Taux de défaut record des ménages : le réveil douloureux du secteur bancaire
C’est la douche froide pour les banques marocaines ! Après avoir ouvert les vannes du crédit aux ménages, elles se retrouvent aujourd’hui avec un taux de défaut record sur les bras. De quoi perdre quelques cheveux… Détails.
Votre projet d’achat immobilier ou de consommation pourrait bien être compromis dans les semaines à venir. Avec la hausse inquiétante du taux de défaut des ménages, les banques n’auront d’autre choix que de revoir leurs conditions d’octroi de crédit.
Au Maroc, le secteur bancaire fait face à une situation préoccupante : le taux de défaut des ménages, qui reflète leur incapacité à rembourser leurs crédits, a atteint un niveau record de 10,2% en 2023, selon le dernier Rapport annuel sur la stabilité financière de Bank Al-Maghrib. Une augmentation inquiétante de 6,5% par rapport à l’année précédente. Une dégradation qui cache en réalité des disparités selon le type de crédit.
Le rapport souligne des écarts significatifs en termes de taux de défaut selon qu’il s’agisse de prêts à la consommation ou de crédits immobiliers. Une distinction qui mérite d’être approfondie car elle reflète des enjeux et des comportements d’endettement différents. Les prêts à la consommation, utilisés pour financer des biens de consommation courante comme des véhicules, électroménager ou autres dépenses, affichent le taux de défaut le plus élevé, proche de 13%. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer.
Tout d’abord, ces crédits sont souvent contractés par des ménages aux revenus modestes, plus sensibles aux aléas économiques. Ensuite, leur durée est généralement plus courte, les remboursements sont donc plus lourds et laissent moins de marge de manœuvre en cas de coup dur. Enfin, la nature même de ces biens, pouvant rapidement se déprécier ,limite les possibilités de recours.
À l’inverse, le taux de défaut est moindre pour les crédits immobiliers, autour de 8,5%, bien qu’en nette hausse également. Cela s’explique par le fait que ces emprunts sont souscrits par des ménages disposant en théorie de revenus plus élevés et d’un patrimoine déjà constitué. Les garanties apportées par les biens immobiliers financés sont également un facteur clé de sécurisation pour les banques.
Néanmoins, leur durée très longue, jusqu’à 20 ou 30 ans, les expose aux risques de la vie comme le chômage ou le divorce pouvant fragiliser la situation financière des emprunteurs. Cette différence de risque se traduit dans les conditions d’octroi de crédit, généralement plus strictes pour l’immobilier, obligeant à des apports personnels importants, par exemple. Au final, gérer ces deux grandes familles de crédit requiert des approches distinctes de la part des établissements bancaires, tant en termes de prospection, d’analyse de risque que de processus de recouvrement.
L’importance des facteurs macroéconomiques dans la hausse du taux de défaut
Il faut dire que les conditions économiques générales jouent un rôle déterminant dans la capacité des ménages à honorer leurs engagements de remboursement de crédits. Plusieurs indicateurs macro ont pu peser négativement ces dernières années. Tout d’abord, un ralentissement de la croissance économique a probablement impacté les revenus des ménages, que ce soit via des baisses de rémunérations, des pertes d’emplois ou des difficultés pour les indépendants et commerçants. Avec des ressources financières contractées, rembourser un crédit devient plus ardu.
Parallèlement, une hausse du chômage touche de plein fouet l’accès des ménages à des revenus stables et pérennes. Les tranches d’âge les plus jeunes et les moins qualifiées sont souvent les premières impactées en période de ralentissement économique. Or, ce sont également ces profils qui peuvent être tentés de s’endetter pour financer leurs projets personnels. L’inflation galopante observée récemment a également rogné le pouvoir d’achat, grevant encore un peu plus les budgets déjà serrés des ménages les plus modestes. Lorsque les dépenses contraintes comme l’alimentation ou l’énergie augmentent, ce sont les capacités d’épargne et de remboursement qui se dégradent en premier.
D’autres éléments macro comme une éventuelle hausse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, ou encore une appréciation du dirham, rendant le service de la dette plus lourd pour les emprunteurs en devises, ont pu aggraver le phénomène. Enfin, des chocs sectoriels frappant des pans entiers de l’économie marocaine comme le tourisme, l’immobilier ou l’automobile, peuvent également affaiblir les capacités de remboursement de nombreux ménages dont les revenus dépendent de ces secteurs clés.
