Maroc

Transport maritime : le Maroc face à la tempête climatique

À l’heure où le commerce maritime mondial traverse des secousses économiques, climatiques et géopolitiques majeures, le dernier rapport de la CNUCED sonne comme une alerte et une feuille de route. Ledit document met en lumière les nouveaux défis du transport maritime global, tout en soulignant les responsabilités croissantes des pays côtiers du Sud. Pour le Maroc, cette transition vers une économie portuaire décarbonée n’est plus une option mais un impératif. Décryptage des principales conclusions du rapport et des enjeux spécifiques pour l’avenir maritime du Maroc.

Le commerce maritime mondial traverse une zone de turbulence d’une ampleur inédite. Multiplication des événements climatiques extrêmes, durcissement des normes environnementales, bouleversements géopolitiques, inflation des coûts logistiques : le secteur doit opérer une mutation profonde pour rester viable.

Dans son rapport 2025 Review of maritime transport – Staying the course in turbulent waters, la CNUCED dresse un constat sans appel, appelant à une révolution verte du transport maritime. Pour le Maroc, dont les ambitions logistiques et portuaires n’ont cessé de croître, cette transition constitue à la fois un défi technique et une opportunité géostratégique. Mais le temps presse.

L’adaptation climatique, un impératif
Le Maroc a su s’imposer ces dernières années comme une plateforme maritime régionale incontournable. Avec des infrastructures de rang mondial, telles que Tanger Med, Casablanca et bientôt Nador West Med et Dakhla Atlantique, le Royaume a renforcé son rôle de passerelle entre l’Afrique, l’Europe, l’Amérique et le bassin méditerranéen. Tanger Med, en particulier, s’est hissé dans le classement des vingt premiers ports à conteneurs au monde, dépassant certains ports européens historiques, et affichant une capacité de plus de neuf millions d’EVP.

Ce succès est le fruit d’une stratégie d’investissement ambitieuse, fondée sur la connectivité, la compétitivité et l’ouverture. Mais cette dynamique, aussi solide soit-elle, se trouve aujourd’hui confrontée à une exigence globale : l’alignement écologique.

Le rapport 2025 de la CNUCED avertit : «Le transport maritime international est responsable de près de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Sans action rapide, ce chiffre pourrait tripler d’ici 2050».

À cela s’ajoute une vulnérabilité croissante des installations portuaires aux effets du changement climatique :  montée des eaux, stress thermique, instabilité des infrastructures et désorganisation des chaînes logistiques. Les ports côtiers sont directement menacés, et avec eux, les économies qu’ils soutiennent.

Le Maroc, bien que mieux équipé que la majorité de ses voisins africains, ne fait pas exception. L’adaptation climatique de ses plateformes logistiques devient un impératif économique autant qu’un enjeu de souveraineté. La CNUCED insiste sur le fait que la résilience portuaire ne peut plus être dissociée de la transition énergétique.

L’électrification des quais, l’usage de carburants alternatifs comme le GNL, le méthanol vert ou l’hydrogène, la mise en œuvre du cold ironing, ou encore la digitalisation complète de la chaîne logistique pour limiter les délais d’attente et les émissions, ne relèvent plus de la prospective. Ce sont désormais des conditions de compétitivité. Si le Maroc ne prend pas ce virage, il risque de voir ses exportations pénalisées par les futures réglementations environnementales des pays partenaires, à commencer par l’Union européenne.

Urgence continentale
L’entrée en vigueur du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), prévu pour 2026, illustre cette nouvelle donne. Ce dispositif imposera aux importateurs européens de justifier l’empreinte carbone des produits importés, y compris en amont, sur le plan logistique. Si les ports marocains ne sont pas en mesure de prouver leur décarbonation, c’est l’ensemble de la compétitivité du Made in Morocco qui pourrait en souffrir.

Le rapport souligne explicitement que «les ports africains n’ont plus le «luxe du retard». Le verdissement des infrastructures et des opérations est désormais une condition d’accès aux marchés à forte valeur ajoutée». Les investissements nécessaires sont à la hauteur du défi. La CNUCED estime à plus de 300 milliards de dollars les besoins en financement pour adapter les infrastructures portuaires du Sud global d’ici 2030.

