Lutte contre la corruption : la stratégie nationale prend un tournant décisif
L’Instance nationale de la probité, de la prévention et de lutte contre la corruption lance deux enquêtes pour faire le bilan des actions menées depuis 2015. Objectif: atténuer l’ampleur du phénomène de la corruption dans les secteurs les plus touchés. Les attributions de l’instance devront également être mises en œuvre en vue de renforcer les mesures contenues dans la stratégie nationale.
La situation sanitaire exceptionnelle n’a pas empêché le gouvernement et l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de lutte contre la corruption (INPPLC) de lancer une nouvelle étude pour mesurer l’impact des actions initiées depuis le lancement de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption. L’étude, qui a démarré ce mois-ci, vise à la fois les citoyens et les entreprises. Elle permettra à l’instance de probité, mais aussi à la Commission nationale anti-corruption (CNAC), de prévoir plusieurs remodelages qui devraient être opérés courant 2021. La crise sanitaire aggrave en effet les risques de corruption dans plusieurs secteurs, et le nouveau statut de l’instance, adopté cette année par le Parlement, oblige cette dernière à prendre davantage d’initiatives pour la pleine application du dispositif prévu par la stratégie nationale adoptée il y a plus de cinq ans.
L’État se prépare à la hausse des risques
La nouvelle étude revêt un caractère stratégique dans la mesure où elle devra donner lieu à plusieurs mécanismes à déployer en fonction des attentes qui seront exprimées par les opérateurs économiques et les ménages. En tête de liste des missions sur lesquelles l’instance devra insister figurent la protection des dénonciateurs ainsi que l’utilisation simplifiée des portails en ligne. Pour cette rubrique, il s’agira d’assurer la transparence requise à travers «la publication et le stockage régulier et ordonné des données pertinentes de la part des professionnels, des ONG, ainsi que des procédures simplifiées et accélérées pour les marchés publics et privés», indique la feuille de route tracée.
Durant cette étape de mise en œuvre de la stratégie nationale, qui s’étend jusqu’à 2025, c’est le volet réglementaire qui accapare l’attention du gouvernement : il s’agit de se conformer aux normes de transparence. Des cahiers des charges relatifs au lancement des différentes actions de communication seront élaborés, de même que des études d’impact du plan de communication devront être réalisées pour évaluer le rendement des projets de sensibilisation chapeautés par l’instance.
À noter que les chantiers qui seront initiés englobent la gestion transparente de la commande publique ainsi que le suivi du chantier de l’administration électronique. La réforme législative amorcée prend aussi en compte l’impact de la généralisation des unités d’audit et de contrôle au sein des administrations ainsi que le processus d’allègement des documents administratifs demandés aux usagers, parallèlement au lancement des nouvelles modalités relatives à la réception des plaintes. En plus de la convergence, la mise en œuvre des mesures prévues par la Stratégie nationale de lutte contre la corruption restera fondamentale l’année prochaine, notamment le volet portant sur l’amélioration des services administratifs.
Les collectivités territoriales et les entreprises publiques seront aussi prioritaires pour l’INPPLC, avec comme objectif l’implication de la justice dans la dissuasion. Il faut dire que l’instance de probité et la CNAC veulent davantage coordonner leurs actions pour mieux cibler les programmes prioritaires de la stratégie nationale. L’apport de l’instance consistait jusqu’à présent à présenter un bilan d’étape de la stratégie devant délimiter les domaines stratégiques des futures interventions. Le dernier rapport synthétique de la Commission nationale anti-corruption s’attend à un «changement radical» d’ici 2021. Ce sont au total 91 projets qui sont annoncés pour les deux prochaines années. Il s’agit de gagner environ 17 places dans l’Indice de perception de la corruption à 60/100, 20 places dans le Doing Business et 25 places dans l’Indice de la compétitivité mondiale (WEF).
