Prévention routière : déconstruire les symboles pour repenser la sécurité en ville

La nécessité de transformer les engagements internationaux en actions concrètes s’est imposée comme une urgence lors de la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière. De Marrakech à New York, en passant par Paris et Abou Dhabi, la sécurité routière s’affirme désormais comme un levier majeur de transformation urbaine, invitant à repenser la cité bien au-delà de la simple gestion du trafic.
Devenu par la force des choses lieu de concentration de germes économiques, les métropoles n’en demeurent pas moins le théâtre de contradictions profondes. D’un côté, l’urbanisation rapide attire des millions de personnes en quête d’opportunités, de l’autre, elle crée des environnements où la mobilité devient un facteur de risque. Et c’est là tout le paradoxe des villes modernes. Des espaces de vie en constante expansion, mais où l’acte simple de traverser une rue peut s’avérer un danger mortel.
À l’occasion de la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière, tenue du 18 au 20 février à Marrakech, plusieurs représentants municipaux et experts de renommée internationale ont souligné le rôle déterminant des villes dans la réduction des accidents de la route. Dans un contexte où la majorité des décès routiers surviennent en milieu urbain, les solutions émergent là où le problème se pose avec le plus d’acuité.
En ce sens, comme l’a rappelé Andrew Yeung, co-directeur du Global Cities Hub, «les maires ne sont plus de simples gestionnaires de territoire, des acteurs globaux capables de répondre aux défis mondiaux avec des solutions locales».
Ce grand sommet de la sécurité routière a mis en avant la nécessité de repenser l’urbanisme dès la conception même des politiques de transport.
A l’évidence, l’intégration de la prévention routière au cœur de la planification urbaine permet non seulement de sauver des vies, mais d’améliorer la qualité de vie en réduisant la pollution, en facilitant l’accès aux services et en stimulant l’économie locale.
Dans cette perspective, les maires ont un avantage stratégique, à savoir leur proximité avec les citoyens qui confère une capacité à identifier les besoins locaux et à adapter les solutions aux spécificités de chaque quartier. Cette approche sur mesure permettrait de concevoir des villes plus sûres, plus inclusives et durables. Mais au-delà de la conception des infrastructures, le défi de la sécurité routière est tributaire de la volonté de transformer les mentalités des usagers et citoyens.
Comme le souligne un rapport du World Resources Institute, le succès des villes dans la réduction des accidents dépend largement de l’adoption d’une approche systémique. Celles qui réussissent à inverser la tendance adoptent une vision globale de la sécurité, où la gestion des vitesses, la conception des infrastructures et la réglementation des véhicules forment un tout cohérent.
En d’autres termes, il ne s’agit pas simplement de blâmer l’erreur humaine, mais de créer un système sécurisé capable d’absorber ces erreurs sans conséquences fatales.
Politiques ciblées
Des exemples concrets attestent de l’efficacité de cette approche. New York a réussi à imposer une limite de vitesse de 20 miles à l’heure dans certains quartiers grâce à une campagne menée par Families for Safe Streets, tandis que Paris a mis en place des zones scolaires sécurisées où les voitures sont interdites à certaines heures. Ces mesures ne visent pas seulement à limiter les accidents, mais à reconfigurer l’espace public pour donner la priorité aux usagers les plus vulnérables (piétons, cyclistes et enfants).
L’Organisation mondiale de la santé rappelle que seuls 58 pays dans le monde disposent de politiques efficaces en matière de gestion de la vitesse en milieu urbain. Les villes qui adoptent de telles politiques montrent qu’il est possible de réduire drastiquement le nombre de victimes, tout en renforçant la convivialité et l’attractivité des espaces urbains. Mais pour que ces mesures soient réellement efficaces, les maires doivent disposer du pouvoir nécessaire pour les mettre en œuvre.
«Dans de nombreux cas, la responsabilité des infrastructures urbaines est fragmentée entre les niveaux national et local, ce qui limite la capacité des élus municipaux à agir rapidement», résume Saul Billingsley, directeur exécutif de la FIA Foundation.
Ce besoin de décentralisation est particulièrement pressant dans les pays en développement, où l’urbanisation rapide entraîne une explosion du trafic routier sans que les infrastructures suivent. L’autre défi majeur réside dans la qualité des infrastructures.
Selon le Programme international de sécurité routière, seulement 20% des routes où circulent les piétons dans le monde respectent les normes de sécurité minimales. Les trottoirs manquent, les passages piétons sécurisés font défaut et les routes à grande vitesse traversent les zones urbaines sans la moindre protection pour les usagers vulnérables.