En définitive, c’est bien la conjonction et les interactions complexes entre ces différents facteurs macro-économiques qui permettent de comprendre les pressions subies par la situation financière des ménages et leurs difficultés accrues à faire face à leurs échéances de crédits.
L’assouplissement des conditions d’octroi de crédit, une des causes du surendettement des ménages
Au-delà des facteurs macroéconomiques, le rapport semble pointer du doigt les pratiques mêmes du secteur bancaire comme une des raisons de la hausse du taux de défaut des crédits aux ménages. Un assouplissement excessif des conditions d’octroi dans les années passées aurait favorisé un phénomène de surendettement des ménages.
Dans le contexte économique qui prévaut, la concurrence accrue entre les banques pour capter de nouveaux clients les pousse souvent à relâcher quelque peu leurs critères d’approbation des dossiers de prêts. L’objectif est d’augmenter leurs parts de marché en élargissant leur base d’emprunteurs. Cela peut se traduire par l’acceptation de dossiers légèrement plus risqués, une diminution des apports personnels exigés ou encore une sous-estimation du taux d’endettement acceptable des ménages.
À court terme, cette stratégie permet une croissance rapide des encours de crédits distribués, comme en témoigne la hausse de 3,2% de la dette des ménages en 2023 pour atteindre 411,6 milliards de dirhams, selon les chiffres cités. Mais sur le long terme, une fois la conjoncture économique dégradée, ces crédits «limite» octroyés deviennent bien plus difficiles à honorer pour les emprunteurs fragilisés. Le risque est alors celui d’une spirale du surendettement où les ménages ne parviennent plus à rembourser leurs multiples crédits, entraînant des défauts en cascade alors que leurs ressources sont de plus en plus grevées par les charges financières exponentielles.
Cette potentielle dérive de «l’excès de crédit» peut être favorisée par une régulation bancaire insuffisante sur les pratiques d’octroi ou encore la faible éducation financière d’une partie de la population. «Les établissements prêteurs ont donc un rôle clé à jouer pour juguler les risques de surendettement tout en préservant un accès au crédit sain et équilibré. Un rééquilibrage des conditions d’octroi semble aujourd’hui nécessaire pour assurer la pérennité du secteur», réagit un analyste.
Une gestion renforcée des risques crédits, défi d’équilibre pour les banques
Avec 41,8 milliards de dirhams de créances en souffrance fin 2023, les banques marocaines sont directement impactées par la hausse du taux de défaut sur les crédits aux particuliers. Cette situation menace leur rentabilité et les pousse à revoir en profondeur leurs processus de gestion des risques crédits. Leur exposition est en effet majeure sur ce segment, avec 82% de l’encours total de la dette des ménages dans leurs bilans, dont près des deux tiers sous forme de crédits immobiliers, selon le rapport.
Un niveau de risques non négligeable qui exige des ajustements. Côté octroi tout d’abord, «un redimensionnement des conditions d’accès au crédit semble inévitable pour limiter les profils trop risqués. Un renforcement des critères sur le reste à vivre, la stabilité des revenus ou encore le niveau d’endettement maximum admis est à prévoir. Les banques pourraient également revoir à la hausse leurs exigences en termes d’apports personnels ou de garanties», recommande un contact.
Sur le volet recouvrement ensuite, une revue des process de détection précoce des impayés, de relance et de restructurations, devra probablement avoir lieu.
«La formation des équipes et les investissements dans les systèmes d’information pour un suivi plus étroit des dossiers seront indispensables», poursuit-il.
Cependant, les établissements bancaires doivent trouver le bon équilibre dans ce renforcement du risque crédit. Un durcissement trop sévère des conditions d’octroi pourrait se traduire par un raisonnement excessif du crédit aux particuliers. Or, celui-ci est essentiel pour soutenir leur consommation et leur accès à la propriété, deux moteurs-clés de l’activité économique nationale. Les banques seront donc poussées à développer une analyse de risque crédit plus fine et granulaire, différenciant davantage les profils d’emprunteurs plutôt qu’un strict système de critères universels. Les bonnes pratiques de gestion de la relation client et de pédagogie sur l’endettement responsable prendront également tout leur sens. Trouver les justes garde-fous tout en préservant un financement sain de l’économie, tel est le délicat exercice auquel les banques marocaines vont devoir se livrer dans les mois à venir, selon les préconisations du rapport.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO