Une politique nationale en vue
La situation de la santé et de la sécurité au travail est préoccupante. Des dizaines, voire des centaines, de travailleurs meurent chaque année à cause des accidents de travail. Plusieurs lacunes sont à combler, à commencer par l’arsenal juridique qui devrait être renforcé. L’accélération de la cadence s’impose pour que la politique nationale sur la santé et la sécurité de travail voie, enfin, le jour.
Le risque d’accidents de travail au Maroc demeure le plus élevé dans la région MENA, selon le Bureau international du travail. Le nombre des travailleurs qui décèdent chaque année à cause de ces accidents est jugé trop élevé. Alors que certaines informations font état du décès annuel de quelque 3.000 travailleurs, les chiffres officiels, dont dispose le ministère de tutelle, sont beaucoup moins élevé. Mais, il faut dire qu’ils portent uniquement sur le nombre d’accidents du travail déclarés qui sont de l’ordre de 7973, en 2016, dont 147 mortels. Les statistiques précises sur les accidents de travail, au niveau national et par secteur, manquent cruellement. Les chiffres officiels ne sont pas exhaustifs au vu de l’ampleur de l’informel dans certains secteurs à haut risque professionnel, comme le Bâtiment et travaux publics qui enregistre un fort taux de sinistrabilité en raison de la nature intrinsèquement dangereuse du travail, les emplacements multiples des chantiers, l’évolution des environnements de travail et les taux élevés de rotation de personne. D’autres secteurs sont aussi fortement concernés. Il s’agit de l’industrie, de l’énergie, des mines et de l’agriculture. Les enjeux sont de taille. Ce dossier épineux nécessite la conjugaison des efforts de tous les acteurs concernés pour infléchir les indicateurs alarmants. Des actions sont déjà entamées pour cerner la problématique. C’est ainsi que le profil national de la santé et de la sécurité au travail est déjà validé par le Conseil de la médecine du travail et de la prévention des risques professionnels. D’après le département de Mohamed Yatim, ce profil est considéré, d’une part, comme un diagnostic de la situation existante en la matière et, d’autre part, comme une évaluation de la situation présente et des progrès accomplis ou à accomplir en vue d’aboutir à un milieu de travail sain et salubre. Ce qui permettra d’asseoir les grands axes de la politique nationale en santé et sécurité au travail et d’en déterminer les principales orientations. Le profil national de sécurité et de santé au travail s’assigne nombre d’objectifs, à commencer par l’amélioration de la coordination, le rapprochement des points de vue et le renforcement de la communication entre toutes les parties concernées par la santé et la sécurité au travail. Il vise aussi la connaissance de la situation existante à l’échelle nationale et à celle des unités de production ainsi que la détermination des points de force et de faiblesse du système national de sécurité et de santé au travail à divers niveaux : législation, infrastructures, intervenants, etc. Le profil national prévoit des informations sur la sécurité et la santé au travail en ce qui concerne nombre d’éléments-clefs comme la législation relative à la santé et sécurité au travail, les mécanismes d’implémentation de la législation en sécurité et santé au travail, les autorités responsables de la sécurité et de la santé au travail, les infrastructures, les problèmes et les défis liés à la sécurité et la santé au travail.. Le département de tutelle considère ce profil comme un document essentiel en vue de l’élaboration de la politique nationale et du programme national en santé et sécurité au travail sur des bases saines et rationnelles. Très attendue, cette politique est en cours d’élaboration en concertation avec les départements ministériels concernés et les partenaires sociaux. L’objectif est d’établir une feuille de route gouvernementale visant à réduire l’impact des risques professionnels sur la santé des travailleurs. Elle permettra d’initier et d’instaurer les actions qui seront conduites dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail. L’accélération de la cadence s’impose, d’autant plus qu’il s’agit d’un engagement ferme du Maroc. En effet, le gouvernement s’est engagé à mettre en place une stratégie nationale en santé et sécurité au travail conformément aux dispositions de la convention 187 de l’Organisation internationale du travail sur le cadre promotionnel de la santé et de la sécurité au travail. Concrètement, cette convention a pour objectifs de promouvoir l’amélioration continue de la sécurité et de la santé au travail pour prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles et de prendre des mesures actives en vue de réaliser progressivement un milieu de travail sûr et salubre, par le développement d’une politique nationale, d’un système national et d’un programme national de promotion de la santé et de la sécurité au travail ; et ce, en concertation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives. À ce titre, les partenariats avec les organismes internationaux, comme le Bureau international du travail, s’avère, on ne peut plus, important pour renforcer les compétences nationales et mettre en place une vision efficiente. Dans le cadre de la coopération avec l’Union européenne, un accord d’assistance technique relatif au renforcement des capacités institutionnelles du ministère du Travail a été signé en vue de l’accompagnement du Maroc dans l’élaboration de la politique nationale en sécurité et santé de travail.