Parmi les exemples dramatiques évoqués, notamment en Afrique subsaharienne, où des tronçons de 2 km de route peuvent enregistrer jusqu’à 50 morts par an. Ces situations témoignent d’un échec systémique où l’urbanisme continue de privilégier la circulation rapide au détriment de la sécurité des piétons et des cyclistes.
Approche intégrée
Pourtant, les solutions existent et les villes peuvent faire la différence. En adoptant une approche intégrée, en combinant infrastructures sécurisées, et un contrôle plus strict de la vitesse pour parvenir à transformer les espaces publics en lieux de vie sûrs et agréables.
Au Maroc, l’amélioration de la sécurité routière en milieu urbain prend une dimension particulière. A Marrakech où se tient ce congrès mondial pour la première fois sur le continent africain, la municipalité mise sur une approche multisectorielle pour réinventer l’espace public en un lieu plus sûr et inclusif. En matière de réglementation, Marrakech a instauré des limitations de vitesse ciblées et des radars de contrôle sur les axes à haut risque, en partenariat avec la Narsa.
Cette politique permet à la municipalité de protéger les usagers les plus vulnérables tout en affirmant son rôle de régulateur local. L’éducation et la sensibilisation occupent également une place centrale. La première école d’éducation à la sécurité routière a vu le jour en partenariat avec l’Académie régionale de l’éducation et un opérateur de transport.
«La sensibilisation doit commencer dès le plus bas âge pour changer les comportements à long terme», précise un responsable auprès de la mairie de la ville.
Sur le plan des infrastructures, Marrakech a investi dans des pistes cyclables sécurisées et des traversées piétonnes protégées, tout en intégrant des dispositifs d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Une charte d’urbanisme garantit l’uniformité de ces aménagements, s’alignant sur les meilleures pratiques internationales. La collaboration internationale complète cette stratégie. En adoptant des technologies intelligentes pour la gestion du trafic, Marrakech s’efforce de fluidifier la circulation tout en renforçant la sécurité.
À l’échelle mondiale, l’expérience de Paris, sous l’impulsion d’Anne Hidalgo, mairesse de la ville, montre que le changement est possible, mais qu’il nécessite du courage politique et une vision à long terme. En piétonnisant les berges de la Seine et en instaurant une limite de vitesse de 30 km/h, Paris a drastiquement réduit les accidents de la route. Pourtant, ce changement a rencontré des résistances.
«Cette bataille a été extrêmement dure. Parce qu’à Paris, il y a toujours une catégorie pour qui la voiture est un symbole de réussite», confie Anne Hidalgo.
En capitalisant sur des événements comme la pandémie de Covid-19 et la préparation des Jeux Olympiques, Paris a accéléré la mise en place de 1.400 km de pistes cyclables sécurisées.
«Aujourd’hui, plus personne ne reviendrait en arrière», affirme-t-elle.
Cette transformation prouve que la réduction des accidents ne repose pas uniquement sur des mesures techniques, mais sur une volonté politique. Pour y parvenir, il ne suffit pas de repenser l’espace urbain. Déconstruire les symboles attachés à la voiture, transformer les imaginaires collectifs, c’est là peut être tout l’enjeu.
Sécurité routière : les assureurs en première ligne
Au-delà de l’aspect couverture de risque, le secteur des assurances joue un rôle stratégique dans l’amélioration de la sécurité routière, étant en contact permanent avec les usagers de la route. Présent à la 4e Conférence ministérielle mondiale sur la sécurité routière, Bachir Baddou, vice-président de la Global Federation of Insurance Association (GFIA), a rappelé cette proximité qui permet aux assureurs de sensibiliser efficacement les conducteurs.
«La non-assurance n’est pas un vrai sujet chez nous au Maroc. Pratiquement tout le monde est assuré», fait valoir Baddou.
Cette couverture quasi universelle donne aux compagnies d’assurance une responsabilité particulière dans la prévention des comportements à risque. A ce propos, les assureurs ne se contentent pas de financer les campagnes de sécurité routière.
Selon Bachir Baddou, ils multiplient les initiatives sur le terrain, à l’image des caravanes de santé organisées pour les chauffeurs de taxi.
«Ces actions révèlent parfois certains aspects négligés pourtant essentiels comme les problèmes de vision souvent ignorés chez pas mal de chauffeurs qui ont besoin de lunettes et ne le savent pas», souligne-t-il.
En investissant dans la prévention, notamment à travers la sensibilisation des usagers, le secteur des assurances se positionne comme un acteur clé pour garantir des routes plus sûres.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO