Bilan du gouvernement. Ne pas voir que la moitié vide du verre !
Quelques récents articles de presse ont évoqué un «autosatisfecit» du chef de gouvernement par rapport au bilan des deux années de l’Exécutif. Ces articles faisaient notamment référence à une rencontre organisée le 23 avril dernier par l’Union de la presse francophone au Maroc, où Saâd-Eddine El Othmani a été reçu pour un «tea-time». Les articles ont estimé que les réalisations annoncées seraient exagérées, voire trompeuses et en décalage par rapport aux attentes du citoyen. Éléments de réponses.
Légitimes, les attentes du citoyen marocain aspirent à bien au-delà des réalisations des gouvernements successifs des vingt dernières années. Néanmoins, au regard des développements dans les pays voisins, le Maroc peut, tout aussi légitimement, revendiquer un parcours plus qu’honorable. Totalement arrimé à la dynamique de mondialisation, le Maroc voit, presque naturellement, le niveau d’expression des besoins de sa population évoluer. Par moments -et par région- cette expression, la plus libre de la région, atteint des stades avancés de revendications, de manifestations et de réclamations. Au coeur des attentes, on retrouve les doléances sociales, les impératifs économiques et l’amélioration du climat démocratique, en renforçant notamment l’État de droit. Ces aspirations revêtent un caractère d’immédiateté, auquel, bien qu’il soit en total déphasage par rapport au «temps de gouvernance», l’actuel gouvernement tente de donner la meilleure réponse possible. Bien entendu, tout n’est pas rose, loin de là, mais ces analyses comportent plusieurs biais qu’il convient d’éclaircir pour l’opinion publique. Le premier biais dans cette analyse arguant du «décalage avec les attentes» est donc le facteur temps. Examiner l’action du gouvernement, comme s’il avait une baguette magique pour faire passer le Maroc des pays à revenus intermédiaires aux pays avancés, est une condamnation sans appel. À titre d’illustration, un rapport relativement récent de l’UNESCO a estimé le retard du pays en matière éducative à 70 ans. Pour le rattraper, le gouvernement a veillé à faire évoluer la vision stratégique du pays pour le secteur de l’Éducation-Formation 2015-2030 en projet de textecadre, de manière à sanctuariser l’école publique, et transformer les objectifs tracés en ultimatum applicable à tous. Loin de tout défaitisme, le gouvernement a tenu, via un maintien de sa majorité, à sortir le pays de l’attentisme qui l’avait marqué avant l’investiture de l’Exécutif, et a agi, le plus rapidement possible, sur les contraintes liées au développement et les prérequis nécessaires pour réaliser des avancées tangibles. Par exemple, il est mentionné que le score du Maroc au niveau de l’Indice de développement humain du PNUD est inquiétant. En ce qui concerne cet indicateur, il est à noter que le Maroc stagne relativement depuis plus de quinze ans (130e en 2009). En fait, il s’est amélioré de 9 places depuis 2013. Cet indicateur est calculé en fonction de critères: deux liés à l’éducation, un à la santé et le PIB par habitant. Au niveau des indicateurs de la santé, le Maroc a fait des progrès remarquables. Pour l’éducation, il a été constaté qu’à côté du volet pédagogique, l’indicateur le plus handicapant est lié à la durée de scolarisation moyenne et au maintien de l’abandon scolaire. Le gouvernement a ainsi mis en place un nouveau modèle de généralisation du préscolaire, avec presque 100.000 nouveaux enfants intégrés au système chaque année. Par ailleurs, et pour la première fois, la durée obligatoire de scolarisation a été augmentée de trois ans (2 ans au préscolaire et une année au collège). Le triplement des bénéficiaires et du budget du programme Tayssir, qui a un fort impact sur le décrochage et l’abandon scolaire, participe à cette vision. Selon une étude récente, ce programme social d’aide directe aux familles a permis de réduire l’abandon scolaire de 92,5%. 