Mohamed Amrani : «Avec Solvency II, nous pourrons réguler la profession»

Mohamed Amrani, président de l’Association marocaine des actuaires (AMA)
Différents opérateurs, doctorants et médias étaient présents au 5e Congrès Actuariel africain tenu, les 15 et 16 mars, à Casablanca. Un évènement qui met en avant un métier encore peu connu sur le continent. Une profession qui est de plus en plus valorisée depuis qu’elle a été intégrée dans les lignes directrices de la circulaire Solvency II. Mohamed Amrani, président de l’Association Marocaine des Actuaires (AMA), revient sur les grandes lignes de ce projet de circulaires, les spécificités du marché marocain et de l’avenir de cette «profession»…Détails
Les Inspirations ÉCO : Solvency II souhaite intégrer les actuaires dans les pratiques prudentielles des assurances. Qu’est ce que cela pourra changer pour un actuaire ?
Mohamed Amrani : Le projet de la circulaire prévoit de définir la profession d’actuaire. Ce qui va nous octroyer plus de poids dans le secteur des assurances mais aussi de nous constituer en fédération plutôt qu’en association. Nous avons certes une certaine notoriété auprès des opérateurs locaux et internationaux…D’ailleurs, le fait que l’association internationale des actuaires (IAA) soit présente à notre évènement témoigne de l’importance de la profession dans le secteur-. C’est un message clair qui est adressé aux autorités marocaines pour dire qu’il est temps pour réguler la profession.
Cela veut dire que vous ne pouvez pas prendre part aux discussions des sujets d’envergure pouvant impacter le secteur ?
On nous consulte certes, mais sauf en pas en tant que profession régulée qui a une vraie force de frappe…Nous accompagnons pour l’instant la formation INSEA de Rabat. C’est une formation financée par le secteur des assurances dans le cadre d’un accord entre l’université de Rabat, la FMSAR et l’ACAPS. Et c’est l’AMA qui supervise la mise en œuvre de cet accord. D’autres accords ont été signés avec la fédération. On est en train de nous introduire progressivement dans ce cercle alors que nous faisons partie de cette profession… La démarche aujourd’hui c’est de les amener à nous consulter plus souvent, sur les textes de lois ou sur des sujets sur lesquels on peut ajouter notre valeur ajoutée.
Et concernant justement la mise en œuvre de Solvency II… ?
Nos actuaires sont impliqués dans les négociations mais pas avec la casquette de l’association des actuaires, mais en tant qu’un simple cadre en assurances..Aujourd’hui, il y a une sensibilité qui a été faite et les professionnels ont pris conscience de l’importance de nous impliquer en tant que professionnels. Comme je l’ai dit, le message est claire, il ne reste maintenant que la question des process..
Pensez vous que la mise en place de cette nouvelle circulaire pourrait accélérer l’élaboration d’une table de mortalité marocaine ?
On va y arriver. C’est notre demande depuis un certain temps. La fédération tout comme l’autorité sont d’accord chacune de leur côté, sur le fait d’élaborer une table de mortalité qui répond aux spécificités du marché marocain. Maintenant, il suffit de mettre tout ce beau monde autour d’une table et les amener à travailler ensemble pour que le Maroc dispose de sa propre table de mortalité. Il faut noter que toute l’Afrique vit le même problème. Il est urgent d’y remédier. Puisque sans table de mortalité, il y a un problème de calcul d’engagement qui impacte les pensions…Les tables de mortalité existantes ne sont pas suffisamment définies sur le plan légal et sont construites de manière consensuel. Elles ne reflètent pas la mortalité marocaine. Nous, ce qu’on cherche c’est introduire la solvabilité sur les risques qui induit plus de finesse dans les calculs
Dans quels délais cela pourra être mis en place ?
L’appel a été fait par la fédération. Mais cela n’implique pas que seulement les assureurs et actuaires, mais plusieurs corps de métier tels que les démographes, les statisticiens,…Tous ces gens là doivent travailler ensemble. Ce que je propose aussi c’est de travailler sur ces tables de mortalités au niveau local puis partager notre expérience, voire même impliquer les hauts cadres africains sur les méthodologies de calcul, puisqu’on évolue pratiquement dans le même environnement contrairement aux pays européens.
Que reprochez-vous aux tables de mortalité européennes ? Quelles sont les spécificités du marché marocain ?
Ce sont des tables datant des années 90. Hormis la différence géographique, les mœurs ne sont plus les mêmes, l’espérance de vie n’est plus la même et la qualité de vie non plus. Le degré de fiabilité de données représente donc aujourd’hui un biais dont il faut tenir compte. De plus, au niveau local, il y a bien sûr des disparités entre la mortalité dans le milieu rural et urbain, entre les différentes classes sociales,…
Le HCP n’a-t-il pas des tables de mortalité à partager avec les assureurs ?
Pour l’instant, il n’en a pas. Il faut les amener aussi à collaborer avec tout cet écosystème afin d’aboutir à une table de mortalité marocaine. Je ne le répéterai jamais assez : il est temps que toutes les parties concernées se mettent en place. Les circonstances actuelles ne nous permettent plus d’attendre si on veut devenir une vraie place financière. Nous avons certes des pré-requis importants mais cela reste incomplet pour l’instant. Il faut noter que les actuaires dans les pays anglosaxons jouent un rôle prépondérant dans le secteur financier au sens large. Donc pourquoi pas le Maroc ? Si on veut avoir une place financière de qualité, il va falloir développer une profession actuarielle qui soit aux standards internationaux et qui pourra accompagner les ambitions du Maroc pour se placer sur l’échiquier mondial.
Etablir une table de mortalité marocaine n’impliquera pas une hausse des prix pour les assurés ?
Les primes d’assurance vie sont en effet calculées sur la base des tables de mortalité. Mais, si on arrive à élaborer une table de mortalité cela veut dire qu’on pourra établir un tarif des plus précis possible. Après en termes d’appréciation de la solvabilité des compagnies d’assurance, le calcul d’engagement nous indiquera s’il faudra baisser ou augmenter les fonds propres. Pour l’heure, nous sommes concentrés sur la conformité aux normes internationales.
Seuls six pays africains disposent d’une association reconnue par l’association internationale. Quels sont ces pays ? Y aura-t-il des synergies à exploiter pour développer la profession ?
Les 6 pays sont le Maroc, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, et l’Afrique du Sud. Et pratiquement tous ces pays (sauf le Kenya et l’Afrique du Sud) évoluent avec des tables de mortalité étrangères. Il reste donc beaucoup à faire sur le continent. C’est un constat assez amer pour la profession puisque l’Afrique est composée d’une cinquantaine de pays et pas que de 6. Il y a actuellement un sous-comité qui œuvre pour aider les pays africains à améliorer ses pré-requis financiers. L’union fait la force, comme on dit. Il faut mutualiser les efforts au lieu de tirer chacun de son côté. Si l’on développe des partenariats avec ces pays, le continent gagnera beaucoup plus de galons et deviendra un marché très intéressant pour les investisseurs internationaux.