Une nouvelle vague de projets
L’étude lancée devra marquer une rupture afin d’améliorer les indicateurs phares surveillés. Inverser la tendance de manière irréversible et améliorer l’intégrité des affaires sont les deux objectifs principaux à court terme. Il s’agit essentiellement d’améliorer l’indice relatif aux citoyens qui estiment que la situation se détériore, pour le ramener à 20% au lieu de 89% actuellement. Idem pour le taux de citoyens insatisfaits de l’action gouvernementale, qui devra reculer à 30% au lieu des 72% enregistrés lors du lancement de la stratégie nationale. Le second constat qui se dégage durant cette étape a trait à la répression. L’État veut que la disparition des incitations au recours à la corruption passe par une application scrupuleuse de la loi, assortie d’un recouvrement des actifs en lien avec les actes de prévarication. L’identification des projets pour les cinq années à venir devra également se baser sur les piliers de la stratégie nationale, notamment la 3e vague de projets. Pour rappel, l’ensemble du portefeuille de projets en englobe 239 pour un budget de 1,79 MMDH.
Pour la période 2017-2020, 59 projets devraient voir le jour pour une dotation de 937 MDH. Le bilan d’application de la convention onusienne devra précéder l’évaluation attendue fin 2020, qui devrait aboutir à l’actualisation de la stratégie pour atteindre les résultats escomptés.
Dans ce registre, la CNAC, qui a été placée sous la supervision directe du chef de gouvernement, a été dotée de prérogatives élargies, avec une grande implication de l’ensemble des départements ministériels qui siègent au sein de la commission. Le gouvernement a déjà lancé un plan de communication autour de la stratégie de prévention des risques de corruption dans les secteurs de l’urbanisme et de l’immobilier. La feuille de route du plan de communication s’articule autour de l’évaluation des politiques et pratiques concernant la prévention et la lutte contre la corruption au Maroc. La stratégie porte aussi sur le diagnostic préliminaire du phénomène de la corruption au Maroc, en procédant à l’analyse et à la compréhension sectorielle du phénomène, étapes jugées incontournables pour l’élaboration d’une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la corruption. Selon le minisère de l’Aménagement du territoire, les autres objectifs concernent «l’information des citoyens et des agents de l’existence de plusieurs mécanismes de plainte et de dénonciation, ainsi que des dispositions mises en place pour protéger les témoins de corruption».
Les priorités de la CNAC
La Commission nationale anti-corruption laisse entrevoir une «extension de la stratégie en vue d’opérer un changement radical dans la relation avec la corruption au sein de la société», selon son dernier rapport. La numérisation des services administratifs devra capitaliser sur les acquis enregistrés durant l’état d’urgence sanitaire pour franchir un cap crucial, notamment «la réduction du contact direct entre l’administration et l’usager ainsi que l’harmonisation de l’accès aux services administratifs». «Les services en ligne ont aussi connu une diversification sans précédent, que ce soit pour la demande de documents administratifs, le suivi des dossiers ainsi que la généralisation des applications sur smartphones», indique la synthèse finalisée par la commission.
Les projets qui devront focaliser l’attention concernent essentiellement la généralisation des bureaux d’orientation au niveau des tribunaux, «la préparation du nouveau système d’accueil et l’ouverture du premier site pilote à Rabat». En ligne de mire aussi, «la finalisation d’une charte sectorielle de l’amélioration de l’accueil au sein des unités administratives dépendant du ministère de l’Intérieur».
La CNAC compte aussi accélérer la préparation du décret portant sur les conditions et formalités des nouvelles autorisations de construire, sans oublier la «révision complète et analytique du contentieux fiscal pour sa simplification». Parmi les mesures qui devraient être prioritaires durant les deux prochaines années figurent la modernisation des services du registre commercial et la simplification des procédures dont l’application relève du département de l’Équipement. À noter que le secteur de la santé sera un de ceux directement concernés par la feuille de route de la CNAC, «avec la mise en place d’un système de gestion et de suivi du stock des médicaments au sein des établissements sanitaires».
Younes Bennajah / Les Inspirations Éco