Stratégie digitale. Il faut accélérer la cadence

Le Maroc est en retard dans le déploiement de sa stratégie numérique nationale. C’est le principal enseignement de la note stratégique produite conjointement par le cabinet Mazars et le magazine «La Tribune Afrique». L’étude a été présentée, hier à Casablanca.
C’est un constat peu reluisant. Le cabinet Mazars et le magazine «La Tribune Afrique» ont publié, ce jeudi 1er juillet, un policy paper de 36 pages intitulé «Le Maroc, la future «Digital Nation » africaine ?», dans lequel ils affirment que le Maroc «ne s’est pas encore engagé pleinement sur la route du numérique». Autrement dit, les efforts consentis dans la mise en oeuvre du plan Maroc Digital 2020 -lequel ambitionne de mettre en ligne 50% des démarches administratives, de réduire de 50% la fracture numérique et de connecter 20% des PME- peuvent être améliorés. Un constat qui vient confirmer un récent rapport intitulé «Évaluation des services publics en ligne» de la Cour des comptes mettant en exergue les failles des avancées réalisées par la stratégie numérique nationale, lesquelles sont imputables à «la résistance de certains acteurs au changement, alors que les facteurs clés de succès d’une telle évolution passent inévitablement par l’implication, la coordination et l’adhésion de tous et à tous les niveaux». Si, aujourd’hui, le Maroc peut se targuer de figurer dans le peloton de tête des pays ayant démarré la digitalisation de leur économie, en se positionnant à la 2e place du classement Maghreb devant l’Algérie, la Libye et la Mauritanie, en ce qui concerne l’e-participation, le royaume a perdu sa place de leader africain au profit de l’Afrique du Sud.
Ainsi, pour rattraper ce retard, «il est indispensable que le Maroc accélère le pas de la transformation digitale en alignant le temps réglementaire avec le temps technologique» qui évolue rapidement, se complexifie et se multiplie sans cesse, a estimé le Managing Partner du cabinet Mazars, Abdou Diop.
Dans cette optique, recommande-t-on, il conviendrait de lancer un plan national pour dresser l’état des lieux des services offerts aux citoyens et usagers, puis d’identifier les solutions technologiques à ces enjeux (existantes, à développer) pour enfin prioriser les chantiers à lancer afin de digitaliser une bonne fois pour toutes les services offerts aux Marocaines et aux Marocains. Une nouvelle politique digitale qui permettra de construire une vision Customer Centric. En parallèle, l’État marocain doit massivement investir dans les infrastructures et les nouvelles technologies compte tenu de l’importance de la technologie comme nouveau moteur de l’économie contemporaine. En effet, explique-t-on dans le policy paper, l’investissement dans ce secteur est essentiel à son développement. Selon une étude du cabinet Gartner, les dépenses mondiales en TIC ont atteint plus de 3.500 milliards de dollars en 2018, enregistrant une croissance annuelle de 6,2%. Elles devraient atteindre les 4.000 milliards de dollars en 2022. Selon Abdou Diop, l’investissement dans le digital passe essentiellement dans la formation et la mise en place d’un environnement ouvert à la concurrence dans un mode transparent pour construire au Maroc un réseau 5G mondial à la pointe de la technologie.
Aziz Saidi, rédacteur en chef de la Tribune Afrique, dira à ce niveau que le Maroc, à travers sa politique de coopération Sud-Sud et son orientation stratégique africaine assumée, doit être un exemple en matière de digital. Par ailleurs, outre la mise en place d’un environnement physique propice à l’innovation dans les TIC, le Maroc peut mettre en place des politiques d’incitation visant à fournir les fonds et les investissements correspondants pour encourager l’innovation dans les TIC car les investissements dans les domaines prioritaires peuvent accélérer le développement du Royaume du Maroc pour combler les lacunes actuelles, soulignent les auteurs de la note stratégique. Et c’est une stratégie qui marche car d’autres pays l’ont adoptée, améliorant et renforçant de manière significative la qualité et la présence de leurs services publics en ligne. L’un des exemples les plus patents est le Rwanda. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest où les files d’attente ont été remplacées par le SMS grâce à une application créée par l’État, Irembo, l’administration publique est parvenue à se réinventer en organisant sa propre disruption numérique, explique Saidi, citant d’autres pays leaders en la matière à savoir Singapour et l’Estonie. Championne de la transformation numérique, dira-t-on, l’Estonie figure sans conteste parmi les références mondiales en matière d’e-gouvernance; surnommée «la nouvelle Silicon Valley européenne» ou encore «l’E-Estonie», ce petit pays de 1,3 million d’habitants a su se réinventer en tout juste 28 ans, devenant ainsi une véritable «Digital Nation». Le pays d’Europe du Nord déploie dès lors un large dispositif de dématérialisation des démarches officielles comme la signature digitale, la carte d’identité électronique ou encore le vote en ligne.
Aujourd’hui, 98% des Estoniens qui ont accès à un large éventail de services publics en ligne disposent d’une identité numérique avec pas moins de 1.500 services disponibles en ligne, un gain de temps considérable qui permettrait d’économiser jusqu’à l’équivalent de 2% du PIB. Les Singapouriens ont les mêmes facilités, ou presque. De ce qui précède, il apparaît clairement que les initiatives stratégiques lancées en vue d’accélérer la transformation numérique du Maroc et d’inscrire le pays dans une démarche de «Nation digitale» n’ont pas encore obtenu les résultats escomptés. Toutefois, si certaines initiatives ont échoué ou ont été carrément abandonnées, de manière globale, la puissance publique apparaît volontariste notamment avec la création, en décembre 2017, de l’Agence de développement du digital (ADD), organe d’exécution de la stratégie Maroc Digital.