Mise à niveau du cadre législatif
Par ailleurs, l’amélioration de l’arsenal juridique s’impose. Certes, le cadre normatif, relatif à la santé et la sécurité au travail, s’est étoffé au cours des dernières années par 26 textes d’application de la loi 65-99 relative au Code de travail (14 décrets et 12 arrêtés). Mais, ce n’est pas encore suffisant. L’arsenal législatif gagnerait à être développé davantage. On attend toujours le projet de loi relative à la santé et la sécurité au travail dans les deux secteurs privé et public qui a été préparé en concertation avec l’ensemble des départements ministériels et transmis au Secrétariat général du gouvernement. Ce texte serait-il toujours bloqué en raison du veto du département de la Fonction publique qui a plaidé, dès le départ, pour deux lois séparées des secteurs public et privé ? Les départements ministériels sont appelés à accorder leurs violons pour remettre le texte dans le circuit législatif le plus tôt possible. Il permettra, en effet, de combler les lacunes constatées au niveau législatif et d’adapter la législation nationale aux normes internationales dans le domaine. Le texte fixe les principes généraux de base en matière de prévention des risques professionnels afin d’en limiter le danger. Il précise également les droits et les obligations des employeurs et des travailleurs sur les lieux du travail. Le projet élargit les dispositions sécuritaires à la fonction publique définissant la responsabilité des administrations publiques, collectivités locales et établissements publics n’ayant pas un caractère commercial en matière de sécurité professionnelle. Son adoption permettra, selon le département du Travail, d’adopter une nouvelle approche dans la prévention des risques professionnels basée sur la détermination et le partage des responsabilités à travers un ensemble cohérent et global de moyens d’action.
Mohamed Yatim
Ministre du Travail et de l’insertion professionnelle
«On manque de statistiques fiables et unifiées»
Les inspirations ÉCO : On parle de 3.000 morts chaque année au Maroc à cause des accidents du travail. Quelle est la véritable situation ?
Mohamed Yatim : Les accidents du travail font partie des risques professionnels dont les répercussions sont néfastes pour les victimes et pour les entreprises. Nous ne disposons cependant pas de statistiques fiables et unifiées concernant ces accidents. L’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale estime le nombre moyen annuel d’accidents du travail déclarés entre 2011 et 2014 à 43.155. Selon les déclarations reçues par les services déconcentrés du ministère, le nombre d’accidents du travail déclarés en 2016 était de 7.973 dont 147 mortels. Quoiqu’il en soit, malgré les disparités des données, elles appellent à une mobilisation générale afin de lutter contre les accidents du travail. Un système d’information et de collecte de données sur les accidents du travail est en cours de développement, ce qui permettra dans un proche avenir de disposer des indicateurs pertinents sur l’évolution des accidents en milieu de travail.
L’arsenal juridique actuel en matière de sécurité de travail est jugé lacunaire. Quelle est votre vision en la matière ?
Le Maroc dispose d’un arsenal juridique important en matière de santé et sécurité au travail, qui traduit l’existence d’une prise de conscience en ce qui concerne la notion du risque professionnel et technologique. Le Code du travail a consacré une part importante à ce volet, notamment ses articles de 281 à 344 et ses textes d’application et ce, en vue de préserver la santé et la sécurité des travailleurs et de se conformer aux conventions internationales y afférentes. À ce titre, il y a lieu de signaler que le Maroc a ratifié les principales conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) en matière de sécurité et de santé de travail, et en particulier, la convention C187 de l’OIT, concernant le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail dont le processus de ratification est en cours de finalisation. Et même si certaines conventions internationales n’ont pas été ratifiées, la plupart des obligations y afférentes sont intégrées soit en totalité soit en partie dans la législation nationale. En effet, certaines dispositions posent problème quant à leur mise en œuvre. De ce fait, la mise à niveau du cadre législatif et réglementaire constitue l’un des axes prioritaire de l’action du ministère.
Comment peut-on réduire l’impact des risques professionnels sur la santé des travailleurs ?
Les risques professionnels (accidents du travail et maladies professionnelles) ont des répercussions sociales sur les travailleurs et économiques sur les entreprises. La promotion de la santé et de la sécurité au travail et l’instauration d’une culture de prévention au sein des entreprises sont la clef de voûte de la lutte contre les risques professionnels. Le ministère du Travail et de l’insertion professionnelle agit à ce titre sur plusieurs axes dont notamment : la mise à niveau du cadre législatif, réglementaire et normatif ; l’amélioration du contrôle au sein des entreprises afin de favoriser, entre autres, la création des services médicaux du travail et des comités de sécurité et d’hygiène ainsi que l’instauration d’une culture de sécurité et de prévention des risques professionnels par l’information et la sensibilisation. Il va sans dire que les risques professionnels est l’affaire de tous, gouvernement, salariés et employeurs ainsi que divers acteurs de la prévention.