Maroc

PLF 2024. Youssef Guerraoui Filali : comment dégager des marges de manœuvre face à l’austérité

Dépendance à l’agriculture, changement climatique, manque de compétitivité…Dans cette interview, Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain pour la gouvernance et le management, apporte un regard éclairé sur les enjeux économiques et les risques auxquels le Maroc pourrait être confronté dans les années à venir. 

Comment les hypothèses de base du projet de loi de Finances 2024 pourraient affecter la relance économique et les secteurs sociaux au Maroc pendant la période triennale 2024-2027 ?
Les hypothèses d’élaboration du Projet de Loi de Finances 2024, avancées par le gouvernement, émettent un signal positif quant à la relance économique au Maroc et à la reprise vigoureuse des activités dans les secteurs sociaux au cours de la période triennale 2024-2027.

Cependant, la réalisation d’un taux de croissance d’environ 3,7 % pour l’année budgétaire 2024 dépendra largement d’une bonne récolte céréalière, c’est-à-dire d’une campagne agricole réussie. Les taux de croissance avancés par le pouvoir exécutif confirment que c’est le PIB agricole qui sera le moteur de la croissance, plutôt que la valeur ajoutée non agricole (5,9 % pour la valeur ajoutée agricole contre 3,7 % pour la valeur ajoutée non agricole).

Par conséquent, cette logique souligne la dépendance continue du secteur primaire, en particulier sa corrélation avec les précipitations et les aléas climatiques. Dans cette optique, il incombe au gouvernement de garantir l’approvisionnement en eau pour tous les agriculteurs des régions et provinces du Royaume, tout en anticipant les sécheresses qui pourraient survenir au cours de la période triennale 2024-2027, si l’on souhaite atteindre les objectifs annoncés dans le PLF 2024 et la programmation budgétaire 2024-2027.

Ces hypothèses sont-elles réalistes ?
Les incertitudes géoéconomiques persistent dans la région russo-ukrainienne et les prix de plusieurs matières et fournitures pourraient repartir à la hausse. Par exemple, le gouvernement prévoit un taux d’inflation de 3,4% en 2024, mais cela ne pourra être réalisé que si l’on ne subit pas une nouvelle vague de hausse des prix des matières et fournitures à l’importation.

En effet, l’inflation ne sera pas ralentie uniquement par la hausse du taux directeur de Bank Al-Maghrib. Il est nécessaire de mettre en place d’autres mesures économiques et monétaires visant à améliorer la compétitivité des produits marocains pour les substituer à ceux importés, tout en œuvrant à améliorer la valeur de la monnaie marocaine sur le marché international.

En ce qui concerne le déficit budgétaire, le pouvoir exécutif peut le contrôler, mais cela a un coût. La limitation des commandes publiques en faveur des entreprises, la réduction des ouvertures de postes budgétaires destinés aux jeunes diplômés et la réforme de la Caisse de compensation ne contribueront guère à relancer l’activité économique, du moins du côté du secteur public. L’objectif de déficit annoncé par le gouvernement, soit 3,4% du PIB, reflète la politique d’austérité qui sera menée en 2024, et qui montre un faible soutien aux ménages et aux classes sous-moyennes, voire démunies.

Quels risques pourraient peser sur la croissance en 2024 et les années suivantes ?
Les risques économiques au Maroc pour l’année 2024 sont actuellement liés aux incertitudes géopolitiques et géoéconomiques résultant du conflit russo-ukrainien. La stabilité de cette région est essentielle pour contrôler les prix des matières premières et des fournitures provenant de cette zone, qui ont provoqué une inflation à l’échelle internationale.

De plus, les effets de la stagflation au premier semestre 2023 ont eu un impact sur le tissu entrepreneurial marocain, qui a traversé une période difficile. D’une part, il y a eu une augmentation de l’inflation et une pression sur les coûts de production et d’importation, et, d’autre part, il y a eu des répercussions socio-économiques néfastes liées à la relance des activités et au ralentissement de la croissance économique après la pandémie de Covid-19. En outre, les aléas climatiques représentent un risque potentiel pour l’économie marocaine, en particulier pour la période triennale à venir, c’est-à-dire de 2024 à 2027. Il est impératif de mettre en place une politique de l’eau permettant de mieux gérer le stress hydrique. Il est nécessaire de rompre avec la dépendance aux précipitations et d’adopter une gestion efficace des ressources hydriques à l’échelle interrégionale, en favorisant le recyclage des eaux et en mettant en place un système d’irrigation automatique et localisée pour les terres cultivées, afin d’obtenir de bonnes récoltes céréalières et de favoriser la croissance du PIB agricole.

Quelle serait la meilleure réforme fiscale pour dégager des marges de manœuvre supplémentaires ?
En ce qui concerne la problématique de l’endettement public, la politique d’austérité n’est pas une solution fiable, car en période de crise, l’État est obligé de dépenser davantage pour soutenir l’économie. Il convient plutôt de mettre en place une réforme fiscale qui permette à l’État de dégager des marges de manœuvre supplémentaires dans la collecte des recettes fiscales. Cependant, il est nécessaire d’innover en matière fiscale afin de taxer davantage les individus les plus aisés et les grandes entreprises disposant de ressources financières considérables. La pression fiscale actuelle exercée sur la classe moyenne et le tissu entrepreneurial marocain ne favorise pas l’épargne et l’investissement nécessaires à toute relance économique.

Modeste Kouamé / Les Inspirations ÉCO


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