopolitique en cours a le potentiel de renforcer l’influence régionale du Maroc et de redéfinir ses partenariats stratégiques. L’adaptabilité du Royaume à ces changements s’avère cruciale pour naviguer dans ce nouveau contexte et maintenir un environnement stable. Les éléments clés visés par l’Initiative Royale, à savoir la sécurité et la stabilité régionales, pourraient être impactés par les modifications au sein de la CEDEAO.

Le Maroc pourrait être contraint d’ajuster ses approches pour relever les nouveaux défis qui pourraient surgir suite à cette réorganisation régionale. La décision des pays sahéliens a des conséquences multiples sur le Maroc, touchant des aspects géopolitiques, économiques et sécuritaires. La flexibilité et l’adaptabilité du Maroc dans ce nouveau paysage géopolitique détermineront en grande partie l’ampleur de ces conséquences, ainsi que la manière dont le Royaume saura tirer parti des opportunités émergentes. En somme, le Maroc se trouve à un carrefour critique, appelé à naviguer avec prudence dans cette période de transformation régionale, où chaque choix influencera son avenir économique et politique.

La diplomatie économique marocaine en Afrique de l’Ouest
Le Maroc, sous la vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a lancé une initiative majeure visant à faciliter l’accès des pays du Sahel à l’océan Atlantique. Cette démarche a reçu des éloges internationaux pour son impact sur la CEDEAO. Dans ce contexte, le Royaume a proposé une alliance aux pays sahéliens tels que le Mali, le Burkina Faso et le Niger, rompant ainsi avec la CEDEAO.

L’objectif est de leur offrir un accès à l’océan Atlantique et aux marchés internationaux, renforçant potentiellement les relations économiques et contrant l’influence régionale de l’Algérie. Selon des experts, cette démarche vise également à prévenir une trop grande implication des pays sahéliens avec la Russie, limitant ainsi la présence russe en Afrique subsaharienne. En phase initiale, les ministres des quatre pays ont convenu de créer une Alliance, signalant une reconfiguration significative et souveraine de l’Afrique de l’Ouest. L’Initiative Royale vise à stimuler le commerce et à renforcer la coopération économique entre le Maroc et les pays du Sahel. Des corridors logistiques modernes seront établis pour faciliter le transport de marchandises, favorisant un commerce fluide et ouvrant de nouvelles perspectives sur les marchés internationaux.

Au-delà des avantages économiques, l’effort d’infrastructure s’étend à renforcer la stabilité et la sécurité régionales. En favorisant la stabilité économique, l’initiative offre une plateforme pour renforcer les liens de paix entre les pays du Sahel, prévenant ainsi les conflits et favorisant le développement durable. Selon Mohsen Ndoui, président du Centre marocain d’études stratégiques et des relations internationales, l’Initiative Royale a le potentiel de libérer les grandes capacités des partenaires côtiers, accélérant la croissance et le développement durable des économies régionales. Il souligne que la façade atlantique du Maroc représente la porte de l’Afrique, offrant des opportunités pour un décollage économique conjoint et une influence accrue sur la scène internationale.

Conclusion : Un nouveau chapitre pour l’Afrique de l’Ouest
À la lumière de ces développements complexes en Afrique de l’Ouest, il est indéniable que la région est à un tournant crucial de son histoire. Les retraits de la CEDEAO, les émergences d’alliances régionales et les découvertes énergétiques dessinent un paysage inédit, appelant à une réflexion approfondie. Personnellement, je vois ces changements comme une opportunité pour une redéfinition positive des dynamiques régionales. L’Initiative Royale représente une vision audacieuse qui pourrait catalyser le développement économique et renforcer la stabilité dans la région.

Cependant, les défis à relever ne sont pas à négliger, notamment en termes d’ajustements nécessaires face aux retraits de la CEDEAO. En tant qu’observateur, je suis convaincu que l’adaptabilité sera la clé du succès pour le Maroc et les autres acteurs régionaux. Les enjeux économiques et les rivalités géopolitiques sont des éléments majeurs à considérer, et la région doit évoluer avec prudence pour maximiser les opportunités tout en minimisant les risques. Dans l’ensemble, cette période de transformation offre une chance de repenser les relations politiques, économiques et sécuritaires en Afrique de l’Ouest. Mon espoir est que les acteurs régionaux sauront collaborer de manière constructive pour créer un environnement propice à la prospérité et à la stabilité à long terme.



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