Santé mentale. Le parent pauvre du système

Le Maroc ne dispose que de 2.225 lits pour la santé mentale. Le manque en ressources humaines est criant. Le royaume ne compte que 306 psychiatres exerçant dans les deux secteurs public et privé et 8 pédopsychiatres. Pendant longtemps, la santé mentale a été la grande oubliée du système.
L’offre de soins en matière de santé mentale est on ne peut plus insuffisante. Pourtant, il est démontré que les troubles mentaux «infl uent sur la prévalence, l’évolution et le traitement de nombreuses maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer, asthme)», comme le souligne le ministère de la Santé. Les défis sont de taille, à commencer par la nécessité de lancer une nouvelle enquête sur la santé mentale au Maroc. Celle portant sur la prévalence des troubles mentaux et des toxicomanies dans la population générale âgée de 15 ans et plus a été réalisée entre 2003 et 2006. Ses résultats font froid dans le dos. 26,5% des Marocains souffrent de troubles dépressifs, 9% de troubles anxieux, 5,6% de troubles psychotiques et 1% de schizophrénie. Quant à l’usage de substances psychoactives, il concerne 4,1% de la population. L’abus de l’alcool atteint 2 % et la dépendance alcoolique 1,4%.
Une prise en charge faible
Que fait le Maroc pour prendre en charge ces troubles dont l’impact socio-économique est profond? Le ministre de la Santé, Anass Doukkali, qui a été déjà interpellé par les parlementaires sur la situation de la santé mentale reconnait l’insuffisance de l’offre de soin tout en soulignant que des efforts sont en cours pour combler le déficit enregistré en la matière. Selon les données du ministère de la Santé, le Maroc compte actuellement quelque 34 structures de soins psychiatriques et addictologiques réparties dans les différents réseaux d’établissements de santé (réseau hospitalier, réseau de soins de santé primaires et réseau d’établissements médicosociaux). Ces structures totalisent une capacité litière de 2.209 lits, soit une densité de 0,65 lit par 10.000 habitants. On observe une répartition presque égale des lits psychiatriques entre les hôpitaux psychiatriques, les services psychiatriques et les structures psychiatriques relevant du CHU. Cependant, force est de constater que la répartition territoriale de ces lits et structures reste inéquitable. Deux régions ne disposent pas encore de structures hospitalières psychiatriques ou addictologiques (région de Dakhla Oued Eddahab et région de Guelmim Oued Noun). Quant aux ressources humaines, elles restent insuffisantes en conparaison avec la moyenne de la région d’EMRO (Méditerranée orientale). La répartition de ces ressources est aussi inéquitable : 60% sont localisée au niveau de l’axe Casablanca- Kénitra. Les défis ont été déjà tracés par le département de tutelle, pourvu qu’ils soient bientôt relevés. Il s’agit notamment du renforcement de la capacité litière nationale totale qui est actuellement estimée à 0,7 lits pour 10 000 habitants alors que l’objectif est d’atteindre la norme de 1 lit/10.000 habitants. Le renforcement des ressources humaines essentiellement les psychiatres s’impose. Le Maroc ne dispose actuellement que de 0,9 psychiatre/100 000 habitants alors qu’il faut au moins arriver à 1psychiatre/100 000 habitants. On entend aussi renforcer l’intégration de la santé mentale dans les structures de soins de santé primaires (83 unités de consultation en santé mentale). L’objectif est de créer 10 nouvelles unités de consultation par an. D’après le ministère de la Santé, les actions de réadaptation et de réhabilitation occupent actuellement une place restreinte par rapport aux activités de soins médicaux. Et l’absence de toute alternative à l’hospitalisation en dehors de la famille expose un nombre de plus en plus important de patients «chroniques» aux rechutes et à l’exclusion sociale. Ainsi, le développement des structures intermédiaires en santé mentale s’avère une nécessité pour renforcer la réhabilitation psychosociale. Il faut, également, prendre en compte un élément de la plus haute importance, celui de la transition démographique et du vieillissement de la population qui font apparaître de nouvelles maladies dont l’Alzheimer qui représente au Maroc la première cause de démence : 33,8% des cas de démences diagnostiquées. Aussi, faut-il développer une offre de soins et un nouveau programme spécifique pour cette population.
Renforcement des infrastructures
Pour combler le manque, plusieurs mesures sont prévues en matière de renforcement des infrastructures et de formation des ressources humaines à travers la formation en moyenne de 30 psychiatres et 70 infirmiers spécialisée en psychiatrie par an. Depuis 2008, on a lancé la formation des pédopsychiatres dont le nombre ne dépasse pas 8 actuellement. À cela s’ajoute la formation continue en santé mentale des professionnels non spécialisés : 180 médecins généralistes dont 20 relevant de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) et 180 infirmiers polyvalents dont 20 relevant de la DGAPR. Le budget des médicaments alloués à l’achat des médicaments psychotropes a été porté à 90 MDH. Des médicaments psychotropes de 2ème et 3ème générations ont été introduits dans la liste des médicaments essentiels. Mais, des efforts considérables restent encore à déployer sur ce volet pour accompagner les personnes concernées. Par ailleurs, il a été procédé au renforcement de l’infr structure en psychiatrie à travers, entre autres, l’augmentation du nombre des services psychiatriques intégrée dans hôpitaux généraux ( 23 services), la création de structures intermédiaires en santé mentale ( 02 Hôpitaux de jour à Marrakech et Salé et 2 centres médicopsychosociaux à Casablanca) et la création de 3 Hôpitaux psychiatriques d’une capacité litière de 120 lits chacun à El Kelaa Des-Sraghna (réalisé et mis en fonction), à Kenitra (en cours) et à Agadir (en cours). Pour améliorer la gouvernance du secteur, l’accélération de la cadence de révision du texte législatif régissant la santé mentale (Dahir de 1959) s’impose. C’est un projet en cours. Notons à cet égard que le projet de loi sur la santé mentale a été adopté par le conseil du gouvernement en juin 2015 et est actuellement en cours de révision.
Cap sur 2025
À l’horizon 2025, le ministère de la Santé entend mettre à niveau les hôpitaux et les services de psychiatrie intégrés existants, humaniser et normaliser les structures de soins et les pratiques professionnelles, poursuivre la création de services intégrés de psychiatrie au niveau des hôpitaux généraux et diversifier l’offre de soins psychiatriques et les interventions en santé mentale. Il est aussi prévu d’oeuvrer pour la réinsertion sociale des personnes atteintes de troubles mentaux et /ou addictifs, la protection de leurs droits et la lutte contre leur stigmatisation et leur discrimination. Le renforcement de l’offre de soins et la diversification des services en addictologie est également dans le pipe. Le défi est de pouvoir concrétiser tous ces objectifs dans les délais escomptés.