2 millions d’enfants sont désormais concernés. Bien sûr, les résultats seraient plutôt là à moyen terme, car il subsiste certains handicaps structurants, comme le taux d’analphabétisme de 32%, qu’il est difficile de réduire du jour au lendemain, malgré les efforts considérables de l’État et de la société civile. En ce qui concerne le volet économique, les grandes réformes des Centres régionaux d’investissement et de la déconcentration sont considérées comme des «slogans» dont les effets ne sont pas encore visibles sur le terrain. En ce qui concerne la charte de la déconcentration, elle a bien été citée par plus de 15 discours royaux adressés aux gouvernements successifs sans qu’aucun n’arrive à la faire aboutir. Celle-ci est aujourd’hui adoptée, non pas sous la forme d’une «charte signée» par quelques ministères, mais par des orientations adoptées en Conseil des ministres, un décret publié au journal officiel, accompagné de ses premiers décrets d’application, incitant les départements à produire d’ici la fin du mois de juin 2019 leurs schémas directeurs de déconcentration de l’administration. Cet effort et ce rythme soutenus de préparation permettraient de voir dès le début de l’année 2020 les premiers effets de cette réforme stratégique tant attendue, notamment l’amélioration de l’efficacité publique et la simplification des procédures, pour les citoyens, dans les territoires. La même remarque s’applique à la réforme des CRI. Le gouvernement s’est fortement mobilisé depuis les orientations royales pour élaborer en trois mois un projet de réforme complet et consensuel. Par la suite, les projets de texte et les premiers décrets d’applications ont été adoptés à l’unanimité au Parlement et en Conseil de gouvernement. Au niveau des résultats concrets, la composition de la commission régionale unifiée de l’investissement, dont la création et le mode de fonctionnement ont été actés par décret, doit avoir un impact immédiat sur la vie de l’investisseur, puisqu’une grande proportion de plaintes et requêtes des investisseurs sont liées à l’absence de coordination entre les acteurs publics en matière d’investissement, contrainte que cette commission permet de dépasser. L’absence de résultats économiques tangibles est également avancée. Pourtant, plusieurs indicateurs prouvent le contraire. Ainsi, le premier trimestre de l’année 2019 s’est caractérisé par certains indicateurs économiques relativement favorables et parfois nettement meilleurs que ceux des pays de la région: la baisse du chômage de 10,5% à 10% entre le premier trimestre 2019 et 2018, selon le HCP, un des meilleurs scores de la région. L’année 2018 a également connu une hausse importante des IDE, concrétisant un mouvement fort de hausse de 55% depuis 2016. Un autre indicateur dont la pertinence est relative, mais qui est à considérer en termes de dynamique économique: celui de la hausse des recettes fiscales de près de 11% entre le premier trimestre 2018 et 2019. Même l’indicateur controversé des faillites d’entreprises s’est amélioré pour la première fois en 10 ans, à la fin de l’année 2018. Le Maroc a aussi dépassé l’objectif du Programme du gouvernement consistant à inscrire 100.000 auto-entrepreneurs en 2021 au début de l’année 2019. Ce ne sont certes pas les signaux d’une croissance forte immédiate mais probablement les signes d’une bonne reprise économique, consolidée par les chantiers structurants mis en oeuvre. Enfin, le gouvernement a eu l’occasion, ce lundi, de présenter, non pas un bilan, car celui-là intervient à la fin de son mandat, mais un point de situation du niveau d’exécution du programme gouvernemental. Cet exercice est tenu rigoureusement, chaque année, et partagé avec le grand public, via le site web du chef de gouvernement. Ce serait, pour les observateurs avertis, l’occasion de consulter les réalisations, mais également les manquements du gouvernement. En attendant, l’ingrédient nécessaire à tout réel décollage économique et social reste la confiance et la mobilisation.
Ahmed Khalid Benomar
Conseiller du chef de gouvernement, en charge des questions économiques