«Le printemps des Alizés est capital !»

Dina Bensaïd a vécu toutes les éditions du Printemps des Alizés. Elle a grandi avec lui et c’est tout naturellement qu’elle a proposé au public de l’édition 2017 un voyage à travers les différentes écoles du monde.
Les Inspirations ÉCO : Après la relation «maître-élève», la famille, comment s’est imposé à vous le thème du voyage et du tour du monde avec la musique classique ?
Dina Bensaïd : Souvent, ce sont des choses que j’ai envie de faire partager ! C’est difficile à expliquer mais c’est souvent en relation avec ce que je peux ressentir, ce que je vis même. «Maître-élève» coïncidait avec une période où je me posais des questions sur ce rapport là, Brahms est un professeur pour moi donc quand on parlait de l’Allemagne, c’était une évidence, quand on a parlé de Vienne, c’était à l’inverse des compositeurs avec qui je peux avoir une affinité mais j’avais envie de creuser de ce côté là.
Comment avez-vous préparé ce voyage ?
Je me suis penchée sur les régions du monde qui ont une relation particulière avec la musique classique. Très vite, il y en a qui se sont dégagées. C’est vrai que la musique espagnole a ses caractéristiques, que la musique de Vienne est un noyau de la musique classique, que l’Amérique latine a une musique classique très emblématique et donc très rapidement, ce son dégage des airs et les artistes proposent aussi des choses, ils viennent avec leurs idées et c’est comme cela que les choses se sont faites, que tout s’est construit.
Est-ce qu’il y a une école qui vous parle plus que l’autre ?
On sent des écoles différentes, moi, j’ai étudié en France mais ce n’est pas pour cela que je me reconnais dans l’école française. On dit quelque chose de bête souvent : que les Français ne peuvent être joués que par les Français, que les Allemands ne peuvent être joués que par les Allemands et moi qui suis Marocaine, qu’est-ce que je joue alors ? Mais je comprends ce point de vue. Du fait d’avoir étudié en France, je me rends compte qu’il y a des traditions françaises sur la musique française qui sont très importantes et j’ai baigné là-dedans. Quand j’entends un Allemand jouer de la musique française, je suis un peu dubitative. Et du coup, je me pose des questions sur ces écoles et ces traditions là. Quand je joue du Brahms sans avoir étudié en Allemagne, cela me fait poser la question de comment être au plus proche de cette musique là et de son compositeur ? Comment réussir à être au plus proche d’un compositeur qui est mort il y a 300-400 ans ? Je ne dis pas qu’il faut jouer Bach comme il se jouait à l’époque mais je pense qu’il faut tendre vers la volonté du compositeur. C’est une recherche perpétuelle…
Le festival en est à sa 17e édition aujourd’hui, à quel point ce festival compte ?
Ce festival est capital ! C’est sûrement lui qui a fait ma profession. La matinée jeunes talents est un tremplin. On n’a pas forcément la chance d’être sur scène quand on est jeune. On apprend tellement les temps sur scène lorsque l’on joue devant un public et cette scène là a permis de rencontrer des professeurs, des artistes étrangers et du coup d’être propulsé un peu dans ce monde là. Pour moi, c’est avec les Alizés que j’ai décidé de faire de la musique mon métier.
Que vous a-t-il apporté humainement et professionnellement ?
Énormément de choses. Je viens de lancer un concept de concert que j’ai baptisé le concert à la carte et c’est le public qui choisit ce qu’il veut écouter. C’est absolument le contraire de ce qui se passe d’habitude. Généralement, le public vient, s’assoit et subit. Là, c’est le public qui est acteur et ce concept m’est venu d’Essaouira.
Il y a beaucoup d’idées préconçues sur la musique de chambre que ce festival essaye de balayer. Comment vivez-vous ces préjugés au jour le jour ?
Il y a beaucoup de préjugés sur la musique classique en effet et c’est quelque chose contre lequel j’essaie de me battre par tous les moyens. Même ce concept de concerts à la carte, c’est l’idée de rendre le concert convivial. De dire aux gens que ce sont des préjugés complètement faux. À la base, c’était une musique populaire. Mozart se jouait sur la place publique. En sortant du marché, on allait écouter un air ou deux. Ce n’est qu’après, avec les subventions, les mécénats, que la musique est entrée dans les salons et que cette vision a changé. On aimerait beaucoup rendre, non pas ses lettres de noblesse mais ses lettres de popularité à la musique classique !
Comment voyez-vous le Printemps des Alizés évoluer ?
Cela dépend des subventions que l’on continuera à toucher ou pas. C’est un festival qui continue à grandir, le public est de plus en plus au rendez-vous et je pense qu’il continuera à grandir. Il faut donc des salles. Pour la matinée enfants, on souhaite revenir à une véritable académie comme il y en avait avant pour nourrir ces jeunes là et les voir grandir, les accompagner. Mais il faut des fonds et c’est malheureusement ce qui nous manque.