Tourisme : au cœur de la guéguerre entre Booking.com et les hôteliers

Le géant néerlandais de la réservation de voyages en ligne fait face à une nouvelle offensive judiciaire en Europe. Les hôteliers lui réclament la restitution du «trop-perçu» sur les commissions encaissées au cours des 20 dernières années. Au Maroc où la plateforme contrôle près de 30% des nuitées, les hôteliers versent 17% à 23% de commission sur chaque nuitée vendue. Ils rêvent en secret de voir le Conseil de la concurrence sévir contre l’«abus de position dominante» de Booking.com.
Voilà une action qui, si elle aboutit, pourrait chambouler les rapports de force entre Booking.com et ses partenaires hôteliers et en finir avec le diktat du géant néerlandais de la réservation des voyages en ligne sur l’industrie hôtelière.
Dans une opération spectaculaire, un groupe d’associations de professionnels de l’hôtellerie de 25 pays européens a initié une action collective en justice contre Booking.com et réclame la rétrocession du «trop-perçu» des commissions au cours de ces 20 dernières années. Les professionnels marocains espèrent que le Conseil de la concurrence se saisira de cet «abus de position dominante» du géant néerlandais. Les hôtels européens référencés chez Booking.com pourraient prétendre récupérer une partie des commissions versées au géant de la réservation en ligne, majorées des intérêts.
Selon les premières estimations de la profession, les commissions de Booking.com pourraient avoir été gonflées d’au moins 30% en raison des clauses de parité.
Au Maroc, comme partout où la plateforme est présente, Booking.com prélève entre 17% et 23% de commission sur chaque réservation effectuée via son canal. Sa part de marché dans le Royaume est estimée autour de 25% des nuitées dans l’hôtellerie classée. On peut en déduire que la plateforme a engrangé au moins 17% du chiffre d’affaires dégagé par les 27,7 millions de nuitées vendues en 2024.
La montée en puissance de Booking.com a constitué une avancée pour le client, puisqu’elle lui a permis de comparer et réserver les hôtels sur un même site, en bénéficiant de la pression à la baisse sur les frais d’intermédiation.
En contrepartie, Booking.com prélève une commission qui peut atteindre 23% sur chaque nuitée, confirme un gérant d’hôtel à Marrakech. Contrairement aux idées reçues, Booking.com n’est pas le plus cher en la matière. La commission que paient les hôtels marocains aux T.O varie entre 20% et 30% du montant des ventes de nuitées, révèle un hôtelier de la Ville ocre. C’est un niveau très élevé qui ronge les marges du secteur d’autant plus que 30% à 40% des réservations transitent encore par le canal de tours opérateurs. Et dans certains clubs «all inclusive», à Agadir ou Marrakech, cette proportion est encore plus élevée.
C’est d’ailleurs une des raisons qui expliquent l’émergence d’un nouveau métier stratégique dans l’industrie hôtelière, les «channels managers», ces responsables chargés d’orienter les réservations vers les canaux les plus rémunérateurs pour l’établissement hôtelier. Avant eux, les yield managers, dont la mission est d’optimiser les tarifs, avaient fait une entrée fracassante dans l’organisation des hôtels après avoir essaimé dans le transport aérien, et plus généralement dans les services.
Le panachage des canaux de vente, un gros enjeu de la profession
Le choix des canaux de distribution les plus rentables est le combat actuel dans l’industrie hôtelière, confie le directeur général d’une chaîne hôtelière. L’enjeu est de faire en sorte que le panachage des réservations maximise le revenu moyen.
Par ordre, la préférence des hôteliers est la suivante : la vente directe au client qui se présente au comptoir (de plus en plus rare), le passage par plateforme interne de l’établissement, la vente via les plateformes de distribution en ligne type Booking.com et en dernier lieu, les T.O, car c’est le circuit qui ponctionne la plus forte commission sur ventes.
L’offensive des hôteliers européens intervient huit mois après l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 19 septembre 2024 qui avait déclaré «hors la loi» les clauses de parité imposées par Booking.com interdisant aux hôtels référencés de proposer des tarifs inférieurs à ceux affichés sur sa plateforme.
Pour rappel, Booking a rejoint les rangs des «Gafam» (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) parmi les entreprises soumises aux règles du Digital markets act. En novembre dernier, la Commission européenne a conféré à Booking.com le statut de «contrôleur d’accès», ce qui a contraint le géant du voyage à supprimer les clauses de parité tarifaire pour les hôtels des pays de l’UE. Mais celles-ci restent en vigueur au Maroc.
Les hôteliers du Royaume sont toujours coincés par cette restriction, et ne peuvent s’en affranchir en raison de leur trop forte dépendance vis à vis du géant néerlandais. Bien que les hôtels puissent recourir à des canaux de vente alternatifs, Booking.com leur interdit d’offrir des nuitées à des prix inférieurs à ceux proposés sur son portail.
Dans sa version originelle, cette interdiction s’appliquait tant à l’offre sur les propres canaux de vente des hôteliers qu’à celle des canaux de vente exploités par des tiers.
Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO