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Recomposition de la coalition gouvernementale : Rude épreuve pour El Othmani
Une grande responsabilité incombe à Saâd-Eddine El Othmani qui est appelé à ne pas se contenter d’un simple remaniement ministériel, mais à procéder plutôt à la reconfiguration de sa coalition gouvernementale. Le chef de gouvernement fera-t-il appel au Parti de l’Istiqlal ?
La balle est dans le camp du chef de gouvernement pour insuffler une nouvelle dynamique à l’action gouvernementale. Parviendra-t-il à relever le défi de l’accélération de la cadence aussi bien sur le plan de la reconfiguration de son gouvernement que celui de l’instauration d’une nouvelle méthodologie de travail basée sur le principe constitutionnel de la reddition des comptes ? Saâd-Eddine El Othmani est face à un examen de passage qui risque d’être compliqué. Le chef de la coalition gouvernementale devra prendre, encore une fois, son bâton de pèlerin pour aller prêcher la bonne parole auprès de ses alliés, mais aussi d’autres formations politiques, en l’occurrence l’Istiqlal. Il s’agit d’une épreuve difficile en dépit des derniers rebondissements. En effet, les acteurs politiques se sont montrés imprévisibles au cours des dernières années. Désormais, les partis politiques sont appelés à se remettre en cause et à être à la hauteur de cette phase cruciale de l’histoire politique marocaine. Au niveau de la majorité gouvernementale, deux partis politiques sont fortement concernés par le signal royal : le Parti du progrès et du socialisme et le Mouvement populaire. La mesure disciplinaire prise à l’encontre du chef de file du PPS est une estocade pour le parti qui n’est plus représenté au gouvernement que par un secrétariat d’État. Nabil Benabdallah aura-t-il le courage de négocier avec El Othmani le remplacement des postes vacants ? Nombre d’observateurs s’accordent sur la nécessité pour les progressistes de se retirer du gouvernement en vue de refaire leurs calculs pour mieux se repositionner sur l’échiquier politique, d’autant plus que le PPS a essuyé un revers cuisant lors des dernières élections législatives ; et son entrée au gouvernement a été vertement critiquée par ses détracteurs (dont des alliés gouvernementaux) en raison de la faiblesse de son poids numérique au niveau de la Chambre basse. Une réunion du bureau politique de ce parti est prévue ce matin pour discuter des tenants et aboutissants de la situation actuelle. Rien n’est encore tranché et les avis sont visiblement divergents au sein du PPS, dont certains ténors avaient déjà critiqué le positionnement du parti et son alignement sur les positions du PJD au détriment de son identité et de ses fondamentaux. «Une cure dans l’opposition ne fera pas de mal au parti», comme le souligne, aux Inspirations ÉCO, un dirigeant progressiste estimant que le PPS a fortement besoin d’une mise à niveau et du renforcement de l’encadrement de ses militants.
Du côté du Mouvement populaire, la situation n’est pas moins délicate. Ce sont quelque cinq responsables gouvernementaux harakis dont trois anciens ministres qui sont concernés par la décision du souverain. Comment le parti de l’épi va-t-il gérer cette nouvelle donne ? Va-t-il se permettre de discuter avec El Othmani l’entrée au gouvernement de nouveaux profils harakis? La question demeure pour le moment en suspens. Il est encore prématuré de prendre une position jusqu’à la tenue de la réunion du bureau politique prévue dans les plus brefs délais au vu du contexte actuel, a indiqué hier aux Inspirations ÉCO, Mohamed Moubdii, membre du bureau politique du MP. «Le parti a des mécanismes, des procédures et des instances qui devront se réunir le plus tôt possible pour prendre une position», précise-t-il. Des responsables harakis essaient de minimiser l’ampleur de la secousse sur le parti «d’autant plus que Mohammed Hassad et Larbi Bencheikh étaient des technocrates qui ont été peints aux couleurs du Mouvement populaire et restent, ainsi, des corps étrangers». À cet égard, faut-il rappeler que, depuis des mois, Mohamed Hassad est pressenti pour occuper le poste de chef de file du MP et qu’il avait même encadré des manifestations partisanes régionales ? Pour les observateurs, deux scénarios s’offrent au chef de gouvernement : se contenter d’un simple remaniement ministériel en gardant les mêmes alliés et remplaçant les ministres démis par des militants du même parti ou procéder à une reconfiguration de la coalition gouvernementale. La facilitation de l’entrée du Parti de l’Istiqlal (PI) au gouvernement est tributaire de la position du PPS, voire celle du MP. La mission d’El Othmani sera facilitée par le retrait surtout du PPS pour pouvoir, le cas échéant, faire appel au Parti de l’Istiqlal, de l’avis du professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques, Omar Cherkaoui. Or, les tractations avec le parti de la balance qui vient de changer de direction pourraient s’annoncer ardues dans un contexte marqué par l’examen du projet de loi de finances au Parlement.