Pour le Maroc, cela suppose la mise en place d’une ingénierie financière robuste, capable de combiner capitaux publics, financements multilatéraux, green bonds, et partenariats public-privé. Le pays devra également sécuriser son accès aux financements climat internationaux, comme le Fonds vert pour le climat ou le Fonds pour les pertes et dommages récemment mis en place dans le cadre des négociations COP.

Sur le plan domestique, le rapport pointe l’absence d’une stratégie nationale claire de transition maritime. Si Tanger Med mène certaines initiatives de certification environnementale, le manque d’un cadre réglementaire national dédié freine l’alignement du secteur avec les standards internationaux. La mise en place d’une feuille de route intégrée, pilotée par une autorité intersectorielle, devient urgente. Elle devra associer les autorités portuaires, les ministères de l’Équipement, de l’Environnement, de l’Industrie, ainsi que les opérateurs privés.

De l’impératif de la formation
La transition écologique du transport maritime ne sera pas qu’une affaire de béton, de fuel ou de capteurs intelligents. Elle sera aussi, et surtout, une affaire de talents. Le rapport de la CNUCED insiste sur la nécessité de former une nouvelle génération de professionnels spécialisés en ingénierie maritime verte, en logistique décarbonée, en régulation environnementale du transport et en audit énergétique des plateformes. Le Maroc devra rapidement intégrer ces filières dans son offre universitaire et professionnelle, sous peine de dépendre durablement d’expertises étrangères coûteuses.

Enfin, la CNUCED invite les pays africains à renforcer leurs synergies régionales. Le Royaume, de par son avance infrastructurelle et sa diplomatie économique, est idéalement positionné pour jouer un rôle de catalyseur dans la structuration d’un corridor logistique bas carbone en Afrique du Nord et de l’Ouest.

Tanger Med pourrait devenir le centre d’un réseau de coopération Sud-Sud, appuyé par la formation, l’assistance technique et l’investissement conjoint dans des infrastructures portuaires durables au sud du Sahara. Une ambition continentale qui renforcerait, à terme, la résilience commerciale du continent face aux chocs systémiques.

Le Maroc a les cartes en main. Il dispose d’un réseau portuaire compétitif, d’une base industrielle tournée vers l’export et d’une reconnaissance internationale croissante. Il lui reste désormais à faire du transport maritime durable un pilier de son développement économique, au même titre que l’automobile, l’aéronautique ou les énergies renouvelables.

PortNet, un modèle marocain de guichet unique salué par l’UNCTAD

Dans sa dernière édition du Review of maritime transport 2025, la CNUCED consacre un focus détaillé à l’expérience marocaine de PortNet, qualifiée de cas d’étude exemplaire dans la digitalisation du commerce maritime en Afrique. L’institution onusienne y voit un outil stratégique ayant permis de réduire drastiquement les délais, d’améliorer la transparence et de renforcer l’efficacité logistique dans les ports marocains.

«PortNet illustre comment un système de guichet unique bien conçu peut transformer la performance logistique d’un pays en développement», peut-on lire dans le rapport.

Lancée en 2011, la plateforme interconnecte désormais les douanes, les autorités portuaires, les transporteurs, les banques, les importateurs et les exportateurs, dans une logique d’intégration de bout en bout des flux commerciaux. Grâce à ce système, le Maroc est parvenu à automatiser l’enregistrement des cargaisons, à fluidifier les contrôles documentaires et à optimiser la gestion des escales navires.

La CNUCED souligne également l’effet d’entraînement de PortNet sur la compétitivité des ports du Royaume. En facilitant l’accès aux services portuaires et en réduisant les coûts liés aux délais d’attente, PortNet contribue indirectement à la réduction de l’empreinte carbone du transport maritime, en ligne avec les objectifs de durabilité portuaire mis en avant dans le rapport.

L’organisation recommande à d’autres pays africains d’étudier l’approche marocaine comme un modèle reproductible, notamment en matière de gouvernance de projet, de financement et de coopération public-privé. PortNet est ainsi présenté comme une bonne pratique de digitalisation inclusive, avec des retombées mesurables sur la performance commerciale nationale.

H.K. / Les Inspirations ÉCO



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