En coulisses, certains dirigeants du PI se disent favorables à la participation au gouvernement. Mais, tant qu’aucune offre concrète n’a été encore faite au parti, les héritiers de Allal El Fassi ne veulent pas se prononcer officiellement sur la question. Le PI continue de soutenir le gouvernement, conformément à la décision prise par son ancien Conseil national, à en croire un membre du comité exécutif du parti. Les prochains jours s’annoncent décisifs pour l’avenir non seulement du gouvernement, mais aussi de certains partis politiques.
Driss Aissaoui
Politologue
Le roi Mohammed VI a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises dans ses différents discours sur les dysfonctionnements constatés en matière de gouvernance. Il était clair que le souverain voulait absolument situer la gestion de la problématique ayant trait aux évènements d’Al Hoceima dans le cadre des institutions et des dispositions constitutionnelles. D’ailleurs, le roi ne s’est jamais départi de cette démarche. Dans l’histoire politique marocaine, les dernières décisions constituent une première. Le Maroc vit une situation avant et après le 24 octobre 2017. La notion de gouvernance a été complètement délayée à un certain moment sans jamais lui donner un sens ni à celle de la reddition des comptes qui est désormais actée. En effet, on sait actuellement à quoi ressemble la reddition des comptes. Par ailleurs, au niveau des partis politiques, le Mouvement populaire a été frappé en plein cœur. Comment donc peut-il présenter des profils pour le remaniement ministériel ? Ce sera une mission compliquée. Idem pour le PPS dont le secrétaire général a été démis de ses fonctions. Le Parti de l’Istiqlal, avec son nouveau chef de file et sa nouvelle orientation, pourrait éventuellement faire son entrée au gouvernement. Ce serait, le cas échéant, un remaniement élargi. Le scénario le plus plausible est de reconfigurer la coalition gouvernementale pour mieux agir. Si on attend le mi-mandat, ce sera trop tard. On a besoin de rythmer l’action du gouvernement d’autant plus que les retards sont exponentiels sur le terrain.
«La logique impose au PPS de se retirer du gouvernement»
Omar Cherkaoui
Professeur de Droit constitutionnel
Les Inspirations ÉCO : Quelle lecture constitutionnelle peut-on faire des derniers rebondissements ?
Omar Cherkaoui : Trois dispositions constitutionnelles ont été respectées : l’article premier qui lie la responsabilité à la reddition des comptes, l’article 42 stipulant que le roi est le chef d’État et garant de sa pérennité ainsi que l’article 47 qui octroie au roi la prérogative de mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement.
Pensez-vous qu’il s’agit d’une nouveauté sur le plan de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles ?
Rappelons que des ministres et hauts responsables ont déjà été démis de leurs fonctions auparavant. Le roi intervenait dans l’évaluation du rendement de certains ministres. L’intervention de l’institution monarchique en la matière était, par le passé, plutôt implicite alors qu’actuellement, elle est forte. Auparavant, les ministres demandaient à être démis de leurs fonctions. Aujourd’hui, c’est une décision disciplinaire. Le roi Hassan II avait recouru à cette pratique dans les années 70. Sous l’ère de Mohammed VI, c’est une première.
Quels sont les scénarii les plus plausibles pour le remaniement ministériel si le PPS ne décide pas de se retirer du gouvernement ?
Si le PPS ne se retire pas du gouvernement, le chef de gouvernement sera appelé à présenter sa démission pour qu’il puisse, par la suite, être renommé et recomposer sa majorité gouvernementale.
La démission d’El Othmani est-elle obligatoire pour reconfigurer la majorité gouvernementale ?
El Othmani a besoin d’une base constitutionnelle pour pouvoir reconfigurer sa majorité. Si le PPS décide de rester, il est constitutionnellement possible que le Parti de l’Istiqlal entre au gouvernement. Mais, sur le plan politique, ce sera une entrée par la petite porte qui ne va lui permettre d’obtenir que deux ou trois départements ministériels alors qu’il a plus de sièges parlementaires que les autres partis. La logique impose au PPS de se retirer du gouvernement. La possibilité de la sortie du MP du gouvernement est aussi posée. Le remaniement élargi a un coût politique dans cette phase marquée par l’examen de la loi de finances. Il pourrait être ajourné à mi-mandat.